• Aucun résultat trouvé

Perception de l’innovation et périmètre des risques

Le risque est une notion aujourd'hui très courante. C'est un concept devenu générique, employé dans tous les domaines, accolé de tous les adjectifs imaginables : risque écologique, technologique, urbain, sanitaire, alimentaire, routier, domestique, risque majeur ou diffus, mais aussi population à risque, facteur de risque, conduite à risque, quartier à risque…

Le risque est une exposition à un danger potentiel. Il ne constitue pas en soi un danger. Il est possible, sur le plan scientifique, de démontrer l’existence d’un danger, mais en revanche, il est presque impossible de prouver l’absence d’un risque. Une substance, un événement peut être très dangereux, mais si sa probabilité d’occurrence est quasiment nulle, le risque est très faible. Le risque est donc le produit de la probabilité d’existence d’un événement par la gravité des conséquences induites par celui-ci. La perception que nous avons d’un risque est souvent celle du danger maximum, sans tenir compte du facteur de probabilité, et nous préférons souvent dénoncer un scénario catastrophe très improbable, sous-estimant des scénarios moins graves a priori, mais plus probables.

Depuis quelques années, le risque a suscité de nombreuses vocations, il est devenu le carburant de nouvelles professions, de nouveaux experts, dont certains tentent de comprendre pourquoi le public nourrit des peurs, par exemple à l'égard de l'industrie nucléaire civile ou des organismes génétiquement modifiés.

1. Risques naturels ou artificiels : ce que l’innovation résout, et ce qu’elle complique

Les sociétés contemporaines sont caractérisées par la prééminence des

« risques manufacturés », c'est-à-dire créés par l'homme, et qui ont supplanté les risques naturels (famines, inondations…). Ces risques technologiques ou écologiques posent problème non seulement aux gouvernements, mais aussi à chaque citoyen.

L'une des déclinaisons contemporaines de la notion de risque renvoie en effet à la « risquophobie » grandissante du public, notamment en France et en Europe, de plus en plus hostile à l’entrepreneuriat, aux innovations technologiques, et même à la science.

2. Une innovation est-elle toujours plus risquée qu’une technologie bien rodée ?

De par son activité même, l'entrepreneur qui innove perturbe son environnement, et le fait basculer dans un monde différent, autre, dans un mouvement mondial de compétition l'obligeant sans cesse à réaliser ce travail de déstabilisation, de perturbation.

Une technologie éprouvée est généralement perçue comme dénuée de risque. En effet, chacun considère qu’il a pu vivre avec sans subir trop de problèmes, et que par conséquent, la balance bénéfice-risque étant connue, elle est à privilégier sur la balance bénéfice-risque incertaine d’une innovation.

Ce mode de pensée est confirmé par de nombreux paradoxes entrant en contradiction avec des principes fondateurs de la théorie de la décision. En effet, si l’élément généralement pris en compte par les décideurs et les scientifiques dans leurs décisions est le risque, ce n’est pas le seul élément déterminant pour le citoyen, dont les connaissances sont, par définition, moindres que celles de l’expert dans son domaine de compétence.

L’aversion à l’incertitude joue en effet un rôle majeur dans la prise de décision, et la réponse à la question de cette sous-partie est donc difficilement possible. En réalité, une innovation est souvent perçue comme plus risquée car les éléments qui la composent sont moins bien connus.

Cette méconnaissance engendre de l’incertitude, et l’Homme, à choisir entre un certain niveau de risque et un certain niveau d’incertitude, se détourne généralement de l’incertitude, comme le montre le paradoxe d’Ellsberg.

Le paradoxe d’Ellsberg

Le paradoxe d’Ellsberg est un phénomène issu de la théorie de la décision. En effet, il permet de montrer assez simplement que, face à un choix comportant risque et incertitude, l’esprit humain tend à écarter l’incertitude.

Le paradoxe émerge car, dans le cas particulier proposé par M. Daniel Ellsberg, les options retenues par l’individu écartent les situations incertaines, mais sont exclusives l’une de l’autre, donc incohérentes. Voici ce paradoxe :

Soit une urne contenant 90 boules dont : - 30 boules de couleur rouge ;

- 60 boules dont x de couleur noire et y de couleur jaune.

Deux tirages indépendants sont proposés. Dans le premier tirage, il faut faire le choix entre l’une des deux options suivantes :

A. vous gagnez 100 euros si une boule de couleur rouge est tirée B. vous gagnez 100 euros si une boule de couleur noire est tirée Ensuite, dans la même configuration, un deuxième tirage est proposé :

C. vous gagnez 100 euros si une boule de couleur rouge ou si une boule de couleur jaune est tirée

D. vous gagnez 100 euros si une boule de couleur noire ou si une boule de couleur jaune est tirée

Ainsi, pour le A, le nombre de boules rouges (30) est connu.

Pour le B, le nombre de boules noires (x) est inconnu.

Pour le C, le nombre de boules rouges est connu (30) mais le nombre de boules jaunes (y) est inconnu.

Pour le D, le nombre de boules noires et jaunes est connu (60).

L’expérience menée par M. Ellsberg montre que l’écrasante majorité des personnes sondées choisiront A et D, c'est-à-dire qu’ils choisiront les tirages liés aux probabilités certaines. Pourtant, ces deux choix sont incohérents.

En effet, le choix de l’option A suppose qu’il y a plus de boules rouges que de boules noires dans l’urne, et donc qu’il y a plus de 30 boules rouges et moins de 30 boules noires. Donc il y a plus de boules rouges que de boules noires.

A contrario, le choix du pari D implique que l’on considère qu’il y a plus de boules noires que de boules rouges.

Ainsi, les deux fois, la décision est portée sur le choix où une probabilité est connue, et les choix incertains sont écartés.

3. Concilier risque individuel et risque collectif

La question du risque se pose également vis-à-vis de la prise de risque. En effet, l’attitude des individus vis-à-vis du risque dépend grandement de leur volonté consciente d’avoir pris ce risque, ou, au contraire, du fait qu’ils le subissent passivement.

Le cas de la cigarette est pour le moins frappant. Il n’est pas rare de voir des parents s’inquiéter de produits potentiellement cancérigènes (ou dénoncés comme cancérigènes) dans la nourriture de leurs enfants tout en fumant dans la même pièce qu’eux.

Mais en plus, la personne a le sentiment de subir un risque qu’elle ne contrôle pas, alors qu’elle contrôle celui lié à la cigarette.

La situation est la même en voiture ou en avion : les gens n’ont pas peur de prendre leur voiture pour aller au travail car ils sont maîtres de leur destin. Par contre, dans l’avion, ils ne maitrisent plus rien : le pilote est-il qualifié ? La météo permet-elle le vol ? La maintenance de l’avion a-t-elle été correctement effectuée ?

Toutes ces distinctions montrent ainsi qu’à nouveau, le distinguo entre risque et incertitude est la clé. Subir un risque, c’est ne pas le maitriser complètement, et donc ne pas avoir tous les éléments pour le juger convenablement ; il apparait donc plus flou qu’un risque que l’on décide soit même de prendre ; il est donc refusé a priori.

Outline

Documents relatifs