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Risque et incertitude dans le processus d’innovation

Il est un élément que l’on oublie trop souvent dans le système français : sans entreprise, il n’y a pas passage de la recherche à l’innovation.

Dans le monde entier, on enseigne en même temps l’innovation et l’entrepreneuriat. L’une et l’autre doivent aller de pair, faute de quoi les connaissances restent dans les laboratoires et n’atteignent pas la vie quotidienne.

En Inde sont formés chaque année plus de 10 millions d’entrepreneurs – on leur apprend à créer, à innover, à entreprendre.

De nombreuses innovations sont en préparation partout dans le monde.

Ces innovations font face à deux types d’aléas : ceux mesurables, prévisibles,

prévus, que l’on appelle généralement « risques », qui sont étroitement intégrés au sein du processus d’innovation, et ceux qui ne sont pas mesurables, qui sont incertains, qui rendent le processus flou et peuvent faire dévier la dynamique du progrès vers les abimes de l’échec.

1. Les deux temps de l’innovation

La notion de risque telle qu'elle est utilisée aujourd'hui apparaît ainsi comme un obstacle à l'innovation. Dans un registre plus sociologique, Beck baptise les sociétés contemporaines "sociétés du risque".

Il met ainsi l'accent sur le fait que le progrès et l'innovation sont aujourd'hui sur le banc des accusés, les citoyens ayant pris conscience des menaces technologiques générées par l'alliance parfois illégitime de la science et de l'intérêt économique, avec une perte du sens de l’idéal qu’il semble nécessaire de rattacher à toute innovation.

Mais en réalité, le risque est l’auxiliaire de l’innovation, de l'entrepreneur, le risque accompagne tout au long le processus d'innovation, aux différentes échelles de temps.

En effet, le processus d’innovation peut être scindé en deux sous-processus aux temps caractéristiques très différents. Le premier, à temps long, constitue le cadre global de l’innovation. Le risque s'inscrit préférentiellement dans cet univers au temps long, qui permet de calculer les rendements espérés sur des séries statistiques historiques. Mais lorsque le cadre global change, c’est tout le système de financement et de sécurisation du processus global d’innovation qui perd pied.

Ainsi, il faut un cadre global stable, cela signifie que l’on évite à tout prix l’incertitude. Car c’est cette incertitude qui cause les plus grands torts, et non le risque en soi. Un entrepreneur qui se met à son compte pour développer son produit sait qu’il prend un risque. Un financeur qui monte au capital d’une start-up sait qu’il peut perdre son capital, il a évalué le risque. Lorsque nous avons auditionné le représentant français de l’association des business angels et lors de nos auditions de financeurs particuliers ou institutionnels, tous étaient bien conscients qu’ils ne pouvaient attendre un retour sur investissement positif pour chacun de leurs placements.

Ainsi, le risque est parfaitement intégré, imbriqué, dans le processus normal d’innovation, et accepté par ses acteurs. La société Apple par exemple est souvent considérée comme l’entreprise la plus innovante du monde. Mais si l’on considère tous les produits qu’elle a commercialisés depuis sa création, on s’aperçoit que les trois quarts d’entre eux ont été des échecs ou des succès très moyens. Il n’y a eu que six véritables succès. Cependant, si un échec fait perdre 50 ou 100 millions de dollars à Apple, un succès rapporte 100 milliards. Et pour l’entreprise, six échecs pour un succès constituent un bon rapport.

En France, malgré un crédit impôt recherche dont ils profitent parfois démesurément, les grands groupes ne prennent généralement pas de tels risques.

C’est même ce risque qui constitue l’un des attraits de l’entrepreneuriat et de l’innovation, c’est ce risque qui crée la volonté de se surpasser pour réussir, pour faire mieux que ses concurrents, pour développer un produit en premier.

Mais cette évaluation du risque doit pouvoir reposer pour partie sur des éléments objectifs et invariants. L’incertitude juridique et fiscale, par exemple dans les cas du crédit-impôt recherche ou du statut de jeune entreprise innovante, voilà qui tue l’innovation dans notre pays.

Nous avons les connaissances scientifiques. Nous avons des gens prêts à prendre des risques, même si comme nous le verrons une part du problème vient de notre aversion au risque par une trop grande stigmatisation de l’échec, notamment à l’école. Nous avons des gens prêts à financer des entreprises. Mais tous ces acteurs veulent savoir à quoi s’en tenir avant de signer un chèque, ce qui est bien compréhensible.

2. La dynamique de l’innovation face à la demande de précaution

Le deuxième sous-processus, à temps bien plus court, constitue le temps rapide de l’entrepreneur innovant, de l’entreprise innovante.

Aux temps plus courts correspond la dynamique de l’entrepreneur, qui souhaite développer son produit, conquérir son marché. C’est cette impression de mouvement que chacun ressent lorsque l’on évoque l’innovation et qui semble de prime abord la plus naturelle.

Naturelle car une entreprise innovante se doit d’être protéiforme pour s’adapter à chaque instant à son environnement, et affronter l’imprévu, l’incertain, qui est le contexte courant de toute action et de toute prise de décision à cette échelle temporelle. L’entrepreneur doit savoir manœuvrer dans le brouillard, et être convaincu de son produit et de sa qualité pour arriver à bon port.

Mais cette rapidité soulève aussi de nombreuses questions sur le bien-fondé d’une innovation ou d’un nouveau produit, et sur son intérêt pour l’utilisateur. Ces questions, souvent légitimes, la société dans son ensemble demande à ce qu’elles soient posées.

Quelle est l’éthique de telle innovation ? Quel est le but recherché et atteint par telle innovation ? Quel est le « mieux-être » apporté par telle innovation ? La balance « bénéfice-risque » est-elle positive ?

Or, les temps étant de plus en plus courts, et les environnements de plus en plus concurrentiels, certaines des réponses apportées se révèlent incertaines. Il n’est plus toujours possible d’apporter des réponses claires en termes

d’éventualités possibles, de vraisemblance plus ou moins grande. Le mot probable est ainsi nuancé par les adverbes peu, assez, très, infiniment,…

La probabilité qu’un danger survienne, lié au risque par sa gravité, n’est ainsi plus connue en termes clairs. L’incertitude, due à une connaissance partielle, s’insère dans ce cadre et y ajoute de la confusion.

C’est de cette incertitude nouvelle que découle le principe de précaution.

Poussé à l’extrême, celui-ci requiert en effet l’exigence de preuve de l’inexistence d’un danger, et donc de la connaissance totale et parfaite d’un produit, connaissance utopique et frein à l’innovation.

Nous évoquerons le principe de précaution plus en détails dans la deuxième partie.

D. DÉVELOPPER L’INTÉRÊT DES JEUNES POUR LES SCIENCES ET

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