• Aucun résultat trouvé

PARTIE II- Vers une compréhension du problème dénoncé : les influences de perceptions socialement construites et divergentes

Chapitre 1 : La construction du rapport au corps gros de la société à la médecine

I- L'apport phénoménologique de Merleau-Ponty dans la perception du corps

M. Merleau-Ponty, philosophe français du XXème siècle, utilise la phénoménologie afin de mener une réflexion à travers l’expérience du sujet dont il étudie le vécu afin de déceler les échanges qu’il peut avoir avec les autres mais également avec son propre corps. Il « aborde la

perception par rapport à l'extérieur de celui qui perçoit »201. Cette perception s’exprime par l’expérience de la corporéité, le corps étant à la fois le touché et le touchant. Ceci apparaît d’autant plus intéressant puisque la relation de soin est un huis-clos de perceptions où la corporéité est centrale. Ainsi la réflexion de Merleau-Ponty permet de comprendre que le corps dépasse le statut d’objet car il fait partie intégrante de l’existence d’un sujet. L’auteur souhaite ainsi rompre avec l’idée que le corps est chose inerte, simple « enveloppe vivante de nos actions

», car selon lui des actions émanant du corps peuvent dépasser le sujet202.

M. Merleau-Ponty explique le corps comme un tout qui rend l’expérience du monde possible. Le corps vécu est, selon l’auteur, un fantasme qui se vit de l’intérieur du sujet. En comparaison à cela, il évoque le corps sujet qui donne un point de vue sur le milieu, accessible au sujet grâce à ce corps. Le corps est un ensemble d’éléments (sensoriels, temporels, moteurs) qui adaptent et rendent possible la perception. Ainsi, le sujet habite le monde selon la manière dont il habite son corps. C’est ce que l’auteur nomme alors le corps propre, qui perçoit et vit l'expérience, devenant ainsi moyen d’insertion au monde.

Outre la perception du monde, l’expérience de la corporéité permet de mettre en évidence la perception par le sujet de son propre corps. La conscience est essentielle, elle est « l’être à

201 BLOC Lucas, « Approche phénoménologique de l’expérience hyperphagique dans l’obésité : une étude dans

les contextes français et brésilien », Thèse de doctorat en Psychanalyse et Psychopathologie,Paris, 16 mai 2018 dir., WOLF-FEDIDA Mareike, p.109-110

202

MERLEAU-PONTY Maurice, La structure du comportement, éd : Puf, 2013, p.3. L’auteur prend l’exemple des actes fait de manière machinale et habituelle.

la chose par l’intermédiaire du corps »203. Ces relations rendent impossible une objectivation et une prise de distance du sujet par rapport à son corps. Ainsi ces interactions sont complexes car le sujet se construit par le monde dans lequel ils s'inscrit, mais ce monde n’existe que par l’emprise du corps sur lui. Le corps est donc un système structuré et structurant. Ainsi, il ne peut être réduit à un simple objet car « il a un rôle dans la production de sens »204. Se présentent alors deux perceptions : je suis un corps et j'ai un corps. Ces deux perceptions diffèrent beaucoup par l’affrontement de visions différentes205. Quelle que soit la perception, ce corps est mien car il diffère de celui des autres et permet d’adhérer au monde.

Or le regard médical porte, depuis des changements de conceptions que les auteurs situent entre le XVIIIème et le XIXème siècle206, une représentation scientifique et anatomique sur le corps qui devient une machine. Le corps sujet est brisé, le corps n'est plus qu'une masse qui reste encore le véhicule du sujet207. C’est en ce sens que Merleau-Ponty évoque le corps objet comme « mode d'être d'une chose »208, chose qui peut être décomposée et observée par tous. Ainsi ce corps qui façonne l’appartenance au monde peut se réduire à l'unique qualification d'objet. Merleau-Ponty parle alors de corps réel, de structure209. Ainsi deux perceptions s'affrontent dans la relation de soin, l’une du corps machine qui a un fonctionnement propre et

universel et celle portée par l’individu qui a sa propre perception vécue de son corps. Se

présente ainsi l’idée que les soignants ont perdu l’humain pour se centrer sur la maladie au détriment de l’aspect relationnel du soin.

Plus précisément dans notre sujet, le patient en situation d’obésité est tout d’abord perçu selon son physique. Le regard puis le discours se focalisent sur le corps et sa pathologie, occultant le plus souvent les sensations et le vécu du sujet. Lucas Bloc indique alors : « En cas

d’obésité, être obèse et avoir une obésité sont ainsi deux dimensions apparemment égales mais

203 MERLEAU-PONTY Maurice, Phénoménologie de la perception, éd : Gallimard, 1976, p.161 204

BLOC Lucas, « Approche phénoménologique de l’expérience hyperphagique dans l’obésité : une étude dans les contextes français et brésilien », Thèse de doctorat en Psychanalyse et Psychopathologie, Paris, 16 mai 2018 dir. WOLF-FEDIDA Mareike, p.109-110

205 Op. cit. « Au niveau du corps, lequel est traversé par le regard des autres, il semble y avoir très souvent un

écart entre ce corps que l’obèse a et celui qu’il devrait avoir », p.304

206FAURE Olivier, « Le regard des médecins», dans CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques, VIGARELLO Georges, Histoire du corps. De la Révolution à la Grande Guerre, Tome 2, éd : Seuil, 2005, p. 15.

207BLOC Lucas, « Approche phénoménologique de l’expérience hyperphagique dans l’obésité : une étude dans

les contextes français et brésilien », op. cit. « L’organisme humain est devenu une machine énergétique chaque fois plus surveillée et mesurée, traversée par des savoirs et des images. » p.63

208DUPOND Pascal, Dictionnaire Merleau-Ponty, éd : Ellipses, Paris, 2007, p. 38.

209 MERLEAU-PONTY Maurice, La structure du comportement, éd. PUF, 2013, « celui que l’anatomie ou plus

généralement les méthodes d’analyse isolante nous font connaître : un ensemble d’organes dont nous n’avons aucune notion dans l’expérience immédiate et qui interposent entre les choses et nous leurs mécanismes, leurs pouvoirs inconnus »,p. 287

qui peuvent correspondre à une disproportion entre l’expérience vécue et l’image que le sujet a de son corps »210. En effet, le patient a un corps gros mais il est également ce corps. Il ne peut se détacher de sa condition corporelle, d’une part car, si l’on suit la réflexion de Merleau-Ponty, le corps forme un tout avec le sujet, et d’autre part car le regard d’autrui, de surcroît le regard médical, ramène la personne à cette condition d’obésité.

II- La place de l’intimité et de la dignité du patient face à une normalisation et

Outline

Documents relatifs