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Partie II Une définition contextuelle du restaurant gastronomique Une définition contextuelle du restaurant gastronomique

RHÉTORIQUE DU DISPOSITIF SCÉNOGRAPHIQUE.

RHÉTORIQUE DU DISPOSITIF SCÉNOGRAPHIQUE.

Docteur en Sciences du Langage et agrégé de grammaire Jean-Philippe Dupuy est actuellement enseignant-chercheur en sciences de l’Information et de la Communication à l’IUT de Dijon. Ses travaux qu’il développe au laboratoire au CIMEOS-LIMSIC de l’Université de Bourgogne, portent sur des problématiques de sémiotique et de rhétorique et traitent un champ d’étude allant des textes en réseaux aux menus gastronomiques.

Dans l’article «Colors of caviar : le restaurant étoilé

comme espace de représentation artistique», paru en 2012

dans le volume n°34 de la revue Sociétés & Représentations, Jean-Philippe Dupuy y développe une réflexion autour d’une certaine rhétorique déterminée selon un triple discours scénographique, linguistique et substantiel, et utilisé dans le cadre du restaurant gastronomique afin d’en affirmer le statut de lieu de représentation artistique et d’expliciter les différents modes d’artification de la gastronomie. La mise en place de cette rhétorique doit remplir différents objectifs au sein de l’établissement gastronomique. Elle doit d’une part faire accepter la proposition culinaire au statut d’oeuvre artistique, et en ce sens son auteur, le chef cuisinier, au statut d’artiste. De plus, cette rhétorique doit permettre de mettre en place le contexte d’une expérience synesthésique complexe auprès du convive. En effet, Jean-Philippe Dupuy note que le goût est une perception et non une sensation. De ce fait, son appréhension au travers la dégustation des plats par le convive est entre autre influencé par ce contexte mis en place par ce triple discours scénographique, linguistique et

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substantiel.

Ce chapitre se base en partie sur l’analyse de l’argumentaire de cet article afin de développer une définition de la notion de scénographie appliquée au contexte du restaurant gastronomique au travers de la caractérisation du dispositif scénographique intervenant dans le déroulement de l’expérience gastronomique du convive.

/. Le récit gastronomique ou la nécessité d'installer la /. Le récit gastronomique ou la nécessité d'installer la proposition culinaire au sein d'un écrin narratif.

proposition culinaire au sein d'un écrin narratif.

(34’35) «Connaissez-vous celui d’Edouard Nignon qui s’appelle Eloge de la Cuisine Française ? (...) Quand j’étais enfant, je lisais les livres de cuisine, et celui de Nignon était mon favori. Ses recettes me faisaient rêver. Je les apprenais par coeur. Je crois même que je me souviens encore de quelques- unes d’entre elles. Par exemple, je me rappelle de celle du caneton de Rouen surprise ! Elle commençait par ces mots : Du pays de Pierre Corneille, faites venir un caneton des plus replet!»

Les Saveurs du palais,

film réalisé en 2012, par Christian Vincent,

avec Catherine Frot, Jean d’Ormesson et Hippolyte Girardot. Cette réplique de Jean D’Ormeson tirée du film «Les

Saveurs du palais», fait référence à une recette du livre de

cuisine «Eloge de la Cuisine Française» d’Edouard Nignon. Cette réplique illustre le dialogue qu’il pouvait exister au début du XXème siècle entre la cuisine et la littérature. Cette introduction d’une de ses recettes est une invitation à plonger dans le récit poétique d’un terroir régional et tranche nettement avec les recettes de nos livres contemporains s’apparentant à des manuels de chimie.

Ainsi comme l’explique Jean-Philippe Dupuy au sein

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de son article, le récit culinaire constitue une part intégrante de l’expérience gastronomique. Dans son livre «Storytelling,

la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits»,

paru en 2007 aux éditions La Découverte, l’écrivain Christian Salmon décrit comment cette méthode du storytelling où le fait de raconter des histoire s’est développé au sein des plans marketing dans les années 1990 aux Etats-Unis puis en Europe. La méthode du storytelling qui fut notamment très utilisée dans les campagnes politiques de ces dernières années est ainsi très utilisé dans le domaine gastronomique. En effet, cette méthode privilégie la mise en avant d’un récit au détriment d’une image : elle sert ainsi le culte du chef cuisinier, mythifie l’invention de ses «recettes signatures», et forge institutionnalisation d’un restaurant par une histoire patrimoniale exceptionnelle.

Cette méthode du storytelling est mise en oeuvre au sein de différents support du dispositif de communication médiatique des chefs et des restaurants, et notamment sur la toile et les comptes des réseaux sociaux mettant en scène leur quotidien.

Cette méthode s’est notamment mise en oeuvre au travers du cinéma. Chef’s Table est une série documentaire américaine diffusée depuis Avril 2015 sur la plateforme Netflix et produite par David Gelb. Cette série dresse les portraits de différents chefs cuisiniers et pâtissiers à travers le monde, tout en présentant leur vision de la pratique de la cuisine au sein de leur environnement de travail. Dans cet article du 5 septembre 2016 pour le magazine Slate «Quand

les chefs français deviennent des héros de série américaine»,

la journaliste Mélissa Bounounia explique cette image de chefs cuisiniers transformés en véritables «héros» que véhicule la série. Chaque histoire est mise en scène par un tournage à l’américaine : génériques en timelapse sur une musique de Max Richter et adapté des «Quatres Saisons» de Vivaldi, des tournages à l’aides de drones, des plans

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de coupe sur la ville ou la campagne, des alternances de séquences d’action et d’émotions et des fils narratifs aux dimensions mélodramatiques presque surjouées. Débutant par des éloges de journalistes, critiques culinaires et proches sur ce personnage du chef au summum de son statut, ces documentaires content le parcours semé d’embûches de ces chefs au travers différentes séquences au sein du restaurant ou dans des moments plus intimes au sein des sphères domestiques. Ils se terminent en apothéose sur des plans zoom cadrant les plats signatures de ces chefs telles de véritables oeuvres d’art.

Jean-Philippe Dupuy se réfère, d’autre part, à François Ascher, urbaniste et sociologue français, et qui considère le récit sous la dimension esthétique. Ainsi la synergie des différents éléments caractérisant l’esthétique d’un restaurant gastronomique tels que l’ambiance, le service, les mises en page des menus, ou encore les sites internet, permettent la mise en place une narration contant l’histoire de ce lieu.

/. Le décorum de la salle, véritable scène du déroulement de /. Le décorum de la salle, véritable scène du déroulement de l'expérience gastronomique .

l'expérience gastronomique .

Le décorum du restaurant gastronomique est une part primordiale de l’expérience gastronomique puisqu’il constitue le contexte matériel dans lequel elle se déroule. Cet espace du restaurant est en soi la résultante d’un processus d’artification du gastronomique puisque sa conception relève du savoir-faire d’un certain nombre d’acteur du domaine artistique et qui vont chacun intervenir sur une des strates spatiales constituant ce décorum. Ainsi l’architecte et/ou l’architecte d’intérieur conçoit l’enveloppe et l’agencement intérieur du restaurant en dessinant les flux de circulation, en déterminant l’emplacement des différents éléments de mobilier et en travaillant les accords de couleur, de matières et des objets de décoration. Le designer d’objet intervient lui

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sur la conception du mobilier en déterminant leur forme et leurs matériaux. L’artisan d’art doit quant à lui fournir un service de vaisselle au restaurant. Celui-ci travaille de plus en plus de manière sur-mesure en dialoguant avec les chefs cuisiniers afin d’accorder formellement une vaisselle à la singularité de leur cuisine.

Le restaurant gastronomique est l’écrin, la boite, contenant l’expérience gastronomique. Cette boite est constituée en une gradation d’échelles spatiales permet entre autre de mettre en place un processus de sacralisation dans la mise en scène de l’oeuvre du chef cuisinier où le convive doit opérer un certain protocole afin de pénétrer successivement cet ensemble de différents «écrins» pour pouvoir découvrir le coeur de ce dispositif, la proposition culinaire, et pouvoir la déguster.

L’artification du gastronomique se constitue en premier lieu par ce dialogue que peut entretenir la gastronomie et l’art au sein de l’espace du restaurant. Le chef investit des lieux chargés de décors contant à la fois leur l’histoire et l’Histoire. Jean-Philippe Dupuy prend ainsi l’exemple du Grand Véfour ou du Pré Catelan, qui sont des restaurant d’une grande charge patrimoniale grâce aux décors séculaires de leurs salles à manger, des plafonds peints des frises de Caran d’Ache aux moulures dorées et aux fresques de style antique qui ont pu être admiré par un bon nombre de grands noms de la littérature, de la politique ou de l’art.

L’investissement du restaurant par l’art lui permet aussi aux plus modestes de ces établissements d’accéder un certain statut d’espace muséal permettant devenir une galerie d’exposition interactive, où les tableaux se dévore des yeux sur les murs autant qu’ils se savourent dans l’assiette à l’issue de la performance culinaire du chef et de sa brigade.

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Le restaurant gastronomique est une scène où le chef accède au statut d’artiste en accomplissant une performance artistique, plastique et graphique, mise en scène dans l’écrin de l’assiette qui vient dialoguer avec cette oeuvre culinaire. En ce sens, l’usage de figures rhétoriques, expliqué par Jean- Philippe Dupuy dans son article, permet «une esthétisation du rituel gastronomique». Leur usage au niveau de la mise en place du décorum permet au chef cuisinier d’affirmer sa cuisine comme une pratique artistique dans un contexte esthétique permettant de mettre en scène son oeuvre dans des conditions d’exposition et de consommation optimales. Certaines relations analogiques sont ainsi mises en lumière, une hybridation des pratiques utilisées dans le domaine du théâtre et de la muséographie étant à l’oeuvre au sein du restaurant gastronomique au travers de la théâtralisation du décorum et des pratiques du service.

L’emploi de l’euphémisme permet ainsi d’harmoniser les couleurs et les matières afin que l’aménagement intérieur stimule agréablement la vue du convive. Les peintures aux teintes naturelles s’allient aux sols et les mobiliers constitués de matériaux nobles tels que le marbre, le cuir ou les bois d’essence rare afin de créer une ambiance feutrée. Les lumières sont tamisées et le son d’une éventuelle musique d’ambiance, qu’elle soit diffusée par des enceintes ou jouée par des musiciens, permet de créer une ambiance sonore immergeant toujours plus le convive dans l’expérience gastronomique sans lui agresser l’oreille. L’euphémisme vise ainsi à gommer toute contrainte physique entravant la sensation de confort du convive qui constitue la base de l’expérience.

L’emploi de l’hyperbole est présent jusqu’au «montant de la note». Ainsi Jean-Philippe Dupuy relève notamment l’usage de cette figure par l’espace accordé à chaque convive au sein de la table, ainsi que l’espacement généreux des tables au niveau de la salle afin de permettre la création

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d’une certaine bulle d’intimité : on entend les autres convives sans discerner leur conversation dans l’ambiance sonore de la salle.

Une synergie entre euphémisme et hyperbole s’opère au niveau de la nappe blanche et de l’assiette, marqueurs prépondérants de la salle du restaurant gastronomique. Ainsi le blanc de la nappe est sensé épurer toute vérité caractéristique du matériau de la table afin de valoriser, dans un premier temps, la vue d’une assiette au diamètre souvent bien supérieure à 25 cm et qui a pu être spécialement conçu sur-mesure à la demande des chefs cuisiniers. Ainsi Alain Passard accorde sa confiance aux artisans de la faïencerie bretonne Henriot à Quimper afin de lui réaliser des assiettes en trompe-l’oeil et représentant des compositions de bouquets de légumes. Les chef privilégient des tons unies, le blanc et le noir restant la norme, tout en jouant sur les effets de textures que l’on peut obtenir de la céramique. L’assiette constitue une oeuvre à part entière, un cadre esthétique. L’assiette doit observer cet équilibre d’être remarquable par le convive tout en mettant en valeur son contenu, l’oeuvre du chef, la composition plastique et graphique du plat dans toute sa richesse chromatique et texturielle. On peut ainsi constater cette relation d’analogie aux méthode de muséographie, le plat correspondant à l’oeuvre, l’assiette au cadre ou au socle, et la nappe, au mur blanc émaculé que l’on peut trouver lors de certaines expositions.

Il note entre autre la généreuse proportion des menus à la mise en page raffinée et n’affichant pourtant que très peu de plats. Ainsi, l’alignement centré du texte, les successions de caractères droit puis italiques ou encore l’usage massif des majuscules, participent à la présentation d’une promesse culinaire des plus ambitieuses. Ce dispositif permet au chef cuisinier de présenter sa promesse au convive d’une nourriture d’exception issue d’un sourcing

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précis et une qualité exceptionnelle des produits. Celle-ci se formule sous une forme quasi poétique au travers l’usage de différents outils linguistique que relève Jean-Philippe Dupuy : «utilisation de l’article défini (« Le Chevreuil », « Le Coing et la Vanille », « L’Oeuf ») qui transforme le produit proposé en archétype ; longue énumération des ingrédients entrant dans la composition d’une proposition culinaire caractérisée par sa sophistication gustative; utilisation d’un lexique hyper- spécialisé qui souligne le caractère exceptionnel de l’offre culinaire».

Ainsi cette promesse d’un énoncé chargé de récit placé tel une citation sur un support épuré et élégant est visuellement contentée par de petites portions de plats dont la sophistication est décuplée par l’espace vide du reste l’assiette.

/. La relation entre le serveur-comédien et le mangeur- /. La relation entre le serveur-comédien et le mangeur- spectateur

spectateur

Le serveur est un élément déterminant au sein de ce spectacle gastronomique : il est le rouage qui anime la salle du restaurant. Le serveur a deux fonctions principales pendant le déroulement du repas et qui sont la prise en charge des convives, et son interaction avec la cuisine. Celui-ci informe des commandes prises auprès des convives, et opère le service des plats et des boissons à table.

Au delà de ce rôle fonctionnel au sein de la salle du restaurant gastronomique, une certaine relation d’analogie est établie entre le rôle du serveur et le rôle du comédien. En effet, certaines caractéristiques du jeu du comédiens sont communes aux manières adoptées par le serveur. Ainsi à la manière d’un comédien, le serveur revêt une tenue de costume où une version plus allégée de celui-ci avec une chemise, un gilet et un noeud papillon ou une cravate. Le serveur joue un rôle pour lequel il a été formé pendant plusieurs années.

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Il doit savoir décrire une carte et expliquer parfaitement les plats aux convives demandant des précisions. Il doit suivre un certain protocole normant son comportement dans les différentes situations qui se présentent à lui pendant tout le déroulement du repas: il applique le script de son rôle au sein du restaurant à la manière d’un comédien lors d’une représentation théâtrale. En ce sens, certains lui confèrent ce double statut de serveur-comédien. Ses manières s’inscrivent notamment dans un processus d’esthétisation en place au sein de l’expérience gastronomique.

Le convive est lui, avant d’être mangeur, le spectateur d’une exposition comestible qui lui est personnalisée. Assis sur sa chaise, il atteint les sollicitations du serveur, il observe le cérémonial orbitant autour de lui. Puis vient le service des plats, autant de séquences, de tableaux présentant des oeuvres hybrides, à la fois graphique et comestibles, et qu’il convient d’analyser visuellement et de prendre en photo parfois dans des positions scabreuses pour en obtenir le meilleur point de vue. Le plat se consomme d’abord par les yeux pour préfigurer son goût. « On savoure des yeux, on touche du regard la surface des aliments qui préfigure, par exemple, les sonorités d’un croquant.» Cette phrase émane de l’article de Jean- Jacques Boutaud, L’esthésique et l’esthétique, La figuration

de la saveur comme artification du culinaire, publié en février

2012 dans la revue Sociétés & Représentations. Celui-ci y cite Merleau-Ponty «La synesthésie est la règle.» afin d’aborder l’expérience visuelle du goût. Le rapport entre le convive et le plat met en branle les différents sens et qui viennent établir une communication inter-sensorielle complexe. Boutaud explique ainsi l’expérience visuelle du goût expérimentée par le convive comme «une relation fondamentale entre esthésie (les sensations), esthétique (les formes) et éthique (les valeurs)». Cette synergie permet ainsi de faire résulter une représentation visuelle du goût et de faire émerger une première sensation gustative et par conséquent une certaine

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émotion gastronomique.

L’usage de la métaphore apparaît lorsque à la fin du repas, le convive-spectateur voit défiler le chef cuisinier autour des tables à la manière d’un metteur en scène afin de récolter les impressions de la salle, du public.

Comme pour le décorum du restaurant gastronomique, les figures rhétoriques sont utilisées afin d’opérer «une esthétisation du rituel gastronomique». Un jeu d’équilibre s’opère dans l’usage de deux figures de style principales que sont l’euphémisme et de l’hyperbole.

Ainsi l’usage de l’euphémisme vise à atténuer, à gommer toute aspérités gênants le bon déroulement de l’expérience du repas gastronomique. Jean-Philippe Dupuy note par «la sérénité des serveurs, la retenue des gestes, la modération des voix» une euphémisation des comportements du serveur, du convive et des usages de la table. Il cite notamment Pierre Bourdieu et son livre, La Distinction, paru aux éditions de Minuit en 1979 : « un parti pris de stylisation [qui] tend à déplacer l’accent de la substance et la fonction vers la forme et la manière».

Le serveur met ainsi en oeuvre une certaine esthétisation de sa communication verbale et gestuelle. C’est une danse que les serveurs effectuent en ballet sur la scène du restaurant en se croisant sans se toucher, ils précèdent le plat qu’ils apportent aux convives dans cette procession furtive et élégante, le serve toujours par la droite telle une apparition par un effet de surprise, puis ils débarrassent les tables dans la plus grande discrétion. A la fin du repas, ils apportent la «douloureuse» note retournée ou dissimulée dans une chemisette de cuir afin de que le client puisse la