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2. CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE

3.2. Les discours sur la nature au Kamouraska

3.2.2. Le Haut-Pays : paysage oublié ?

La nature se morcelle en différents lieux et sa différenciation géographique mène à des discours qui varient et qui évoquent une perception spécifique à ces lieux significatifs, sans toutefois représenter la nature dans sa globalité. Ainsi, si la côte du Kamouraska et les plaines sont des lieux significatifs représentant la beauté de la nature pour les habitants de la région, le Haut-Pays évoque quant à lui un discours fort différent. Le piémont, ce vallon ondulant qui grimpe en hauteur, sépare le Bas-Pays, situé tout juste au-dessus de l’eau, de la vallée du Haut-Pays, située de 130 à 200 mètres plus haut. Une fois dans le Haut-Pays, la nature immédiate est tout le contraire de celle retrouvée plus bas : la plaine laisse place à la forêt et le fleuve est bien souvent hors de vue. De même, les routes menant au Haut-Pays sont toutes des routes de campagne, empruntées afin de se rendre à une destination, alors qu’au Bas-Pays, sans être sa fonction première, la route principale traverse les villages et mène jusqu’en Gaspésie, faisant du Bas-Pays une région de passage plutôt qu’une destination. C’est entre autres parce que le Haut-Pays n’est pas autant associé à la beauté que ne l’est le secteur plus touristique du Kamouraska. Pour les habitants du Haut-Pays, la nature

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du Kamouraska est indissociable de la forêt, qui est aussi pour eux une source infinie de liberté :

Moi le fleuve c'est une trame de fond, c'est présent, tandis que dans le Haut-Pays, la forêt c'est un terrain de jeu. On va relaxer sur le bord du fleuve, mais on va se défoncer dans la forêt, là on peut en faire des projets et tout est à faire et à découvrir. C'est 1800 km² de potentiel !

(Répondant néorural #2)

L’amour pour cette forêt, qualifiée par ses résidents comme un territoire immense au potentiel infini, n’est pas partagé par les touristes, qui préfèrent généralement s’en tenir à la rive du Saint-Laurent. L’importance accordée au fleuve et aux rives au sein des publicités n’aide pas à corriger la situation, ce qui déplaît aux habitants des hautes-terres impliqués dans le développement d’un Haut-Pays touristique. Ils souhaiteraient pouvoir présenter le terrain

de jeu naturel de leur région au reste du Québec, mais sont généralement oubliés par les

promoteurs et par le reste du Kamouraska. La nature du Haut-Pays attire moins : elle n’est pas mise en valeur au sein des publications touristiques, elle n’attire pas de riches néoruraux retraités et plusieurs affirment même qu’elle est méconnue des résidents des berges, qui n’auraient aucune raison de monter dans le Haut-Pays :

Souvent, c'est "le fleuve, le fleuve, le fleuve" qui est attractif et les régions en haut sont toujours laissées pour compte.

(Répondant rural #8)

Il y a un déséquilibre entre les deux secteurs de la région, qui n’ont pas connu le même développement ni la même histoire : la colonisation du Bas-Saint-Laurent a débuté par la rive, où se trouvent les meilleures terres agricoles (Hatvany 2003 : 21). Le territoire du Haut- Pays est quant à lui situé sur le plateau des Appalaches, où le sol est difficile à cultiver et où le développement économique a été guidé par l’exploitation forestière. Le Haut-Pays n'est ainsi pas autant développé et les routes qui y passent sont toutes des routes de campagne qui ne sont pas toujours asphaltées. Ainsi, comme le mentionne un répondant, un résident du Haut-Pays se doit de traverser le Bas-Pays dès qu’il veut sortir du Kamouraska, mais plusieurs natifs vivant sur la côte n’ont jamais mis les pieds dans les villages situés au-delà du piémont. Cependant, cette situation change peu à peu : le projet du parc régional du Haut-

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Pays sera revisité plus en détail dans la prochaine section, mais il s’agit d’un projet de mise en valeur du Haut-Pays du Kamouraska ayant financé de nombreuses initiatives. Ce projet commence déjà à changer les perceptions de la nature de la région : la forêt du Haut-Pays est progressivement perçue par les résidents comme étant une avenue de développement de projets variés, et non pas seulement par la foresterie. Le mycotourisme en est un bon exemple, car bien qu’il en soit encore à un stade embryonnaire, son développement dans la région mène peu à peu les personnes qui y vivent à renouer avec leur forêt, avec leur nature :

On met les gens en contact avec la nature. On a envoyé les jeunes marcher au sentier d'Ixworth plutôt que de les envoyer à l'aquarium de Québec. On met les gens en contact avec "leur" environnement et c'est déjà une façon d'être plus sensible à la nature. Le sentier d'interprétation à Saint-Bruno, avec le mycotourisme, c'en est un autre moyen.

(Répondant néorural #2)

Le mycotourisme mène à percevoir la forêt comme une source de nourriture, et les sentiers d’interprétation, eux, permettent de se familiariser avec une nature souvent méconnue, voire même à redonner une certaine fierté aux résidents de la région. Ils découvrent la belle forêt, possédant un territoire plus grand que l’île de Montréal, qui offre aux jeunes s’y installant un potentiel infini. L’arrivée de jeunes dans le Haut-Pays est une source importante de transformations de la perception de la nature de la région. Attirés par le faible coût des propriétés et des terres, ces jeunes amènent avec eux leurs valeurs environnementalistes qui contrastent parfois avec celles des natifs de la région. Cela mène même à certaines tensions, qui seront présentées plus en profondeur dans un prochain chapitre. Pour les jeunes qui arrivent dans la région, le Haut-Pays présente une nature quasi vierge, où s’il n’y a pas forcément de vue sur le fleuve, il y a toutefois accès à une forêt nourricière et à une tranquillité qui ne peut être retrouvée dans le paysage côtier où la circulation touristique brise sans cesse le silence.

Enfin, la saisonnalité de la nature au Haut-Pays ne peut pas être ignorée. Tout comme les riverains, les habitants du Haut-Pays associent l’hiver à la tranquillité, au silence et à la paix. C’est toutefois aussi pour eux la saison par excellence où la nature incarne un terrain de jeux : la motoneige, le ski de fond et la raquette sont toutes des activités populaires et faciles d’accès. Il suffit de faire quelques pas en dehors de chez soi et la forêt est aussitôt

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accessible à tout résident désirant en profiter. La nature retrouvée au Haut-Pays fait donc en sorte que si la rive du fleuve Saint-Laurent est pratiquement désertée en saison hivernale, le Haut-Pays en hiver est de son côté bien moins affecté par la saisonnalité, n’ayant pas à subir le choc de la disparition temporaire du tourisme et de la fin de la saison agricole.