• Aucun résultat trouvé

Les risques liés aux relations intimes en situation de rue

1.3 L’intimité chez les jeunes en situation de rue

1.3.1 Les risques liés aux relations intimes en situation de rue

Plusieurs des travaux empiriques sur les relations intimes des jeunes en situation de rue tendent à montrer qu’ils présentent d’importants risques pour leur santé. Ces études se concentrent principalement sur la prévalence des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) et des épisodes de grossesse, les connaissances erronées des jeunes sur la sexualité, l’inconsistance de la protection sexuelle et le recours aux transactions sexuelles. Par exemple, au Canada, la prévalence des cas de chlamydioses génitales chez les jeunes en situation de rue est estimée à 11 % et celle des infections gonococciques est évaluée à 3 %, une proportion de 20 à 30 fois plus élevée que chez les jeunes de la population générale (ASPC, 2006). En ce qui concerne

la prophylaxie6, les travaux montrent un usage inconstant du condom chez les jeunes en situation de rue (ASPC, 2006; Greenblatt et al., 1993; Kral et al., 1997; Marshall et al., 2009) et environ 50 % d’entre eux rapportent en avoir utilisé lors de leur dernière relation sexuelle (Roy et al., 2003). De plus, les études disponibles indiquent que 42 % à 53 % des jeunes filles en situation de rue âgées de 14 à 23 ans rapportent au moins un épisode de grossesse (Haley et al., 2002; Haley et al., 2004; Roy et al., 2003; Greene et al., 1998; Halcon et Lifson, 2004). Ces données suggèrent que l’usage constant du condom, avec tout type de partenaires et pour tout type de rapport sexuel, n’est pas inscrit dans les habitudes des jeunes en situation de rue.

En ce qui concerne les connaissances en matière de sexualité, les travaux suggèrent que les jeunes en situation de rue ont souvent des connaissances erronées sur la sexualité, notamment sur les ITSS. Par exemple, si des jeunes filles en situation de rue sont unanimes sur l'efficacité du condom pour la prévention des ITSS, elles doutent de son efficacité pour prévenir les grossesses (Haley et al., 2005). Également, une proportion non négligeable de ces jeunes filles se fie sur des méthodes peu efficaces pour prévenir les grossesses (21,5 % rapportent utiliser le coït interrompu occasionnellement et 12,7 %, toujours ou régulièrement; Haley et al. 2006). Elles précisent d’ailleurs que l'arrêt de l'usage du condom est possible dans une relation amoureuse stable, une fois que les risques de contracter des ITSS sont surpassés (Haley et al. 2005). Le vide ainsi créé à l’égard de la contraception suggère que le risque de grossesse dans une relation stable apparaît acceptable pour ces jeunes filles. La consommation de drogues constitue aussi un facteur de risque fréquemment associé aux échecs prophylactiques et contraceptifs. Elle apparaît élevée chez les jeunes en situation de rue (ASPC, 2006), ce qui rend difficile la négociation et l'usage du condom (Haley et al. 2006; Marshall, 2008).

En ce qui a trait aux conditions de résidence, elles constitueraient également un obstacle à l’usage d’une méthode contraceptive ou prophylactique en situation de rue.

6

Le concept de prophylaxie renvoie aux méthodes visant à prévenir l’apparition ou la propagation d’une infection.

L’instabilité résidentielle contribuerait à l’inconstance de l’usage du condom chez les jeunes (Marshall, 2008; Marshall et al. 2009), notamment à cause de l’imprévisibilité des rencontres sexuelles, et elle serait incompatible avec la régularité qu'exige l’usage de la contraception orale (Haley et al. 2006). L’importance des comportements préventifs serait aussi reléguée au second plan lorsque les besoins de base et la survie sont en jeu. Les conditions d’entreposage des condoms seraient également affectées en situation de rue, où des objets coupants dans les sacs peuvent les endommager, tout comme le froid hivernal (Haley et al. 2005). À ces conditions de résidence, on peut ajouter l’accès différentiel, selon les milieux, aux ressources en santé sexuelle. Ainsi, un accès restreint ou difficile aux services qui distribuent des condoms et qui offrent des services de santé est associé à un usage inconstant du condom chez les jeunes en situation de rue (Marshall et al. 2009).

Finalement, plusieurs études canadiennes estiment que de 12 % à 32 % des jeunes en situation de rue ont déjà eu recours aux transactions sexuelles (ASPC, 2006; DeMatteo et al., 1999; O'Grady et Gaetz, 2009; Weber et al., 2002). Selon ces travaux, les jeunes femmes seraient plus nombreuses que les jeunes hommes à recourir à ces pratiques sexuelles (ASPC, 2006; Gangamma et al., 2008; Haley et al., 2002; Mackellar et al., 2000), soit 38 % des jeunes femmes et 26 % des jeunes hommes (Roy et al., 2000). Ces études montrent également que les jeunes en situation de rue qui ont recours aux transactions sexuelles ont plus de chance d’être victime d’abus sexuel (Tyler et al., 2001) et de contracter une ITSS (Tyler et al., 2007), ainsi que de rapporter certains troubles de santé mentale, comme le suicide et la dépression (Kidd, 2007; Yates et al., 1991). Si différents termes sont utilisés dans les écrits pour témoigner des transactions sexuelles, ils évoquent tous l’idée d’un échange de faveurs sexuelles contre de l'argent, de la drogue, un endroit pour dormir, des cadeaux ou de la nourriture (Gangamma et al., 2008; Greene et al., 1999; Roy et al., 2000; Tyler et Johnson, 2006; Tyler, 2009; Walls et Bell, 2010; Weber et al., 2004).

Somme toute, ces différents travaux démontrent que les relations sexuelles témoignent d’un danger pour la santé des jeunes en situation de rue. Si certaines de ces études

présentent ces jeunes comme des êtres imprudents et insouciants en matière de sexualité, d’autres les présentent plutôt comme des victimes des conditions de vie précaires et instables de la situation de rue. D’une manière ou de l’autre, ces travaux tendent à réduire la complexité de la situation de rue à une liste de comportements sexuels jugés néfastes pour la santé des jeunes (Rayburn et Corizine, 2010). Ces études perpétuent ainsi une vision menaçante de la situation de rue dans la mesure où tant les conditions de vie que les comportements intimes des jeunes semblent témoigner d’un danger pour leur santé (Bessant, 2001; Panter-Brick, 2002). En souscrivant à une analyse descriptive des relations intimes, ces études tendent à masquer la variabilité des significations que donnent les jeunes à la situation de rue (Watson, 2011), ainsi que les différentes potentialités qu’elle peut leur offrir (Bellot, 2001). Sans renier la part de difficulté et de vulnérabilité associée à la situation de rue, la présente étude tente plutôt de comprendre le sens que ces jeunes donnent à leurs relations intimes dans le contexte de la situation de rue.