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Revendications nationales et romantisme : naissance d’un imaginaire poético-romanesque autour de la Serbie

Images romantiques et nouvelle curiosité française pour la Serbie (1804-1840)

I. Revendications nationales et romantisme : naissance d’un imaginaire poético-romanesque autour de la Serbie

Les Français n’attendent pas le XIXe siècle pour évoquer les Serbes et les premiers témoignages

datent vraisemblablement du Moyen Âge. L’énumération des premiers récits français sur les Serbes, du XIe au XVIIIe siècle, est nécessaire pour introduire les images ultérieures mais aussi pour apporter une visibilité aux travaux serbes non traduits qui s’y sont intéressés. Les images ont une histoire et il faut saisir la dimension temporelle de leur construction pour comprendre leur évolution. Ainsi cette mise en contexte met-elle en lumière l’évolution des images au début du XIXe siècle : les récits se multiplient et changent de forme lorsque les revendications nationales attirent l’attention des auteurs romantiques. Ces derniers intègrent les Serbes à de nombreux récits et les associent à un nouvel imaginaire.

A. Les premières images de la Serbie en France

1. Les premiers témoignages des voyageurs français en Serbie au Moyen Âge

Avant d’aborder le XIXe siècle, un retour vers le passé est nécessaire. Les premiers contacts

importants des Français avec les Balkans datent de l’époque des Croisades, dès 1096-1099, sur la route de Constantinople. Avant ces croisades, des groupes de pèlerins ont déjà traversé les Balkans, comme l’évêque de Verdun Rainbert qui mourut à Belgrade en 1038109. Les premières

analogies entre les littératures française et serbe ont été repérées à cette époque : Nikola Banašević rapproche notamment les chants serbes sur la bataille de Kosovo polje des chansons de geste comme La Chanson de Roland, La Chanson de Guillaume et Le Couronnement de Louis110. Pendant le Moyen Âge, les chroniqueurs et les émissaires étaient presque les seuls à

diffuser des écrits sur les Serbes111. Mihailo Pavlović évoque tout de même Hélène d’Anjou, épouse du souverain serbe Uroš I de la dynastie des Nemanjić, qui est à l’origine d’échanges entre les deux pays au XIVᵉ siècle112.

109 Mihailo Pavlović, Témoignages français sur les Serbes et la Serbie… op. cit., p. 5.

110 Liljana Todorova, « Contribution à l’étude des contacts culturels franco-yougoslaves jusqu’à la fin du XVIIIème

siècle », dans Annuaire de la faculté de philosophie de Skopje, T. 21, 1969, p. 224.

111 Mihailo Pavlović, Témoignages français sur les Serbes et la Serbie… op. cit., p. 5. 112 Ibid.

34 2. La Serbie au sein de l’Empire ottoman aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles

Au XVIᵉ siècle, François Ier engage un approfondissement de la politique orientale française et

quelques Français voyagent en Serbie113. Au XVIIᵉ siècle, la Serbie est encore à dix jours de voyage de la France et Liljana Todorova souligne l’insuffisance des routes qui explique la difficulté du voyage :

Si elles étaient sures, elles étaient rares et ne reliaient que les grands centres. Les moyens de locomotion étaient nuls et il fallait avoir une santé robuste et pas mal de résolution pour s’aventurer dans ces régions, où, en dehors des grands centres, il était rare de trouver un caravansérail, une auberge et des provisions de bouche.114

Radovan Samardžić, auteur de La ville de Belgrade et la Serbie du XVIᵉ et du XVIIᵉ siècles dans les écrits des contemporains français115, a compilé des extraits de littérature française qui

évoquent la Serbie pendant ces deux siècles116. Ces extraits, ainsi que les travaux de Liljana Todorova et de Mihailo Pavlović permettent de conclure à certains traits caractéristiques de ces descriptions117. Les nombreuses orthographes des noms propres laissent penser à des approximations dues à la méconnaissance du terrain. « Belgrado »118, « Bellegrade »119 ou « Bellgrade »120 sont, par exemple, plusieurs orthographes employées par les sources pour désigner la ville de Belgrade. La majorité des ouvrages font par ailleurs référence à certains éléments récurrents, comme la situation géographique avec la mention de la rivière Morava121

113 En 1536, pendant le règne de François Ier, le grand-vizir ottoman Ibrâhîm Pacha établit des relations

permanentes avec la France. Jean de la Forêt introduit la présence permanente d’un représentant diplomatique français auprès de l’Empire ottoman. Voir Robert Mantran (dir.), Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989, p. 152.

114 Liljana Todorova, « Contribution à l’étude des contacts culturels franco-yougoslaves... », op. cit., p. 226. 115 Radovan Samardžić, La ville de Belgrade et la Serbie du XVIe et du XVIIe siècles dans les écrits des contemporains français. Beograd i Srbija u spisima francuskih savremenika, XVI-XVI vek, Belgrade, Istorijski

arhiv Beograda, 1961.

116 Plus largement, Stéphane Yérasimos estime que plus de deux cents voyages ont été publiés sur l’Orient au

XVIIe siècle. Voir Stéphane Thévenot, Voyage du Levant, introduction de Stéphane Yérasimos, Paris, FM/La

Découverte, 1980, p. 5.

117 Pour le XVIᵉ siècle, voir aussi Tamara Valčić-Bulić, « Trois voyageurs français de la Renaissance dans les

Balkans », dans Jelena Novaković et alii, Srbi o Francuzima, Francuzi o Srbima [Les Serbes et les Français, les Français et les Serbes], Belgrade, Association de coopération culturelle Serbie-France, 2015, p. 73-86. Voir aussi Mihailo Dinić, « Tri francuska putnika o našim zemljama » [Nos régions vues par trois voyageurs français], dans

Godišnjica Nikole Čunića, Belgrade, državne štamparije Kraljevine Jugoslavije, 1940, vol. XLIX, p. 85-118.

118 Jacques de Bourbon, La grande et merveilleuse & très cruelle oppugnation de la noble cité de Rhodes, prise

par Sultan Selymann.., Paris, 1521, cité par Radovan Samardžić, La ville de Belgrade et la Serbie... op. cit., p. 355.

119 Martin Fumée, Histoire des troubles de Hongrie..., Paris, 1608, cité par Radovan Samardžić, La ville de

Belgrade et la Serbie... op. cit., p. 366.

120 Ibid., p. 367.

121 Par exemple Jean Chesneau, Voyage de M. d’Aramon à Constantinople de 1543 à 1555, 1547, cité par Radovan

35 comme repère, la description des femmes122, le monastère serbe de Saint Sava ou encore les différentes batailles au sein de l’Empire ottoman123. L’Europe occidentale voit alors l’Orient

comme un tout unitaire : lorsqu’ils décrivent la Serbie, les Français ne distinguent pas encore les éléments serbes et l’Empire ottoman124. À noter toutefois que les références à la religion des

Serbes125 ou la description de certaines mœurs126 font parfois exception.

3. Les écrivains français et l’Orient européen au XVIIIᵉ siècle

L’ouvrage qui attire l’attention du public européen sur les Slaves du Sud pour la première fois est celui de l’Italien Alberto Fortis, Viaggio in Dalmazia [Voyage en Dalmatie], publié à Venise en 1774. Une traduction anonyme française paraît à Berne en 1778127. Si ce Voyage peut être considéré comme un tournant dans la vision française des Slaves du Sud, et bien que Vojislav Yovanovitch ait estimé que cet ouvrage concerne autant les Serbes que les autres populations Sud-slaves128, il évoque surtout la Dalmatie et donc pas directement l’élaboration de

représentations de la Serbie et des Serbes. Alberto Fortis n’évoque qu’une seule fois la « Servie », dans les deux tomes de son ouvrage, à l’occasion de la description de la ville dalmate de Scardona (nom romain de l’actuelle ville de Skradin). Il note que la ville commence à s’agrandir et que « beaucoup de marchants de Servie & de Bosnie s’y établissent comme dans un port propre au commerce avec les provinces Turques de l’intérieur des terres »129. La distinction qu’il fait entre la Dalmatie et la Serbie semble donc être nette. Toutefois, l’imaginaire qu’il fait naître autour des Slaves du Sud a eu quelques incidences sur les images de la Serbie en circulation en France. Ainsi, son discours sur les « haiducks »130 contribue-t-il à véhiculer des images qui ont été réutilisées dans la diffusion de représentations des Serbes. Si

122 Par exemple Jean Chesneau, Ibid. et André Thévet, Cosmographie de Levant, Lyon, 1554, cités par Radovan

Samardžić, La ville de Belgrade et la Serbie... op. cit., p. 356 et 360.

123 Par exemple Jean du Mont, Histoire militaire du prince Eugène de Savoye..., 1697, cité par Radovan Samardžić,

La ville de Belgrade et la Serbie... op. cit., p. 508.

124 Nicolae Iorga, Les voyageurs français dans l’Orient européen, Paris, Boivin et Gamber, 1928, p. 112. Maria

Todorova, Imaginaire des Balkans, op. cit., p. 112

125 Par exemple Jean Chesneau, op. cit., et Jacques Gassot, Le Discours du voyage de Venise à Constantinople...,

Paris, 1550, cités par Radovan Samardžić, La ville de Belgrade et la Serbie... op. cit., p. 356 et 358.

126 Par exemple Quiclet et son compagnon Pouillet, cités par Liljana Todorova, « Contribution à l’étude des

contacts culturels franco-yougoslaves... », op. cit., p. 226.

127 Ibid. p. 230. Pavle Sekeruš aussi a étudié les représentations issues de cette œuvre. Voir Pavle Sekeruš, Image

des Slaves du Sud dans la culture française (1830-1848), thèse réalisée sous la direction de Daniel-Henri Pageaux,

Université Sorbonne Nouvelle, Paris, 1999, p. 58.

128 Voyslav Yovanovitch, "La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique, Paris, Hachette, 1911,

p. 30.

129 Alberto Fortis, Voyage en Dalmatie, Berne, Paris, Société typographique, 1778, p. 179. 130 Ibid., p. 78-81 notamment.

36 la figure du Morlaque, abondamment décrite par Fortis, renvoie spécifiquement aux habitants de la Dalmatie131, la figure du haiduck accepte quant à elle une utilisation plus large. Le haiduck132 est, à l’origine, un mercenaire à la frontière avec la Turquie ; puis, il prend le sens plus général de brigand dans les Balkans133. D’après Alberto Fortis, « le plus grand danger à craindre vient de la quantité de Haiducks, qui se retirent dans les cavernes & dans les forêts de ces montagnes rudes et sauvages »134, mais il ajoute qu’« il ne faut pas cependant s’épouvanter trop de ce danger »135. Fortis fait un portrait de ces hommes et s’insère dans le courant préromantique en exagérant la description de leur sauvagerie en les comparant à des loups136 : ils « mènent une vie semblable à celle des loups ; errant parmi des précipices presque inaccessibles ; grimpant de rochers en rochers pour découvrir de loin en loin leur proie »137. Tout le discours sur ces personnages est élaboré à partir d’une subtile ambivalence entre leur sauvagerie et la justification de leurs actes. « Tuer le bœuf d’un pauvre laboureur pour consommer une petite partie de la chair & de la peau, semble une indiscrétion barbare »138 mais

« il faut remarquer cependant que les souliers sont de la nécessité la plus indispensable à ces malheureux »139. Il ajoute que « la faim chasse quelquefois ces Haiducks de leurs repaires, &

les rapproche des cabanes des Bergers, où ils prennent par la force des vivres »140 pour conclure que « dans des cas semblables, le tort est du côté de celui qui résiste. Le courage de ces gens est en proportion de leurs besoins & de leur vie dure »141. Ainsi, ces haiducks servent davantage à dessiner une figure folklorique et à établir une couleur locale qu’à renseigner les lecteurs ou à leur faire peur : leur description contient autant de caractères laudatifs que péjoratifs et ne permet donc pas de constituer une figure porteuse d’un message significatif. D’après Pavle Sekeruš, « ces héros romanesques ont une longue et féconde histoire dans les textes français »142

et ces derniers ont aussi concerné des discours sur la Serbie.

Si l’on peut accorder à Alberto Fortis un rôle dans la diffusion d’images en France, plusieurs motifs littéraires font référence à la Serbie avant même la publication de son ouvrage. Le

131 Ibid.., p. 67.

132 On retrouve de nombreuses orthographes différentes.

133 Pavle Sekeruš, Image des Slaves du Sud dans la culture française (1830-1848), op. cit., p. 77. 134 Alberto Fortis, Voyage en Dalmatie, op. cit., p. 78

135 Ibid.

136 Pavle Sekeruš, Image des Slaves du Sud dans la culture française (1830-1848), op. cit., p. 80. 137 Alberto Fortis, Voyage en Dalmatie, op. cit., p. 79.

138 Ibid. p. 80. 139 Ibid. 140 Ibid. 141 Ibid.

37 XVIIIᵉ siècle voit la première vague d’ouvrages français sur l’Orient : 15 à 20 livres de voyages en Orient sont publiés entre 1611 et 1660, puis 60 dans le premier tiers du XVIIIᵉ siècle143.

Ainsi Montesquieu, l’abbé Prévost et Voltaire s’insèrent-ils dans un imaginaire oriental plus général que Fortis et font appel à des personnages en rapport avec la Serbie.

Dans les Lettres Persanes, Montesquieu met en scène dans la lettre 130 des « nouvellistes », ancêtres des journalistes modernes, « curieux de nouvelles, qui les cherchent et les débitent »144. Ces derniers évoquent le siège de Belgrade de 1717. Le siège prend place pendant la guerre entre Venise, Vienne et Istanbul qui a lieu entre 1714 et 1718, après la victoire autrichienne de Petrovaradin d’août 1715. Le prince autrichien Eugène de Savoie montre très tôt de l’intérêt pour les confins militaires et notamment pour Belgrade, qu’il considère comme la clé de la Hongrie et du Banat : il recommande le bon traitement des Serbes, pour qu’ils puissent constater la différence entre les dominations chrétienne et ottomane145. Le prince lance les campagnes de

Temesvár, en Hongrie, et de Belgrade, à la suite desquelles il s’empare des deux villes146. En

1688, les armées autrichiennes s’étaient déjà emparées de la ville de Belgrade, mais les Ottomans l’avaient récupérée deux ans plus tard. Après la victoire à Belgrade, la paix de Passarowitz (Požarevac) est signée le 2 juillet 1718 et l’Empire autrichien atteint son expansion territoriale maximale dans les Balkans, au détriment de l’Empire ottoman147. La victoire du prince Eugène se transmet dans toute la chrétienté : elle apporte aux Serbes des confins l’espoir de pouvoir reconquérir la totalité de leur territoire148. Pourtant, l’Empire ottoman contre-attaque et reprend Belgrade en 1739, avec la signature d’un traité de paix149. Située au confluent de la

Save et du Danube, Belgrade constitue un point stratégique pour les différentes armées.

Dans la 130ᵉ lettre des Lettres persanes, Rica rapporte la lettre d’un « nouvelliste » : Dès que la guerre fut déclarée entre l’empereur et les Turcs150, j’allai chercher nos messieurs dans tous les coins des Tuileries ; je les assemblai près du bassin et leur prédis

143 Pierre Martino, L’Orient dans la littérature française au XVIIe et au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1906, cité

par Branko Džakula, « Montesquieu, Bonneval et la question d’Orient », dans Annales de l’Institut français de

Zagreb, 1975, 3e série, n° 1, p. 7.

144 Voir Montesquieu, Lettres persanes, Paris, Flammarion, 1992 [1721], p. 295.

145 Jean Nouzille, Le Prince Eugène de Savoie et le sud-est européen (1683-1736), Paris, Honoré Champion, 2012,

p. 422.

146 Ibid., p. 152-160.

147 Robert Mantran (dir.), Histoire de l’Empire ottoman, op. cit., p. 306.

148 Jean Nouzille, Le Prince Eugène de Savoie et le sud-est européen, op. cit., p. 160. 149 Georges Castellan, Histoire des Balkans XIVe-XXe siècle, Paris, Fayard, 1991, p. 199.

150 Les Ottomans sont appelés Turcs par la plupart des contemporains, sans distinctions. Maria Todorova,

38 qu’on ferait le siège de Belgrade, et qu’il serait pris. J’ai été assez heureux pour que ma prédiction ait été accomplie. Il est vrai que, vers le milieu du siège, je pariai cent pistoles qu’il serait pris le 18 août ; il ne fut pris que le lendemain. Peut-on perdre à si beau jeu ?151 Ces journalistes imaginent les batailles, parient dessus, mais ne semblent pas bien renseignés sur la situation qu’ils évoquent : Montesquieu les tourne en ridicule et leur est hostile152. Les

Lettres Persanes sont publiées en 1721, soit quelques années seulement après le siège de Belgrade dont il est question, et le récit illustre la façon dont les contemporains de Montesquieu imaginent la Serbie : elle fait partie de l’Empire ottoman, n’est évoquée que par ce biais et la Turquie elle-même rappelle une vision de l’Orient assez généralisée, à travers les guerres qui y font rage153. Pourtant, Montesquieu est bien renseigné sur la situation dans les Balkans et

Branko Džakula souligne le rôle du comte Alexandre de Bonneval dans sa connaissance des événements dans cette partie de l’Europe154. Ce dernier est soldat, d’abord pour la France, puis

pour le prince Eugène, avant d’offrir ses services à l’Empire ottoman et de se convertir à l’islam en 1730. Il fournit des informations détaillées à Montesquieu sur la situation en Orient155, que l’on retrouve notamment dans les Lettres persanes. De plus, Montesquieu entreprend un voyage vers l’Est en 1728-1729 et il est ainsi un des rares écrivains de cette époque à se rendre dans un pays slave du Sud. Il écrit alors sur les Morlaques, passe par la Slovénie et laisse des notes de voyages156.

L’abbé Prévost évoque aussi la Serbie dans les Mémoires et aventures d’un homme de qualité, œuvre publiée entre 1728 et 1731157. Le héros du roman, marquis de Renoncour, s’enfuit

d’Angleterre et arrive à Vienne en 1688 pour s’engager et combattre auprès de l’armée impériale contre les Turcs, dans une guerre qui a débuté en 1683158. De là, il raconte avoir rejoint le « régiment de Rosech, qui avait passé l’hiver à Novibazar, petite ville de la Servie. Cette province était le théâtre de la guerre. La campagne s’ouvrit de bonne heure »159. Puis, le

héros fait le récit des différentes batailles auxquelles il participe contre les Ottomans :

151 Montesquieu, Lettres persanes, op. cit., p. 296-297.

152 Branko Džakula, « Montesquieu, Bonneval et la question d’Orient », op. cit., p. 9.

153 Sur la théorie du despotisme oriental, voir Alain Grosrichard, Structure du sérail. La fiction du despotisme

asiatique dans l’Occident classique, Paris, Seuil, 1979.

154 Branko Džakula, « Montesquieu, Bonneval et la question d’Orient », op. cit., p. 7. 155 Ibid.

156 Ibid. p. 7-19.

157 Mihailo Pavlović, Témoignages français sur les Serbes et la Serbie… op. cit., p. 9.

158 À l’hiver 1683 une coalition est organisée entre les principaux adversaires des Ottomans : Autrichiens, Russes,

Polonais, puis la papauté et Venise. Voir Robert Mantran (dir.), Histoire de l’Empire ottoman… op. cit., p. 247- 248.

39 Les coureurs rapportèrent qu’il était arrivé à Jagodin un corps de dix mille Turcs : comme nous n’en étions éloignés que d’une lieue, le prince de Bade fit avancer l’armée pour les charger. Nous le fîmes avec beaucoup de vigueur. [...] Nous reprîmes notre marche vers Nissa, où les infidèles étaient au nombre de quarante mille hommes. Nous n’étions tout au plus que dix-huit ou vingt mille. Cela ne nous empêcha point d’avancer avec beaucoup de résolution. [...] Le prince ne se contenta pas de ces divers avantages, il résolut avant que de finir la campagne, de s’emparer de Vidin, dernière place de la Servie, aux frontières de la Bulgarie [...]. Il fit venir les munitions nécessaires de Belgrade et de Jagodina, et après avoir laissé prendre quelques jours de repos à son armée, il s’achemina vers le Danube [...]160

L’auteur évoque la Serbie à travers les batailles que l’armée autrichienne mène contre les Ottomans, après la prise de Belgrade en septembre 1688161. Ces noms de villes162, qui apparaissent dans la presse de l’époque avec le suivi de l’actualité, servent à instaurer un décor auprès des lecteurs : ils font référence à des événements violents qui soulèvent des problématiques politiques complexes (non explicitées dans le livre) mais n’ont pas d’importance particulière pour le récit principal. En effet, les références historiques servent de jalons pour faire découvrir différents horizons aux lecteurs et sont l’occasion de discours sur différentes mœurs étrangères. Quelques pages plus loin, Prévost fait décrire à son héros des exactions commises par les Ottomans sur les populations chrétiennes :

Les Turcs qui étaient répandus dans divers quartiers de la Bulgarie, voyant l’armée impériale séparée, crurent pouvoir impunément faire leurs excursions ordinaires dans la Servie, où ils enlevaient tout ce qu’ils pouvaient trouver de chrétiens, hommes et femmes, et les emmenaient dans une dure captivité.163

Là encore, le narrateur met en avant une violence exotique, et pousse le lecteur à s’identifier aux chrétiens qui figurent dans son récit. Les écrivains romantiques, en effet, ont beaucoup utilisé le manichéisme entre chrétiens, fils de la lumière, et Ottomans, représentés comme les gardiens des ténèbres164. Hormis les noms de villes, cette évocation de populations chrétiennes est la seule qui puisse être rapprochée d’une mention de l’histoire serbe. Si Prévost ne donne pas de détails sur l’histoire de cette campagne, les faits qu’il relate correspondent à la réalité et