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Le risque d'une incompréhension menant au refus et au renoncement 127 du soin : entre autonomie et non-discrimination

Chapitre 2- La dénonciation de l’inadéquation d'une prise en charge se focalisant sur le corps et le poids

III- Le risque d'une incompréhension menant au refus et au renoncement 127 du soin : entre autonomie et non-discrimination

La stigmatisation qui se retrouve dans le domaine du soin influence la relation de soin mais également les diverses prises en charge existantes. De fait, lorsque ces situations se présentent il y a un risque pour que le patient refuse ou abandonne le soin. Ces cas sont préoccupants car des personnes ayant besoin d’un accompagnement de santé régulier se retrouvent dans une situation contraire. Le refus de soin fait appel à l’autonomie du patient et est un droit cependant ici il s’agit plus d’un abandon de soin. En ce sens il paraît important d’évoquer le droit à un égal accès au soin qui sous-entend la non-discrimination dans le soin.

Toute prise en charge de soin repose sur une information claire, loyale et appropriée essentielle dont découle le consentement libre et éclairé du patient nécessaire dans le soin. Ce droit du patient et devoir du soignant est affirmé dans le droit français. En ce sens, l’Article

126 Témoignage utilisé dans le livre de MARX Daria et PEREZ-BELLO Eva, Gros n’est pas un gros mot :

chronique d’une discrimination ordinaire, ed : Librio, 2018.

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Le terme renoncement dans le soin à notamment été relevé dans un avis de la Commission Nationale Consultative des droits de l'Homme en 2018. Cependant ce terme été auparavant utilisé dans le 11ème baromètre

R4127-36 du code de la santé publique128 prévoit que lorsque le patient, en état d’exprimer sa

volonté, refuse les investigations ou le traitement proposé, le médecin doit respecter ce refus - hors certaines exceptions129- quel que soit le motif invoqué, après avoir informé le patient des

conséquences. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre le traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. La loi du 2 février 2016 réaffirme ce droit au refus de soin qui découle d’un principe de respect de l’autonomie du patient. Le médecin qui respecte le refus de soin ne commet alors aucune faute130. Or la loi met le soignant dans une situation complexe, entre

nécessité de respecter le choix du patient d’un côté, et d’un autre, la nécessité de tout faire pour le convaincre, au risque de biaiser un consentement qui doit rester libre et éclairé.

Outre ce point, la loi indique que le médecin doit se demander s’il s’agit réellement d’un refus de soin. En effet plusieurs facteurs entrent en compte, comme la faculté de compréhension du patient et la spécificité de la situation de soin. Ce questionnement nous apparaît d’autant plus essentiel dans notre sujet qui présente plutôt un abandon qu’un refus de soin. Le refus de soin implique directement l’autonomie du soignant. En effet le concept d’autonomie représente la capacité d’une personne à se gouverner elle-même. Ainsi en affirmant un refus, le patient affirme sa position, une liberté de choix et par là-même son identité, en se détachant d’une possible dépendance soignante. Cependant dans notre sujet l'abandon de soin semble plus approprié, ce qui au final, sous l’apparence de l’expression d’une autonomie, met à mal le patient. En effet ici le rejet de soins ne semble pas directement émaner d’une autonomie du patient mais plutôt d’expériences antérieures qu’il rejette. Ce choix peut ainsi refléter un mécanisme de fuite face à une relation jugée inadéquate. En ce sens, le sujet est plutôt privé d’autonomie et de liberté.

En effet, le défenseur des droits a constaté dans un rapport que « les conséquences pour les usagers discriminés vont du sentiment d'humiliation à un véritable renoncement aux soins »131. Ce mécanisme est également relevé par la Commission Nationale Consultative des

128Article R.4127-36 du CSP, « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans

tous les cas. Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. »

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Article 16-3 du code civil : lorsque le pronostic vital est engagé ou lorsque le patient représente une menace pour la sécurité publique. De plus la jurisprudence ajoute la nécessité qu’il n’y ai aucune autre alternative thérapeutique possible et qu’elle soit proportionnée à l’état de santé du patient CAA Paris, Plénière, 09-06-1998.

130 Cour de Cassation, Chambre criminelle, 3 janvier 1973, n°71-91.820. « L’information n’a révélé à l’encontre

de l’inculpé aucune faute caractérisée qui puisse être un élément constitutif du délit d’homicide involontaire ou du délit de non-assistance à personne en péril, la thérapeutique adéquate prescrite par lui n’ayant pas été appliquée en raison du refus obstiné et même agressif de la dame X… »

Droits de l'Homme qui révèle que les paroles déplacés ou encore le manque de matériels adaptés engendre un renoncement aux soins132. Or ce mécanisme met à mal l’autonomie de la personne. En outre, Delphine Martinot et Jean-Claude Croizet relèvent un mécanisme de protection des personnes stigmatisées qui consiste à se désengager de domaines pour lesquels elles sont considérées inaptes133. Ainsi, un sujet qui entend dire régulièrement et par différentes

personnes, qu’il n’est pas capable de contrôler son alimentation va tout simplement se désengager de toute lutte en tombant dans le stéréotype précité. Ce désengagement peut même être anticipé par l’individu qui renonce directement à des actions pour lesquelles il se pense inapte. Ainsi, comme le notent les auteurs, « en se désengageant d’un domaine par anticipation de la difficulté à venir, l’individu réduit l'impact des renforcements négatifs sur son estime de soi »134. Ceci se répercute sur l’accès aux soins puisqu’un grand nombre de patients en situation

d’obésité expliquent appréhender un soin ou simplement ne plus avoir envie d’aller à un rendez-vous de soin par peur de subir un mauvais comportement. En effet, dans le questionnaire de recherche, 47,7% des patients interrogés ont indiqué avoir déjà redouté un contact médical par peur d’une stigmatisation ou d’une remarque et 62,7% ont indiqué avoir déjà subi une expérience négative avec un soignant en lien avec la corpulence, le poids ou le mode de vie. Un patient précise : « Oui plusieurs fois, à tel point que même en sachant être malade, je ne me rends plus chez le médecin ou presque ». Ainsi, la présence de stéréotypes dans le soin explique l'existence d’incompréhensions qui poussent à un refus ou à un abandon de soin, situation alors discriminatoire et contraire à l’article L1110-3 du CSP.

Les soignants ont la possibilité de refuser des soins pour des raisons personnelles et professionnelles, néanmoins cette possibilité ne doit pas être fondée sur une justification discriminatoire et n’est pas possible en cas d’urgence. De plus il est obligatoire de mettre en place une continuité des soins en s’assurant qu’un autre médecin ou établissement poursuivent la prise en charge. Dans le cas contraire, le refus de soin ne pourra être opposable au patient. Dans notre situation, une incompréhension du soignant face à son patient, un sentiment de ras-

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CNCDH commission nationale consultative des droits de l'Homme Avis du 22 mai 2018 « Agir contre les maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour respecter les droits fondamentaux », « La CNCDH

déplore que des maltraitances puissent être à l’origine du renoncement aux soins chez certains patients. Le traumatisme de paroles déplacées108, le manque de matériel adapté109, des injonctions de traitements impossibles à suivre, des reproches en lien avec la méconnaissance de la situation des personnes, ainsi que des actes discriminatoires poussent des patients au renoncement. », p.28

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CROIZET Jean-Claude et LEYENS Jean-Philippe (eds.), Mauvaises réputations : réalités et enjeux de la

stigmatisation sociale, éd : Armand Colin, Paris, 2003. J.-C. Croizet et D. Martinot, « Stigmatisation et estime de

soi », Chapitre 1, p.28

le-bol ou encore un sentiment d’incompétence peuvent mener le soignant à refuser de prendre en charge un patient. Or ici les raisons invoquées nous paraissent difficilement défendables, au risque de correspondre à un refus discriminatoire. La discrimination est directement associée à une situation de vulnérabilité. En droit, la Cour européenne des droits de l’Homme est la première à utiliser le concept de vulnérabilité pour fonder un préjudice par discrimination135.

Le droit français a par la suite condamné des actes jugés discriminatoires. En effet, des jugements, qui portent notamment, sur l’apparence physique sont punis par l’article 225-1 du code pénal qui indique que « constitue une discrimination, toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique… ». Cependant l’application d’un préjudice de discrimination n’est pas évident. En effet pour qu’il soit acceptable, et débouche donc sur un dédommagement, il est nécessaire qu’il y ait eu un empêchement dans l’accès à un droit de la personne. Or dans notre sujet, même s’il existe un droit d’égal accès à tous à la santé, indiqué à l’article L.1110-1 du CSP, dont la protection est une valeur constitutionnelle136 consacré au niveau européen137, le

refus d’un soignant ne limite pas la possibilité du patient de son droit de choisir une autre possibilité de prise en charge. Il apparaît compliqué de caractériser juridiquement cette situation.

Ces situations, qu’il y ait discrimination ou non, créent ou renforcent des inégalités dans l’accès aux soins, mettant à mal un désir de prendre soin de sa santé. Elles peuvent alors mener à des aggravations de la maladie, avec une prise de poids ou par une aggravation de risques déjà présents mais également par une prise en charge inadéquate. En effet lorsque l’accès aux soins est évoqué ce n’est pas seulement par le fait d’aller consulter mais également par l’existence de prises en charge ou de matériels adaptés. Par exemple, le médecin Didier Ménard, auditionné par la CNCDH le 14 février 2018138 évoque le cas de soignants qui ne

voient pas l'intérêt de parler de contraception ou de sexualité à des personnes en surpoids car « cela ne les concernent pas ».

135

CEDH, Arrêt Dudgeon contre Royaume-Uni du 22 octobre 1981

136

Alinéa 11 préambule de la constitution de 1946, « [La Nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère

et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».

137 Article 11 Charte sociale européenne, « Toute personne a le droit de bénéficier de toutes les mesures lui

permettant de jouir du meilleur état de santé qu’elle puisse atteindre ».

138 CNCDH commission nationale consultative des droits de l'Homme, Avis du 22 mai 2018 « Agir contre les

maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour respecter les droits fondamentaux ». 76p. Adopté

avec 20 voix pour, 7 contre et 7 abstentions lors Assemblées plénière. (Auditions des différents acteurs du systèmes de soins en France : soignants, patients, associations)

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