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Les conditions d’une utilisation efficace des brevets

D. L’importance des normes et des brevets dans la diffusion d’une innovation

2. Les conditions d’une utilisation efficace des brevets

L’utilité des brevets tient à la protection juridique qu’ils confèrent. C’est le moyen de s’opposer à la contrefaçon. Or celle-ci est réelle. Il ne se passe pas un jour sans que l’Institut national de la propriété industrielle ne soit saisi par une entreprise éprouvant des difficultés dans l’accès à des marchés extérieurs pour des raisons liées à la contrefaçon de brevets ou de procédés.

L’efficacité du système des brevets n’est toutefois ni absolue, ni éternelle. Des défis nouveaux apparaissent, et la situation est très évolutive, comme le montre la situation des pays émergents. Les remises en cause radicales restent néanmoins marginales. Mais il est de plus en plus nécessaire de trouver de nouvelles solutions plus efficaces en Europe pour permettre une protection efficace et moins coûteuse de la propriété intellectuelle.

a. Des défis nouveaux

M. Fabrice Claireau, directeur des affaires juridiques et internationales à l’INPI a souligné les défis auxquels les organismes de protection de la propriété intellectuelle sont aujourd’hui confrontés, lors de l’audition publique du 26 mai organisée par l’OPECST.

La situation se caractérise par un fort accroissement du nombre de brevets.

Aux États-Unis, 450 000 demandes sont déposées chaque année ; en Chine, 380 000 ; au Japon, 350 000. En Europe, 235 000 demandes sont déposées auprès de l’Office européen des brevets. Cela entraîne un certain nombre de défis, tenant

à ce nombre, mais aussi à la multiplicité des langues dans lesquelles sont déposés les brevets.

Plusieurs projets de mise en réseau des bases de données des offices de propriété industrielle sont en cours pour répondre au défi de l’accès des différents inventeurs à l’information. La diffusion de l’information technologique est en effet la contrepartie du monopole conféré par le brevet. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle cherche notamment à développer une bibliothèque numérique pour permettre à l’ensemble des acteurs économiques de savoir ce qui se passe sur les différents marchés.

Il faut par ailleurs permettre un accès à l’information technologique diffusée dans d’autres langues que la sienne – notamment aux brevets chinois qui sont en train de monter en puissance –, ce qui nécessite la mise en place de systèmes de traduction. L’Office européen des brevets travaille sur un projet de traduction automatique dans les vingt-huit langues parlées par les trente-huit États qui en sont membres, ainsi qu’en japonais, en chinois, en coréen et en russe.

Il faut veiller à maîtriser les délais de délivrance des nouveaux brevets.

L’ensemble des offices de propriété industrielle dans le monde réfléchit donc à des moyens de partager le travail afin d’éviter les opérations redondantes.

Il est également crucial de maintenir leur qualité pour que l’innovation reste dynamique et pour que les entreprises puissent accéder au marché dans des conditions optimales de sécurité juridique. C’est la raison pour laquelle l’Europe continue à défendre une politique stricte en matière de recherche d’antériorité des brevets délivrés et d’application des critères de brevetabilité.

Quant au coût des brevets, il reste plus élevé en Europe qu’aux États-Unis et au Japon. « Ainsi, un brevet européen coûte environ 25 000 euros – ce qui inclut les frais de procédure et un maintien de la protection pendant vingt ans –, contre 7 000 euros aux États-Unis, 11 000 euros au Japon et 7 500 euros en France. Ce coût élevé tient notamment aux frais de traduction. Malgré le protocole de Londres – que seuls quatorze États membres de l’Union européenne ont signé – il est en effet toujours nécessaire de traduire les revendications pour que les brevets soient valides sur le territoire des autres États ».

Un écueil doit enfin être évité : il serait dangereux d’aller vers un système de reconnaissance mutuelle des brevets, car tous les pays n’ont pas le même régime de brevetabilité. Ainsi, le droit des brevets dans le domaine des biotechnologies n’est pas le même en Europe, aux États-Unis, en Chine et au Japon. Il est donc essentiel que nous ne soyons pas obligés d’accepter, sans un examen de la brevetabilité, des brevets délivrés par des offices de propriété industrielle n’appliquant pas les mêmes règles qu’en Europe.

b. La prise en compte des évolutions dans les pays émergents (i) En Chine

En Chine, l’intérêt grandit pour les brevets, normes et les certificats de qualité. Le nombre de brevets qui y sont déposés croît actuellement de 25 % par an.

Parallèlement, le niveau des normes y augmente. La Chine vient ainsi d’adopter en 2010 un code de bonnes pratiques pour la production manufacturière.

Elle se rapproche ainsi de plus en plus des normes occidentales. Elle s’intéresse aussi, comme la France, à la défense des appellations d’origine, notamment pour le thé et les liqueurs.

Les entreprises chinoises obtiennent de plus en plus des certificats de qualité européens ou américains, qu’ils soient délivrés par l’ETQM (European Territorial Quality Mark), l’EMEA, la FDA. Certains proviennent de la SFDA (State Food and Drug Administration). Ce n’était pas le cas il y a dix ans.

Il reste certes un thème de débat particulier à ce pays, qui considère traditionnellement que ce qui est bon doit l’être pour le plus grand nombre, ce qui pourrait conduire à un débat sur le sens profond des brevets (débat, on le verra ci-dessous qui se développe dans certains pays industrialisés).

(ii) En Inde

En Inde, la protection découlant des brevets l’emporte de plus en plus sur leur contestation. La propriété intellectuelle devient plus respectée, du fait de l’évolution du contexte économique.

Le regard de l’Inde sur la protection intellectuelle évolue, en fonction des transferts de technologie et de la production de biens à plus forte valeur ajoutée.

Ses intérêts changent, et l’Inde est de plus en plus dans une situation où elle peut être amenée à défendre la propriété intellectuelle, ce qui n’empêche pas des approches différentes, comme dans le cas des génériques.

C’est ainsi que l’Inde recrute actuellement du personnel pour accompagner le mouvement vers plus de protection des brevets sur les produits ou sur les dessins.

Les problèmes tiennent davantage à la corruption et au sous dimensionnement d’un appareil judiciaire, qui est relativement indépendant. Les entreprises pharmaceutiques hésitent ainsi à déposer des brevets car elles craignent que la confidentialité ne soit pas respectée et qu’il y ait des contrefaçons.

Toutefois, la situation est plus complexe, du fait de la durée limitée des brevets et du développement rapide des génériques. L’insuline étant fabriquée depuis 20 ans, les brevets sont tombés dans le domaine public, et les Indiens en fabriquent maintenant à des conditions économiquement plus avantageuses.

En quelques années, l’Inde est devenue le 3ème fabricant de médicaments génériques au monde et est le premier fournisseur de l’Afrique. Cette réalité est reconnue dans le monde, tant aux Etats Unis qu’en Europe qui importent des génériques indiens. Les prix de ces médicaments sont peu élevés dans un pays où il y a besoin de médicaments peu chers, ce qui entraîne une suspicion des grands laboratoires occidentaux à enregistrer, puis à transférer leurs nouveaux médicaments en Inde. Leur attitude est toutefois ambivalente : d’une part, ils craignent des piratages, et d’autre part ils prennent des participations dans les laboratoires indiens, ce qui pousse le pouvoir politique à restreindre l’ouverture de leur capital, attitude fortement ancrée dans ce pays où dans un autre domaine, et pas seulement celui de la défense, la législation nationale interdit aux étrangers de détenir plus de 26 % du capital dans les sociétés indiennes, taux qui augmente parfois à 50 % .

On retrouve la même prudence des semenciers français en Inde. Mais la préoccupation principale aujourd’hui est surtout d’être certain de la qualité des produits fabriqués en Inde. L’insuline, par exemple, est-elle aussi pure lorsqu’elle est fabriquée en Inde que lorsqu’elle est produite dans les pays industrialisés ? C’est une question qui ne concerne pas que les laboratoires. C’est une des préoccupations des grandes ONG.

En fait, plusieurs situations coexistent : les laboratoires indiens qui exportent des génériques sont généralement agréés par l’OMS et par les organisations qu’ils fournissent, en termes de qualité. Mais seuls les plus grands et les plus performants exportent vers les Etats Unis et l’Europe. Les problèmes apparaissent avec les petits laboratoires, où les dosages peuvent être moindres et où il y peut y avoir des substitutions d’emballages, non-conformes aux caractéristiques du produit (ce qui nécessite certes des complicités locales, qui ont été parfois prouvées et dénoncées dans certains pays africains). L’amélioration de la situation passera par l’amélioration des contrôles douaniers indiens sur les exportations vers le tiers monde.

c. Vers une nouvelle approche des brevets ?

Cette question, qui aurait été perçue comme impertinente il y a peu reste certes provocatrice. Mais elle reflète l’apparition d’idées nouvelles aux Etats-Unis et dans d’autres pays développés. Celles-ci sont certes marginales, mais reflètent une réalité marquée par des difficultés récurrentes.

(i). Le regard du docteur John Frangioni, directeur du centre d’imagerie moléculaire du Beth Israel Deaconess Medical Center, professeur de médecine à l’école de médecine de Harvard

Pour le Docteur Frangioni, le système actuel des brevets n’est pas efficace.

Les décisions auxquelles il conduit sont basées sur l’argent et le profit, sur l’exclusivité, l’exclusion, sur une volonté de contrôle. Un tel système décourage l’évolution.

M. Frangioni remarque que certaines entreprises arrêtent leur production lorsque leur brevet vient à expiration. C’est pourquoi il propose un autre système, basé sur l’idée de la maximisation du bénéfice public. Les brevets seraient non exclusifs, afin de permettre un accès ouvert à la connaissance et d’encourager l’évolution technologique et l’utilisation des technologies.

Selon lui, la suppression des brevets permettrait une compétition pour de meilleurs produits. Cela suppose bien sûr que des besoins existent et que le marché soit présent.

(ii). Les idées de chercheurs français

De telles idées ne sont pas très lointaines de celles qui sont reprises dans le dernier numéro de la revue Recherche de l’année 2011.

Hervé Lebret, polytechnicien, interviewé par Nicolas Chevassus-au-Louis, y déclare notamment : « Quitte à être iconoclaste, je pense que les brevets sont un frein à l’innovation. Je me demande s’il ne faudrait pas les supprimer, sauf peut-être dans des domaines particuliers, telles les biotechnologies, où un brevet correspond grosso modo au procédé de fabrication d’une molécule. Mais dans la plupart des domaines industriels, il faut des milliers de brevets pour protéger une innovation commercialisée. L’entretien très onéreux de ce portefeuille de brevets mobilise de l’argent qui pourrait être mieux utilisé dans la recherche et l’innovation. Là où le brevet favorise l’inventeur, il est devenu une arme défensive pour préserver des positions dominantes ».

(iii). Une réponse à des problèmes récurrents ?

Cette approche critique tient à la faible protection qu’offrent de nombreux brevets, à leur coût et à la réticence de certains chercheurs qui préfèrent publier les résultats de leur recherche plutôt que de les breveter avant publication.

De plus, la possession d’un brevet ne garantit ni la continuité de l’activité qu’il permet, ni la poursuite dans son pays d’origine, ni son contrôle par le titulaire du brevet.

M. René Ricol a illustré ce processus lors de l’audition publique du 12 octobre 2011, en remarquant que des chercheurs qui ont une idée déposent des brevets, vont chercher des fonds d’amorçage pour faire la preuve du concept, mais que dès que cette preuve est faite, elle est vendue, neuf fois sur dix à l’étranger. Il n’en résulte pour le pays concerné ni création de richesse, ni emplois.

d. La recherche de solutions plus efficaces en Europe

Il n’existe pas de brevet international où une demande effectuée dans un pays serait valable à l’échelle régionale ou mondiale. Dans ce contexte, le brevet européen actuel, régi par une convention de 1973, n’est pas totalement satisfaisant, et le texte le plus significatif des dernières années est le protocole de Londres qui

détermine le régime linguistique des brevets dans les pays européens qui l’ont adopté. Ce protocole ne saurait toutefois satisfaire ceux qui souhaitent l’avènement d’un véritable brevet communautaire. Celui-ci fait l’objet de discussions depuis de nombreuses années. Son adoption est pour l’instant bloquée par un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne.

(i) Le protocole de Londres n’est pas suffisant

Le protocole de Londres, signé en octobre 2000 entre une dizaine de pays membres de l’Office européen des brevets n’a été ratifié par la France en 2007 qu’après de longs débats. Il est entré en vigueur le 1° mai 2008 dans treize pays.

L’Espagne, comme l’Italie le contestent toujours.

Ce protocole prévoit que le brevet peut être déposé dans l’une des 3 langues suivantes : français, anglais, allemand, avec un résumé dans les deux autres langues. Les Etats signataires renoncent à l’exigence de traduction de la partie « description » du brevet, qui est la plus longue et donc la plus coûteuse à traduire.

Mais il reste que les inventeurs de pays ne parlant pas une de ces langues doivent traduire les revendications abrégées, comme l’a souligné lors de l’audition publique du 26 mai 2011 M. Gérard Dorey, président du concours Lépine qui a rappelé les frais occasionnés par le dépôt d’un brevet : 38 euros pour le dépôt lui-même, 500 euros pour la recherche, et 85 euros pour la publication. Ce coût n’intègre pas la traduction. C’est tout l’intérêt du futur brevet communautaire.

Les difficultés actuelles sont en effet nombreuses, comme l’a souligné ce même jour M. Albert Ollivier : le marché européen, unifié sur le plan monétaire et commercial, ne l’est pas sur le plan technique, notamment en matière d’autorisation de mise sur le marché ou de dépôt de brevet. Trop de réglementations nationales disparates subsistent. Il est donc difficile pour une entreprise française d’aller se développer sur les marchés voisins. Cela explique que sur le marché des logiciels, une entreprise née en Europe va, dans un premier temps, se développer aux États-Unis, marché volumineux et homogène, avant de revenir en Europe.

(ii) Les négociations sur le brevet européen progressent, mais lentement

L’Union élabore actuellement un projet de brevet unitaire, qui offrirait une protection unique sur le territoire de vingt-cinq de ses États membres – l’Espagne et l’Italie n’ayant pas souhaité participer. Les inventeurs seraient protégés sur le territoire de presque toute l’Union européenne à un coût correspondant à un brevet européen pour huit États membres. Ce texte serait basé sur la coopération renforcée, ce qui permettrait de dépasser les oppositions de l’Italie et de l’Espagne.

Ce projet comporte la mise en place d’une juridiction spécifique et unique pour juger du contentieux des brevets en Europe, qu’il s’agisse de la validité des

brevets ou de leur contrefaçon Mais la Cour de Justice de l’Union européenne a rejeté cette disposition le 8 mars 2011. La Commission doit donc reprendre sa copie, sous l’impulsion du commissaire en charge de la propriété intellectuelle, M. Michel Barnier.

(iii) De nouvelles pistes, plus pragmatiques sont actuellement explorées

La Caisse des dépôts s’est ainsi fixé comme objectif de fédérer les universités et les laboratoires qui le souhaitent, de créer des grappes, d’acquérir de la propriété intellectuelle pour valoriser les portefeuilles. Elle a découvert avec surprise que cette démarche intéressait aussi les entreprises, les grands groupes, qu’on pensait méfiants, et les PME qui n’ont pas toujours accès à la propriété intellectuelle. Cela montre qu’on peut donc investir dans la recherche autrement, en obtenant des retours financiers qui pourront se réinvestir dans la recherche et les entreprises.

En collaboration avec l’Allemagne et le FEI, elle vient de proposer de développer un fonds des brevets, qui les achèterait principalement aux universités et les combinerait avec d’autres brevets, pour avoir un intérêt technologique plus grand, et pour mieux les revendre.

La Commission européenne n’a pas encore pris position sur une telle approche, mais la Commissaire chargée de la recherche considère qu’il est très important d’échanger, de combiner et de revendre. Les grandes entreprises savent combiner, pas les petites. Cela va de pair avec le brevet européen.

Cette idée française de grappes de brevets est une nouvelle manière de valoriser les résultats de la recherche. Elle pourra aussi émaner des demandes des industriels. Un tel système permettrait une intermédiation entre l’offre et la demande, alors qu’aujourd’hui, beaucoup de brevets ne sont pas exploités, tandis que certains besoins des entreprises ne sont pas satisfaits.

Faudrait-il aller plus loin, et prévoir des chasseurs de brevets, comme en Californie ?

Aux Etats-Unis, souvent cités comme modèle, des établissements privés achètent des portefeuilles de brevets, constituent des grappes importantes, achètent des inventions, parfois auprès de particuliers, et réussissent à être bénéficiaires.

Intellectual Venture détient ainsi plus de 40 000 brevets, fait 2 milliards d’investissements, et génère 300 millions d’euros de bénéfices annuels grâce aux licences qui découlent de ces brevets, comme l’a rappelé le 12 octobre M. Philippe Braidy, président de la CDC-Entreprises, directeur général délégué du Fonds stratégique d’investissement.

E. DONNER UNE NOUVELLE IMPULSION À L’ACTION DE L’UNION

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