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Les limites d’une prévention contre la prise de poids qui renforce les représentations sociales et la culpabilisation

en charge optimale

II- Les limites d’une prévention contre la prise de poids qui renforce les représentations sociales et la culpabilisation

La prise en compte des déterminants sociaux que nous venons d’évoquer est essentielle à tous les niveaux de la santé. Or est-ce le cas lors de l’élaboration de la prévention de lutte contre le surpoids et l’obésité ?

Une article du journal Le Monde, publié en 2005 énonce : « L'obésité, première pandémie mondiale non contagieuse »324. Cette phrase met en avant le fait que l’obésité est en constante

évolution dans le monde sans qu’il s’agisse d’une contagion caractérisant pourtant toutes les autres pandémies. La pandémie représente l’extension d’une maladie à un niveau mondial325.

322 PUHL Rebecca M., ANDREYEVA Tatiana,BROWNELL Kelly D., « Perceptions of weight discrimination :

prevalence and comparison to race and gender discrimination in America », International Journal of Obesity, n°32, 992-1000, juin 2008

323 WELZER-LANG Daniel, « La mixité non ségrégative confrontée aux constructions sociales du masculin »,

Revue française de pédagogie, vol. 171, avril-juin 2010, « nous avons défini la virilité ainsi :« La virilité revêt un double sens : 1) les attributs sociaux associés aux hommes, et au masculin : la force, le courage, la capacité à se battre, le “droit” à la violence et aux privilèges associés à la domination de celles, et ceux, qui ne sont pas, et ne peuvent pas être, virils : femmes, enfants… 2) la forme érectile et pénétrante de la sexualité masculine. La virilité, dans les deux acceptions du terme, est apprise et imposée aux garçons par le groupe des hommes au cours de leur socialisation pour qu’ils se distinguent hiérarchiquement des femmes. », p.17

324 « L’obésité, première épidémie non infectieuse de l’Histoire », Le Monde, 02/07/2005, [Disponible en ligne : https://www.lemonde.fr/planete/article/2005/07/02/l-obesite-premiere-epidemie-non-infectieuse-de-l-histoire- par-philippe-froguel_668105_3244.html]

325

Dictionnaire Larousse, « Pandémie », [Disponible en ligne :

Or ce constat est difficile à percevoir pour une pathologie qui n’est pas virale. Ainsi ce discours pathologique et alarmiste est transposé aux situations d’obésité afin d’informer sur les risques et les enjeux. En effet, en France 54% des hommes et 44% des femmes sont en surpoids ou en obésité (au sens de présentant un IMC supérieur ou égal à 25)326. En outre l’OMS indique qu’en

2016, plus de 1,9 milliard d’adultes étaient en surpoids dans le monde, dont 650 millions de personnes en situation d’obésité, indiquant alors que « le nombre de cas d’obésité a presque triplé depuis 1975 »327. Ainsi la mise en avant d’un risque sanitaire influence toute la société. Ce discours prend toute sa dimension fataliste par le fait qu’il copie celui des pandémies virales alors que, dans cette situation, l’obésité n’est pas contagieuse et que aucun traitement direct ne peut être apporté. De fait la prévention devient importante malgré les lacunes qu’elle présente. L’HAS indique que :

« La prévention consiste à éviter l'apparition, le développement ou l'aggravation de maladies ou

d'incapacités ; Sont classiquement distinguées la prévention primaire qui agit en amont de la maladie (ex : vaccination et action sur les facteurs de risque), la prévention secondaire qui agit à un stade précoce de son évolution (dépistages), et la prévention tertiaire qui agit sur les complications et les risques de récidive. » 328

Ainsi les premières étapes de la prévention consistent à éviter le développement d’une maladie. De fait, ceci appliqué à l’obésité semble poser problème car le discours sanitaire ne porte que sur la prévention des causes pouvant engendrer la perte de poids et principalement l’acte de manger. En effet, l’OMS indique que les principales causes de la prise de poids sont l’alimentation et le manque d’activité physique329. Cette considération se retrouve dans le

Programme National Nutrition Santé lancé en 2001 qui promeut le désormais célèbre slogan manger-bouger. Or dans le cadre de notre étude, 85,1% des patients et 69,2% des soignants interrogés considèrent que les messages de prévention peuvent être culpabilisants pour les personnes en situation d’obésités. Ainsi, un discours focalisé sur l’acte de manger et sur le manque d’activité physique semble promouvoir des représentations déjà existantes et renforcer alors la stigmatisation qu’elles entraînent. En outre une prévention qui se fixe sur les risques

326 Équipe de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Esen). « Étude de santé sur l’environnement, la

biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) 2014-2016 »,Santé publique France, 2017, Volet nutrition. Chapitre Activité physique et sédentarité, 58 p.

327 OMS, « Obésité et surpoids. Principaux faits », 16/02/18, [Disponible en ligne : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight]

328 HAS, « Prévention », 31/08/2006, [Disponible en ligne : www.has-sante.fr] 329 OMS, « Obésité et surpoids. Principaux faits », 16/02/18, [Disponible en ligne : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight]

en vient à diaboliser et à renforcer la dimension alarmiste des situations d’obésités caractérisées d’épidémie sans pour autant être expliquées. Une patiente témoignage :

« Je suis allée à Malte ( avant d’être obèse ), il y avait beaucoup de campagne publicitaire en

prévention à l'obésité. Énormément de parcs à tous les coins de rue avec des parcours santé. [...] Ce fut la première fois que j’avais pris conscience que d’être obèse était une maladie et un handicap [...]. Je pense qu’en France on aborde pas suffisamment le sujet, ce qui provoque aussi la grossophobie dans notre société. On a peur de ce qu on ne connaît pas et de ce qu’on ne comprends pas. »

Nous pouvons alors penser qu’une prévention qui prend en compte la dimension globale est multifactorielle de l’obésité, sans pointer du doigt un point particulier, ni un comportement, et faisant le lien avec la promotion de la santé, pourrait s’avérer plus efficace et moins stigmatisante. En outre, un rapport d’information de l’Assemblée Nationale portant sur la prévention de l’obésité indique que la lutte contre la stigmatisation et la discrimination des personnes en situation d’obésité est action de prévention330. En ce sens, un soignant interrogé indique que les messages de prévention peuvent ne pas devenir culpabilisant « si ce sont les personnes concernées qui les élaborent ».

De plus, la non prise en compte de la vie mais également des différents déterminants sociaux qui façonnent l’obésité semble être une lacune dans l’élaboration de la prévention en France. Dans sa thèse, Lucas Bloc écrit que l'obésité représente plus un rapport d'être au monde qu'une condition physique331. Ceci sous entend la nécessité de comprendre le contexte de vie du patient. Ainsi, ne prenant pas en compte toutes les dimensions des situations ainsi que les singularités des patients, la prévention générale peut s’avérer inutile voir contre-productive. Pour le philosophe Paul Ricoeur les actions qui émanent des institutions peuvent être bonnes et justes, et si ce n’est pas le cas elles peuvent renforcer les inégalités et leurs actions sont alors discutables sur le plan éthique332. Il insiste aussi sur la nécessité de considérer autrui comme un soi-même afin de constituer une norme morale et universelle du juste. Ainsi, il faut prendre conscience que le contexte social de base est inégalitaire, et qu'il faut adapter les mesures pour

330 Assemblée Nationale, « Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la

commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en conclusion des travaux de la mission sur la prévention de l’obésité », présenté par Valérie Boyer, n°1131, 30/09/2008, p.93 à 97

331 BLOC Lucas, « Approche phénoménologique de l’expérience hyperphagique dans l’obésité : une étude dans

les contextes français et brésilien », Thèse de doctorat en Psychanalyse et Psychopathologie, dir. WOLF- FEDIDA Mareike, p.96

332 RICOEUR Paul, Soi-même comme un autre, éd : Seuil, Paris, 1990, « Une vie bonne, avec et pour autrui,

rétablir l'égalité. Cette recherche de l'égalité n'est possible que si l'on fait en sorte que les institutions soient justes.

En outre la démarche de prévention copie celle mise en oeuvre pour lutter contre l’alcool ou le tabac. Or la situation nous apparaît difficilement comparable. En effet l’idée est de lutter contre des comportements qui présentent des risques pour la santé. Cependant il est possible pour un individu de stopper complètement une consommation d’alcool ou de cigarette mais il ne lui est pas possible de ne plus manger. Ainsi le patient se retrouve confronté à cette problématique au quotidien. En ce sens, insister sur des comportements interdits n’est peut-être pas la meilleure solution. D’autant plus que la mesure actuelle nous apparaît aller à l’encontre de la promotion de la santé en étant une mesure plus punitive voire paternaliste. Or cela ne fait que renforcer l'absence d'égalité des chances. La société doit maximiser le bien-être des personnes les moins favorisées : les inégalités doivent être attachées à des possibilités ouvertes à tous dans des conditions d'égalité des chances.

Didier Tabuteau indique, dans un article de 2004, que l’action publique lutte contre les dangers de santé par des arbitrages imposants des restrictions et interdictions333. Ainsi le motif de santé publique est devenu une notion légitimant toute contrainte des pouvoirs publics sur les libertés individuelles. Les mesures coercitives veulent marquer la crainte afin de prohiber des comportements. Or l’auteur remarque que ceci est parfois contradictoire, « Trop d’interdictions tue l’interdiction en la banalisant ou en la rendant intolérable. »334 L’auteur

évoque également la dimension informative prise par l’action sanitaire, avec l’exemple de l’étiquetage de produit trop sucrés, trop gras, trop salés. En ce sens l’équilibre entre sécurité et liberté se pose en santé publique. Cette démarche prend un aspect plus éducatif, cependant l’auteur dénonce une norme impérative qui peut s’avérer être infantilisante335. De plus

l’accumulation d’informations mène à sa banalisation. Là encore se pose le problème d’une inégalité de santé dans le sens où les personnes les plus défavorisées sont moins sensibles aux campagnes d’informations. Ainsi la prévention améliore la santé des plus aisés336. Ceci nous

apparaît d’autant plus paradoxal que nous avons vus que la population défavorisée était la plus

333 TABUTEAU Didier, « Les interdictions de santé publique », Presses de Sciences po : Les tribunes de la santé,

n°17, 2017, « Cette expansion des réglementations sanitaires pose la question de la finalité et de la nature des

normes sanitaires, des arbitrages qui s’imposent aux sociétés démocratiques en ce domaine et, en fin de compte, de la légitimité des interdictions de santé publique. », p. 33

334 TABUTEAU Didier, « Les interdictions de santé publique » Presses de sciences po : les tribunes de la santé,

2007, n°17, p.35

335 Op.Cit. p.35, « Ces actions sont, à l’évidence, bienvenues dans la mesure où elles diffusent des connaissances

sanitaires sans encourir le reproche de l’infantilisation, qui peut être fait à la norme impérative. »

336

Idem, p.35, « Les populations les plus défavorisées sont, pour des raisons économiques et socio-culturelles,

sensible à l’obésité. Outre ce point, de nouvelles actions de préventions semblent renforcer une dimension punitive sous couvert de responsabilisation. C’est le cas pour les actions représentant un impact financier par le biais de remboursements de santé par exemple. On fait porter le coût sur les individus dont les mauvais comportements engendrent un coût pour la société. Un patient témoigne :

« On m’a déjà suggéré de me suicider pour coûter moins cher à la sécurité sociale. »

Nous observons alors qu’un acte coercitif de prévention, qui veut promouvoir de bons comportements, peut engendrer ou bien renforcer des idées reçues sur les situations d’obésités et par là-même, affermir la stigmatisation.

Nous évoquons également des méthodes de prévention issues de la science comportementale comme le nudging. Cette méthode théorisée par l’économiste Richard Thaler et le juriste Cass Sustein en 2008337, veut modifier l’environnement des individus afin d’en influencer les comportements. Ces mesures qui se développent entraînent des polémiques dont la plus importante concerne le respect de l’autonomie de la personne. Ainsi la recherche d’un équilibre entre sécurité sanitaire et libertés publiques continue à faire débat.

La loi Kouchner du 4 mars 2002 donne, pour la première fois, une définition de la politique de prévention dans l’article L.1417-1 du Code de la Santé Publique qui indique la nécessité de favoriser des comportements individuels mais également collectifs338. Il est également mis en

avant la notion de promotion de la santé qui veut donner à chacun les outils pour protéger et améliorer sa propre santé. Par conséquent, la notion de santé est prise entre une action publique très coercitive et une volonté de réhabiliter la liberté de chacun339. Cependant, ce lien étroit

entre comportements individuels et contexte social ne semble pas être perçu par les politiques de préventions qui restent figées sur des comportements sociaux à prohiber.

337 THALER Richard et SUSTEIN Cass, Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision, éd : Pocket,

2012 (1ère éd. 2008)

338 Article L.1417-1 CSP, « La politique de prévention a pour but d’améliorer l’état de santé de la population en

évitant l’apparition, le développement ou l’aggravation des maladies ou accidents et en favorisant les comportements individuels et collectifs pouvant contribuer à réduire le risque de maladie et d’accident [...] »

339

PERETTI-WATEL Patrick et MOATTI Jean-Paul, Le principe de prévention. Le culte de la santé et ses

III- Les enjeux de la responsabilité en santé : la limite des injonctions contre les

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