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La dénonciation de la grossophobie médicale comme revendication face à l’existence d’inégalités sociales et de genres

en charge optimale

I- La dénonciation de la grossophobie médicale comme revendication face à l’existence d’inégalités sociales et de genres

Dans notre étude nous avons pu percevoir que les situations d’obésités sont complexes à prendre en charge. Ainsi nous nous sommes demandé si le contexte socio-professionnel des patients pouvait renforcer cela. Cette question posée dans le questionnaire mis en ligne pour cette étude a révélé que 45,7% des répondants sont employés, 16,9% sont sans activités professionnelles et 15% sont cadres. Ces résultats sont apparus intéressants au regard d’un autre facteur essentiel dans notre étude, celui de la précarité. En effet, l’enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité ObEpi, réalisée en 2012 indique que les catégories socioprofessionnelles défavorisées sont les plus touchées par l’obésité avec une prévalence de 16,7% chez les ouvriers et 16,2% chez les employés contre 8,7% chez les cadres supérieurs307.

307 ObEpi, « Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité », INSERM / KANTAR HEALTH /

Ainsi, les situations d’obésités doivent également être comprises comme des situations liées, ou plutôt renforcées, par l’existence d’inégalités sociales. Par exemple, le manque de revenus limite la consommation adéquate mais également l’accès aux soins. Dans cette problématique, Solenn Carof indique que « le fait que la prévalence de l’obésité soit plus élevée dans les catégories sociales défavorisées accentue [les] représentations péjoratives, qui conduisent parfois à des actes de stigmatisation et de discrimination »308. Ainsi il apparaît d’autant plus difficile de prendre en charge des patients qui d’une part présentent une pathologie complexe, mais qui d’autre part sont dans un contexte social qui limite l’accès aux soins ou bien l’entendement de la prévention. La discrimination est alors double et contraire à la loi309, un

risque renforcé par l’apparition d’une imbrication des discriminations.

Malgré l’existence de ce risque, une étude menée par questionnaire sur 856 médecins généralistes révèle que 92,5% d'entre eux indiquent rencontrer des difficultés dans la prise en charge de patients en situation de précarité310. Les auteurs expliquent ceci par des limites dans la formation des soignants pour repérer la précarité ainsi qu’un manque d’informations pour proposer des solutions alternatives aux patients présentant des difficultés financières311. L’étude conclue sur le fait que les difficultés ressenties par les soignants influencent les inégalités socio-culturelles ainsi que l’accès aux soins. Elle relève également que l’image de soi mais également le lien social sont essentiels pour permettre un accès aux soins efficace312. Ceci nous apparaît d’autant plus important concernant la prise en charge de l’obésité car, non seulement le facteur psycho-social joue sur la prise de poids, mais en plus il limite la perception d’une situation pathologique et donc l’accès aux soins. La double complexité que peut présenter le patient en situation d’obésité et de précarité risque de provoquer un renoncement du soignant. Ce constat est également mentionné de manière plus générale dans un rapport de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme qui indique que le soignant doit apprendre à s’adapter au patient afin de garantir le droit à l’égal accès aux soins. Dans ce

308 CAROF Solenn, « Les représentations sociales du corps gros, un enjeu conflictuel entre soignants et soignés

», Anthropologie et Santé, n°14, 2017, p.13

309 Article L.1110-3 du Code de la Santé Publique, « Aucune personne ne peut faire l'objet de discriminations

dans l'accès à la prévention ou aux soins. »

310 FLYE SAINT MARIE Cécile, QUERRIOUX Isabelle, BAUMANN Cédric, DI PATRIZIO Paolo, «

Difficultés des médecins généralistes dans la prise en charge de leurs patients précaires », S.F.S.P Santé Publique, vol. 27, 2015, p.679-690

311

Op. Cit., « La formation proposée aux internes de médecine générale qui répond aux besoins identifiés au cours des entretiens gagnerait à être obligatoire, [...] Une formation basée sur l’approche pluridisciplinaire pourrait être proposée à l’ensemble des spécialités, dès le premier cycle des études médicales, puis de façon plus pratique au cours de la spécialisation mais aussi en formation continue. », p.690

312 Op. Cit., « Nous avons montré que les difficultés ressenties par les médecins contribuent aux inégalités socio-

culturelles d’accès à la santé. L’accompagnement des patients, un travail renforcé sur l’image de soi et le lien social ont été identifiés comme des déterminants majeurs d’accès à la santé », p.679

rapport, la Commission recommande de « renforcer la pratique clinique et [d’] apprendre à s’adapter aux patient » 313. Emerge alors une nécessité de rompre avec l’influence des

représentations sociales liées au poids mais également à la situation de précarité.

En outre, un autre facteur d’inégalités apparaît dans notre étude, celui du genre. En effet, notre questionnaire de recherche diffusé auprès de patients a reçu une majorité de réponses de femmes, 93,3%, contre 5,4% de participation masculine. De plus les témoignages relevant la grossophobie médicale viennent majoritairement de femmes. Ceci se retrouve également au regard d’associations qui luttent contre la grossophobie et dont les messages sont relayés par un grand nombre de femmes. Ce constat nous est apparu d’autant plus surprenant qu’il n’y a pas de différence significative entre hommes et femmes quant aux situations d’obésités. En effet l’enquête ObEpi indique que la situation d’obésités concerne 15,7% des femmes et 14,3% des hommes314. Mais alors comment expliquer que les femmes soient plus concernées que les hommes par la grossophobie ? Lors d’un échange mail dans le cadre de cette étude, un patient répond :

« 1) on apprend aux garçons à fermer leur bouche ("boys don't cry", etc.) 2) si certaines formes de discriminations frappent les hommes et les femmes de la même façon (et puis à partir d'un certain stade, on n'est plus homme ou femme dans la tête des gens, on est juste "gros"), on juge plus vite et plus fort les femmes que les hommes là-dessus. » 315

Cette réponse nous pousse à compléter notre question. Les femmes semblent plus subir la grossophobie que les hommes, mais il nous faut pourtant nuancer ce constat. Est-ce que la femme perçoit plus la stigmatisation du corps que l’homme et est-elle plus à même de la dénoncer ? Là encore les représentations sociales influencent les comportements. D’une part le contrôle de l’image du corps est plus important pour la femme, mais d’autre part la représentation sociale de la masculinité engendre une perception différente de la stigmatisation, du regard posé sur le corps mais également sur la possibilité de dénoncer cela.

313

CNCDH, « Agir contre les maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour respecter les droits fondamentaux » , Avis, 22 mai 2018, « Des cours de sensibilisation à la diversité des patients doivent aussi être

mis en place. [...]Au terme de ce type de formation, les professionnels sont en mesure de mieux répondre aux demandes des personnes en précarité, ce qui favorise l’accès aux droits. » , p.57

314 ObEpi, « Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité », INSERM / KANTAR HEALTH /

ROCHE, 2012 [Disponible en ligne : http://www.roche.fr/content/dam/roche_france/fr_FR/doc/obepi_2012.pdf], p.15

Évoquons d’abord l’importance que revêt la minceur et qui semble être plus forte chez la femme que chez l’homme. Thibault de Saint Pol souligne qu’un plus grand nombre de femmes que d’hommes disent pratiquer, ou avoir pratiqué, une mesure amaigrissante. Il explique cela par le fait que « Les principes sexuants et les idéaux de beauté sont incorporés, et le corps en porte la marque à la fois dans sa chair et dans ses usages »316. Or ces représentations sont

apprises dès l’enfance tout comme l’association entre norme corporelle et genre. Pour étayer son assertion, l’auteur prend l’exemple bien connu de Cendrillon, héroïne du conte de Charles Perrault, qui est reconnue par le prince grâce à la minceur de son pied. Georges Vigarello évoque également l’importance du contrôle du corps de la femme par le port du corset317. Ainsi

nous pouvons comprendre que le contrôle et l’image du corps est plus présente chez la femme. En outre Véronique Nathoum-Grappe indique qu'être « socialement laide, pour une fille, constitue une faute identitaire majeure dans notre société »318. Cette analyse renforce l’importance que prend le contrôle du corps et l’esthétique chez la femme en dépassant le seuils des apparences et en faisant partie de sa construction identitaire. Ceci apparaît de manière flagrante dans les données chiffrées, illustrant la répartition par sexes, des personnes ayant eu recours à la chirurgie bariatrique : 78,7% de femmes contre 21,3% d’hommes319. Un rapport de la Direction de la Recherche, des

Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES), explique ces résultats par une socialisation, qui diffère selon le sexe, engendrant une plus grande sensibilité des femmes quant à leur santé mais également une insatisfaction plus grande que chez les hommes quant à leur image corporelle320. Ceci nous permets de comprendre pourquoi les femmes sont plus sujettes à la grossophobie médicale. Cela dit cette réflexion n’explique qu’en partie les résultats de notre questionnaire.

En effet, l’apparence a évolué en réponse aux volontés émancipatrices de la femme et ceci se révèle au regard de l’évolution de la mode. Le couturier Paul Poiret rompt le premier avec le port du corset, et Coco Chanel féminise le costume masculin. L’image du corps a eu un rôle à jouer dans les revendications féministes321. Ainsi, il semble approprié de dire que la lutte

316 SAINT POL Thibaut, Le corps désirable : hommes et femmes face à leur poids, éd : Presses Universitaires de

France, Paris, 2010, p.20

317 VIGARELLO Georges, Les métamorphoses du gras. Histoire de l’obésité, éd : Seuil, 2010, « En temps de

précarité, le gros fut signe de richesse et de santé », p.66

318 TESTARD-VAILLANT Philippe, « Le diktat des apparences », CNRS le journal, n°222, juillet-août 2008 319 ObEpi, « Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité », INSERM / KANTAR HEALTH /

ROCHE, 2012, [Disponible en ligne :

http://www.roche.fr/content/dam/roche_france/fr_FR/doc/obepi_2012.pdf], p.58

320

OBERLIN Philippe, MOUQUET Marie-Claude, « La chirurgie de l’obésité en France de 1997 à 2003 »,

DREES Études et Résultats, n°410, juillet 2005

contre la grossophobie s’inscrit également dans une lutte féministe. En outre, de par un contrôle de son corps et une prise de conscience avérée, la femme est peut-être plus à même d’identifier une stigmatisation. Cette hypothèse est confirmée par une étude américaine qui indique que les femmes perçoivent plus la stigmatisation relative au poids que les hommes322.

L’homme occidental n’a pas eu ce parcours de revendication. Daniel Welzer-Lang évoque la construction du masculin et indique que la virilité est socialement établi de manière à garantir une supériorité par rapport à la femme323. De fait, la virilité concentre des valeurs de forces et de pouvoirs. Cette représentation est là encore apprise dès l’enfance et façonne les comportements. Cette construction, aujourd’hui remise en question, mais dont notre société conserve des traces, explique qu’une plainte d’un homme, quant à une stigmatisation subie soit moins aisée voire moins bien perçue, que celle d’une femme. Quoiqu’il en soit, il apparaît nécessaire de prendre en compte les situations sociales ainsi que le vécu du patient afin de permettre une relation de soin puis une prise en charge adaptées.

II- Les limites d’une prévention contre la prise de poids qui renforce les

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