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Un risque d’oubli des jeunes ruraux.ales par beaucoup de politiques

La décentralisation s’est de manière générale accompagnée d’un essor des initiatives des collectivités territoriales en faveur de la jeunesse.

Toutefois, plusieurs des jeunes et des acteur.rice.s rencontré.e.s pour l’élaboration de cet avis, soulignent que, dans le milieu rural, ces actions restent inégales et souvent insuffisamment développées.

Divers facteurs peuvent y contribuer : les jeunes représentent dans les espaces ruraux une part de la population moindre en moyenne que ce n’est le cas en ville, ce qui ne favorise pas leur prise en compte si on les compare par exemple aux personnes âgées, en général surreprésentées dans le rural. La faible densité, leur dispersion et la diversité de l’habitat contribuent sans doute à les rendre moins visibles que dans l’espace urbain.

Le manque de moyens des collectivités locales, et notamment des communes rurales, constitue certes l’un des facteurs explicatifs, mais ce peut être aussi un manque de volonté politique, les politiques de jeunesse n’étant pas nécessairement identifiées comme une priorité dans les territoires ruraux.

Un autre facteur est souvent mis en avant par les jeunes et par les expert.e.s rencontré.e.s pour l’élaboration de cet avis : il est constitué par l’image et la représentation collective des jeunes, notamment parmi les élu.e.s ruraux.ales.

des lacunes liées aux représentations collectives des jeunes ruraux.ales

Jean-Pierre Halter259, sociologue, chercheur associé à l’INJEP, relevait en audition que, dans l’espace rural, les jeunes ne posent souvent pas de problèmes et ne sont pas une source de préoccupation particulière. Il relevait que, du reste, « une partie des jeunes ruraux vivant dans ces espaces expriment une sorte de « sédentarité active et heureuse » ( ) qui tranche avec l’isolement et la solitude souvent attachée à leur représentation ». Il observait toutefois

258 Entretien des rapporteur.e.s avec Bernard Gaillard, vice-président du CESER Bretagne, président de la commission « Qualité de vie, culture et solidarités », ainsi qu’avec Fabien Brissot, chargé du pôle Société et solidarité au sein de cette commission, le 19/10/2016.

259 Jean-Pierre Halter, sociologue, est auteur d’un rapport pour l’institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) sur Politiques de jeunesse et intercommunalités.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES que cette « sédentarité active et heureuse » n’est d’ailleurs pour certains d’entre eux que

temporaire (ils s’imaginent autant vivre « au pays » qu’ailleurs dans le futur) »260.

Il semble que les jeunes soient par ailleurs parfois perçu.e.s comme relevant, en raison même de leur jeunesse, de la solidarité familiale au moins autant que de politiques collectives, ce qui ne favorise pas la mise en place de politiques en leur direction.

Jean-Pierre Halter observait que, dans beaucoup d’espaces ruraux, il est en quelque sorte tacitement admis que, soit les jeunes effectuent des études, partent et ne reviennent pas, soit elles.ils restent et sont alors pris.es en charge, plus ou moins bien, par les institutions de type mission locale pour les aider à s’orienter, se former et s’insérer. Mais, si le départ d’une partie importante des jeunes est identifié comme un problème et regretté, l’idée que les collectivités pourraient contribuer à leur offrir des opportunités pour permettre leur insertion professionnelle sur place est rarement prise en compte, ou en tout cas mise en œuvre concrètement.

Olivier David, dans une étude sur le Temps libre des jeunes ruraux, relève pour sa part que les débats sur la jeunesse mettent souvent en avant des représentations négatives de la jeunesse, vue sous l’angle du chômage, de la pauvreté, de la délinquance, des conduites addictives ou du suicide, conditions de vie et comportements dangereux pour les jeunes eux.elles-mêmes, mais qui peuvent aussi être perçus comme des menaces pour la stabilité sociale. La jeunesse est alors surtout vue comme un problème et non comme une ressource pour le territoire qu’il faudrait associer à la définition des politiques qui les concernent.

C’est également la difficulté que pointe le travail de Mairie Conseil sur la mise en place de politiques jeunes dans le cadre intercommunal.

« Enjeu identifié dont on parle depuis une dizaine d’années : la jeunesse comme ressource locale. Ce qui définit la jeunesse aujourd’hui, c’est encore, malheureusement, une vision négative des jeunes – une vision qui domine. (…) La participation et l’engagement des jeunes posent la question suivante : le problème fondamental est de savoir si professionnels, élus et dirigeants associatifs sont prêts à laisser « une place » aux jeunes dans l’élaboration et la construction d’une politique jeunesse. ».

S’y ajoutent, dans les communes rurales situées à proximité des aires urbaines dynamiques, les problèmes nouveaux posés par l’arrivée de jeunes ménages venus de la ville, souvent en nombre important. Ceux-ci viennent s’installer dans le rural en raison du coût relativement faible du foncier et des aménités qu’il offre, mais souhaitent continuer à bénéficier des services auxquels ils étaient habitués en ville, ce qui modifie la demande sociale en matière de services à la population.

Selon une étude nationale de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), les élu.e.s expriment leur difficulté à répondre de manière adaptée au public des jeunes,

« soit parce qu’ils n’arrivent pas à savoir précisément ce que veulent les jeunes, soit parce que leur demande est (considérée comme) impossible à satisfaire (demande de local jeune sans surveillance, par exemple)  ». Cette étude relève par ailleurs que les élu.e.s tendent à percevoir la jeunesse comme une classe d’âge consumériste, peu encline aux activités

260 Audition de Jean-Pierre Halter par la section le 28/09/2016.

Rapport

encadrées traditionnelles, peinant à s’engager dans des projets de long terme, voire ayant des comportements problématique dans l’espace public (désœuvrement, incivilités …)261. des politiques de jeunesse souvent centrées sur les moins de 16 ans

dans les espaces ruraux

Une enquête réalisée par Olivier David en Ille-et-Vilaine auprès de 251  communes souligne le caractère très limité, voire lacunaire des politiques de jeunesse conduites dans les espaces ruraux. Plus de 80 % des élu.e.s, urbain.e.s et ruraux.ales, interrogé.e.s dans le cadre de l’étude perçoivent ce sujet comme difficile et déclarent ressentir comme délicates la construction et la mise en place de projets politiques cohérents en ce domaine.

Surtout, l’étude pointe la faiblesse des interventions destinées aux jeunes, en particulier en milieu rural : « en Ille-et-Vilaine, la majorité des communes (52,7 %) déclare ne pas avoir inscrit les questions de jeunesse comme une priorité municipale sur le mandat 2001-2008 ( ). Le pourcentage de communes où la jeunesse est inscrite comme une priorité politique est beaucoup plus élevé en milieu urbain (9 communes sur 10) et décline en milieu rural (un peu plus du quart des communes) ».

Cette situation s’explique en grande partie en ce que conduire des actions d’envergure en faveur des jeunes exige une taille critique minimale que les communes rurales, à la population limitée pour la très grande majorité d’entre elles, n’atteignent pas pour la plupart. Rappelons que, en 2015, 31 470 communes (soit plus de 80 % des communes de France) comptent moins de 2 000 habitant.e.s262.

D’après cette enquête, les actions mises en œuvre destinées aux jeunes concernent principalement la réalisation d’équipements et l’ouverture de structures d’accueil. Viennent ensuite la mise en place d’animations destinées au public jeune liées à l’âge (activités passerelles pré-adolescents.e./adolescent.e.s) ou liées à des besoins spécifiques (activités sportives, culturelles, mise en place de spectacles, de concerts ou de manifestations sportives…). Puis, avec une fréquence moindre, les élu.e.s enquêté.e.s citent les contrats engagés pour la mise en place de politiques «  jeunesse  », tels que les contrats enfance-jeunesse, les contrats temps libre ou les contrats éducatifs locaux.

Parmi les motifs invoqués pour justifier l’absence de politiques en faveur de la jeunesse, sont mises en avant parmi les communes rurales enquêtées l’option choisie d’actions en faveur de la petite enfance, la petitesse de la commune ou la faiblesse de ses moyens.

la diversité des politiques jeunesse conduites par les communes rurales apparaît enfin relativement faible  : selon l’étude d’Olivier David, une commune rurale sur cinq est investie dans l’accompagnement de jeunes  ; moins d’un tiers des élu.e.s locaux.ales déclarent mener des actions en faveur de la mobilité des jeunes résidant sur leur commune, alors qu’il s’agit d’un enjeu important pour leur autonomie ; environ une commune rurale sur dix déclare développer des animations pour informer et orienter les jeunes ruraux.ales ;

261 CNAF, « Evaluation de la politique de l’enfance et de la jeunesse des CAF », Dossiers d’études CNAF n°113 (2009).

262 Ministère de l’Intérieur, Les collectivités locales en chiffres 2015, p. 8.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES moins d’une sur dix met en place des dispositifs d’insertion et d’accès à l’emploi des jeunes,

ce type de politiques étant surtout conduites par des communes urbaines263.

des politiques se voulant, aux yeux des élu.e.s ruraux.ales, des politiques de jeunesse, se limitent en fait souvent à des politiques en faveur de la petite enfance ou encore à des politiques d’accès à la culture, alors que c’est l’insertion professionnelle des jeunes, leur accès au logement, à l’autonomie, c’est-à-dire in fine l’égalité des droits qui est en jeu.

Patricia Loncle-Moriceau cite de même à cet égard la réalisation d’équipements de loisirs, avec l’exemple de la construction de murs d’escalade et note les enjeux déjà évoqués d’aménagement du territoire si l’on voulait faire évoluer la situation des jeunes dans les territoires ruraux264.

Jean-Pierre Halter souligne par ailleurs (à partir des deux monographies qu’il a consacrées pour le compte de l’INJEP au pays de Marennes Oléron et d’une étude en phase de finalisation relative au pays de la vallée du Lot), la place que peuvent le cas échéant prendre les intercommunalités quant aux politiques de jeunesse dans les territoires ruraux, en dégageant quatre principaux constats265.

D’une part, c’est, dans l’un et l’autre de ces deux pays, au niveau de l’intercommunalité que se déclinent surtout les politiques enfance-jeunesse : huit sur neuf des communautés de communes ou des intercommunalités existant dans les deux pays ont pris la compétence Enfance-jeunesse, avec souvent une incitation forte de la Caisse d’allocations familiales et de la Mutualité sociale agricole, afin d’améliorer le maillage des équipements. D’autre part, il s’agit d’une politique destinée surtout aux parents et aux enfants, la part consacrée à l’enfance et à la petite enfance concentrant 75 % à 85 % des financements, tandis que celle dédiée à la jeunesse (à partir de 12, 13 ou 14 ans) se situe seulement entre 15 et 25 % des dépenses et du budget de ces intercommunalités. Par ailleurs, la conclusion de ces contrats Enfance-Jeunesse a souvent donné lieu à un diagnostic enfance-jeunesse de qualité quant aux équipements et aux besoins des parents et des enfants, mais la question des jeunes de 17 ans et plus est rarement évoquée. Enfin, elle a permis à des intercommunalités de travailler sur un projet éducatif global en s’assurant de la contribution des services de la collectivité, avec un périmètre dépassant parfois le seul service jeunesse et s’étendant, autre aspect positif, à des associations locales266.

Pourtant, des outils existent, et certain.e.s élu.e.s ont su, avec les acteur.rice.s de leur territoire, s’en saisir. Jean Maillet, secrétaire général de l’UNADEL observait en entretien avec les rapporteur.e.s que c’est souvent moins les instruments techniques qui manquent en matière de politique de jeunesse, voire même les moyens financiers, que la volonté politique.

263 Olivier David, Le temps libre des jeunes ruraux : des pratiques contraintes par l’offre de services et d’activités de loisirs, Territoire en mouvement n°22 (2014), p. 90 à 95.

264 Entretien de Patricia Loncle-Moriceau avec les rapporteur.e.s.

265 Jean-Pierre Halter INJEP  : Politiques de jeunesse et intercommunalités  : monographies des communautés de communes du bassin de Marennes et de l’île d’Oléron, INJEPR-2016/01 (novembre 2015).

266 Audition de Jean-Pierre Halter par la section.

Rapport

Nombre de communes, y compris dans les espaces ruraux, consacrent en effet des moyens non négligeables à bâtir un équipement parfois coûteux et de grande qualité pour la petite enfance, mais la mobilisation est en général moins forte pour développer une politique de jeunesse globale.

Jean Maillet souligne à cet égard l’importance que les politiques conduites associent, au-delà des seul.e.s élu.e.s, les acteur.rice.s de la société civile et les jeunes eux.elles-mêmes, et notait l’intérêt que peuvent présenter pour ce faire les pays ou les structures assorties d’un véritable conseil de développement participatif267.

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