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Images romantiques et nouvelle curiosité française pour la Serbie (1804-1840)

III. Construction des images stéréotypées

La multiplication des discours sur la Serbie, leur dimension collective, leur durée dans le temps et leur réduction simplificatrice donnent naissance à des images rigides et catégorisantes du Serbe. Ces images révèlent des ambivalences dans la perception de l’Autre mais aussi un rôle de projection pour les Français. L’émergence de ces stéréotypes n’est pas compréhensible si elle ne prend pas en compte les enjeux politiques et sociaux de leur apparition. Que révèlent-ils des Français et de leur position dans la question d’Orient ? La sphère politique réagit-elle aussi promptement que l’opinion publique face aux événements balkaniques ?

A. Construction des stéréotypes comme premier mode de connaissance

1. Méconnaissance de la Serbie en France et absence de savoirs académiques

La supercherie de Mérimée avait révélé que le public, Goethe mis à part, n’était pas en mesure de réaliser qu’il ne lisait pas de l’authentique poésie serbe. Cet épisode nous informe que les Français du début du XIXᵉ siècle perçoivent comme crédibles des images pourtant en partie inventées. Dans le même ordre d’idées, le ministre plénipotentiaire Boislecomte évoque en 1834 la méconnaissance des Français pour la Serbie: « Le pays dont j’ai aujourd’hui à entretenir Votre Excellence est si peu connu que je crois devoir commencer par rappeler les principales circonstances qui l’ont amené à l’état d’indépendance où il se trouve parvenu »364.

Il débute ainsi une série de lettres qui décrivent la Serbie au moment où il la visite, avec le désir de combler un manque de connaissances : au début du XIXᵉ siècle, les Français ont donc encore une très mauvaise connaissance de la Serbie.

Un autre exemple est celui d’un article de Conrad Malte-Brun datant de 1813, publié dans le volume 17 des Annales des voyages, de la géographie et de l'histoire. Il y présente un ouvrage paru en Russie en 1810 et intitulé Voyage en Valachie, Moldavie et Servie et en publie les passages les plus significatifs. Notamment, ceux qui concernent la Serbie : « La partie la plus intéressante de son voyage, c’est celle qui concerne la Servie ; c’est aussi celle dont nous allons faire connoître [sic] la substance »365. L’auteur, M. Bantisch-Kamensky, est chargé d’apporter au clergé serbe des huiles saintes :

364 Lettre du Baron Boislecomte au MAE. Belgrade, 1er juin 1834. AMAE, op. cit. 365 Conrad Malte-Brun, « Lettres d’un voyageur russe sur la Serbie », op. cit., p. 307-308.

77 Je leur fus présenté en qualité de major russe, apportant, comme présent de S. M. l’Empereur de toutes les Russies, les huiles saintes destinées aux églises serviennes. Ce fut alors mon tour de saluer chacun de ces pères de la patrie par une inclination, et, sur leur question : Dobro doschli, gospodin major ? [sic] c'est-à-dire le voyage a-t-il été heureux, seigneur major ? de répondre à chacun : Chwala Bogu ! [sic] c'est-à-dire, gloire à Dieu ! ou Dieu soit loué ! exclamation que chacun d’eux répéta gravement.366

Or, « dobro došli » signifie « bienvenue » et la traduction de l’auteur est approximative (« le voyage a-t-il été heureux »). La publication d’une telle approximation dans une revue scientifique nous renseigne sur les lacunes linguistiques concernant la langue serbo-croate. Sur le terrain, même les ambassadeurs à Constantinople regrettent un manque d’informations à propos de ce qu’il se passe en Serbie367. Ainsi, même les milieux privilégiés que sont la

diplomatie et la presse spécialisée (ici une revue de géographie) expriment la méconnaissance française ambiante à propos de la Serbie. L’absence d’institution académique diffusant des savoirs sur la Serbie explique et/ou accompagne ces lacunes qui donnent aux discours stéréotypés davantage de force.

Dans ce contexte, il faut questionner l’apport cognitif des discours qui circulent sur la Serbie. Sophie Linon-Chipon évoque la « recherche d’une adéquation, la plus juste qui soit » entre ce que les acteurs voient sur place et les discours qu’ils produisent368. Ce désir de transmettre une

expérience vécue est observable pour la Serbie, avec des acteurs de terrain qui envoient des rapports et des informations en France, ou des voyageurs qui publient leurs impressions de voyage. Ces images permettent de mettre en lumière la construction d’un stéréotype national, dans la mesure où les Français ont la volonté de caractériser la population serbe dans ce qu’elle a de spécifique, comparée notamment à ses voisins. Les dimensions simplificatrices, leur durée dans le temps, leur dimension sociale et collective ainsi que l’expression de jugements transforment ces images en stéréotypes. D’après Robert Frank, la force de ces représentations figées « consiste à puiser, dans le passé, des morceaux épars de vérité qu’ils fondent en une

366 Ibid., p. 318-319.

367 Lettre du baron Boislecomte au MAE, 5 juin 1834. AMAE, op. cit. « M. Davidovitch [...] m’a dit que le Prince

très satisfait de ma visite verrait avec plaisir que MM. les ambassadeurs ou secrétaires d’ambassade qui se rendraient à Constantinople lui en fassent une semblable en passant par Belgrade. Je me suis chargé avec plaisir, Monsieur le Comte, de porter cette idée à la connaissance de V.E. pensant qu’elle offrirait un moyen très naturel de procurer à l’ambassade de S.M. près de la Porte des renseignements dont elle a plusieurs fois eut sujet de regretter la privation. »

368 Sophie Linon-Chipon, Gallia orientalis. Voyages aux Indes orientales (1529-1722). Poétique et imaginaire

78 image supposée exprimer toute la vérité d’un peuple »369. Le philosophe et philologue Heinz

Wismann souligne quant à lui que « les stéréotypes résultent, avant de servir d’autres intérêts, d’un authentique désir de connaissance »370 : il faut prendre en considération cette dimension

cognitive, dans un contexte où les Français ont de faibles connaissances sur la population serbe. La méconnaissance de la Serbie et la rareté de représentations en circulation avant le XIXᵉ siècle permettent aux stéréotypes de s’installer comme premier vecteur de connaissance de la population serbe.

2. Influence des romantiques dans la construction des images

Avec l’hellénisme, les romantiques se sont emparés de la cause grecque et René Canat établit des rapports intimes entre romantisme et hellénisme : « Le romantisme n’a pas rencontré fortuitement l’hellénisme et ne l’a pas subi par nécessité, mais il n’a cessé de le rechercher et de le favoriser »371. Alors que le monde intellectuel se tourne vers ses racines humanistes, il

cherche à établir des correspondances entre l’émancipation de la Grèce et ses racines antiques372. Au-delà de cette essence liée à la cause grecque, les romantiques s’intéressent plus

largement aux peuples méconnus373 et un parallèle se dessine entre le courant philhellène et la façon dont les Français s’emparent de la cause des Serbes :

L’état jugé déplorable des descendants de cette hellénité, supplantée par une domination perçue comme anachronique, éveille l’intérêt pour les populations slaves de la Turquie européenne, dont l’émancipation semble se dérouler dans la foulée des guerres napoléoniennes et rejoint l’éveil des peuples et des nationalités de l’Europe374.

Lorsque Claude Fauriel professe un cours sur les poésies grecque et serbe à la Sorbonne, il souligne « la commune destinée de [ces] deux peuples375. Lamartine évoque quant à lui « l’histoire de ce peuple [qui] devrait se chanter et non s’écrire »376, soulignant l’importance des chants dans la culture serbe. Dans un ouvrage de Berton de 1822, on peut également lire

369 Robert Frank, « Qu’est-ce qu’un stéréotype ? » dans Jean-Noël Jeannenay (dir.), Une idée fausse est un fait

vrai… op. cit., p. 19.

370 Heinz Wismann, « Un regard philosophique », Ibid., p. 27.

371 René Canat, L’hellénisme des romantiques. La Grèce retrouvée, Paris, Didier, 1951, p. 9.

372 Boško Bojović, « La réception de la poésie populaire serbe en France dans la première moitié du XXe siècle »,

op. cit., p. 53-64.

373 Mihailo Pavlović, Témoignages français sur les Serbes et la Serbie… op. cit., p. 10.

374 Boško Bojović, « La réception de la poésie populaire serbe en France dans la première moitié du XXe siècle »,

op. cit.

375 Miodrag Ibrovac, Claude Fauriel… op. cit., p. 426. 376 Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, op. cit., p. 778.

79 que « les vieux compagnons d’armes [...] de Czerni-George », héros national serbe, sont « tous Grecs de religion ou d’origine »377 : alors que la guerre d’indépendance grecque a commencé,

les romantiques ne sont pas les seuls à rapprocher les Serbes des Grecs et d’autres auteurs comparent les histoires et les religions de ces deux populations. Ici, l’auteur définit en effet Grecs et Serbes par leur religion : du point de vue français, les orthodoxes forment un groupe homogène, de « religion grecque ». Si cette définition ne traduit pas de mise à distance, comme c’est le cas dans la description des musulmans, elle reflète une conception simplifiée des populations balkaniques. Dans les faits, la volonté de s’extraire de l’Empire ottoman rapprochent les populations grecque et serbe. Les mécontentements populaires, le poids des impôts ainsi que l’influence des Lumières ont des conséquences sur les mouvements des Grecs et des Serbes vers l’indépendance et le courant romantique peut établir des parallèles. La figure du « klephte », par exemple, est l’équivalent grec du haiduck serbe et contribue à la construction d’images véhiculées auprès des Français. Les chants ou poèmes, qui sont le biais de transmission orale d’une culture et d’une identité pour les Grecs et les Serbes, deviennent aussi une source d’intérêt pour les romantiques.

Ainsi, « la découverte de ce patrimoine populaire et le vif intérêt qu’il rencontre chez Goethe, les frères Grimm, Haxthausen, apporte une ressource d’inspiration inespérée pour le courant romantique. Chateaubriand et Hugo ont connu les chants néo-grecs, alors que Lamartine et Mérimée ont connu aussi les chants serbes »378. Mérimée379, Fauriel380 et Lamartine sont rattachés au mouvement romantique et ont du poids dans la diffusion de représentations de la Serbie, notamment parce qu’ils font partie des rares auteurs littéraires à l’évoquer à cette époque. Ainsi les exigences de ce courant littéraire ont-elles eu des conséquences sur la création d’images de la Serbie, marquant par exemple de couleur locale les poésies de Mérimée381 qui

profite du goût généralisé pour l’exotisme382.

377 Jean-Michel Berton, Les Turcs dans la balance politique de l’Europe… op. cit., p. 91.

378 Boško Bojović, « La réception de la poésie populaire serbe en France dans la première moitié du XXe siècle »,

op. cit.

379 Si on peut distinguer plusieurs influences auxquelles se rattache Mérimée, il écrit en 1833 « Vers l’an de grâce

1827 j’étais romantique ». Voir Prosper Mérimée, La double méprise, suivie de La Guzla ou choix de poésies

illyriques, op. cit., p. 131.

380 Voir Élena Mochonkina, Claude Fauriel, un philologue romantique (1772-1844), thèse réalisée sous la

direction de Michel Zink, Université Paris-Sorbonne, 2005.

381 Pavle Sekeruš, Image des Slaves du Sud dans la culture française (1830-1848), op. cit., p. 85. 382 Georges Roger, Prosper Mérimée et la Corse, Alger, Baconnier, 1945, p. 37.

80 B. Portrait stéréotypé des Serbes au service de leur insurrection

1. Description des populations balkaniques

Les écrits qui évoquent la Serbie au début du XIXᵉ siècle dressent un portrait stéréotypé de ses habitants : plusieurs traits se retrouvent répétés collectivement, durablement et établissent une vision simplifiée de la population. En 1826, un rapport adressé au ministère des Affaires étrangères français, diffuse ainsi des images stéréotypées du Serbe : « Il est religieux, simple dans ses mœurs ; et quoique grossier et ignorant, on ne peut lui reprocher toutes les mauvaises qualités des Moldaves et des Valaques, ses voisins abrutis »383.Cette phrase est représentative d’un discours qui se développe au début du XIXᵉ siècle dans le but de caractériser des populations qui se retrouvent au cœur de l’actualité européenne avec la question d’Orient. En effet, le regard européen se dirige vers les Balkans et l’on cherche à définir le caractère de ces populations mal connues. Antoine-Laurent Castellan, par exemple, explique vouloir exposer ce qu’il y a de curieux dans l’histoire, les mœurs et les costumes des Turcs et « ce qu’il est indispensable de savoir d’un pays sur lequel on a débité tant de fables »384, exprimant un désir

de renouvellement.

Différents ouvrages publiés avant 1840 en France illustrent tout d’abord une volonté de décrire les populations slaves de manière générale. Belsazar Hacquet, par exemple, naît en France puis fait des études de médecine à Vienne. Il devient médecin et entreprend des voyages d’exploration dans l’Empire austro-hongrois et dans les Balkans, jusqu’à Constantinople. Son ouvrage sur l’Illyrie (L’Illyrie et la Dalmatie, ou Mœurs, usages et coutumes de leurs habitants et de ceux des contrées voisine) est publié en allemand et traduit en français. Il y propose un portrait stéréotypé des populations slaves :

Le caractère des Slaves, en général, est une intrépidité singulière. [...] Le Slave est frugal, plein de générosité, et il exerce l’hospitalité avec un plaisir extrême. Il est, comme la plupart des asiatiques, d’une malpropreté excessive, quoiqu’il aime passionnément les bains. La cause de cette saleté vient de ce que les Slaves habitent des maisons trop étroites. Souvent, plus d’une famille couche dans la même hutte, ou dans la même chambre, et au milieu des ordures.385

383 « Notes sur la Servie », lettre envoyée au MAE le 24 mars 1826. AMAE, op. cit.

384 Antoine-Laurent Castellan, Mœurs, usages, costumes des Ottomans, et abrégé de leur histoire, avec des

éclaircissements tirés d’ouvrages orientaux et communiqués par M. Langlès, Paris, Nepveu, 1812, T. 1, p. 7-8.

81 Hacquet est médecin, il est protégé par la cour de Vienne qui finance ses voyages et a donc une certaine légitimité scientifique à observer et à qualifier le caractère des Slaves. Non seulement ces éléments sont des représentations figées, mais ils tentent de caractériser un groupe mal défini. Ces traits peuvent par ailleurs refléter une vision politisée depuis Vienne, d’où Hacquet publie son ouvrage.

Citons également l’introduction du traducteur français Jean-Baptiste Breton, qui traduit l’ouvrage d’Hacquet depuis l’allemand :

Nous ne dissimulerons pas les obligations que nous avons à l’ouvrage allemand du docteur Hacquet ; mais nous nous sommes efforcés d’accommoder au goût des lecteurs français un texte un peu aride, et qui pèche un peu par un plan méthodique à l’excès. Nous y avons ajouté diverses particularités curieuses, extraites de l’excellent ouvrage de M. Fortis, et du Voyage pittoresque de Cassas, où malheureusement un style emphatique gâte trop souvent d’excellentes observations.386

Ainsi, ce dernier a adapté la traduction à son lectorat français. Il y fait notamment référence à l’ouvrage de l’abbé Fortis, Viaggio in Dalmazia, publié à Venise en 1774. Cet ouvrage, mentionné plus haut, est pourvu de caractéristiques littéraires avec, par exemple, l’utilisation romanesque de la figure du haiduck. Le fait que J.-B. Breton utilise Fortis comme source pour adapter sa traduction traduit la frontière trouble entre science et littérature pour la traduction d’un ouvrage écrit par un médecin. Cette ambiguïté nous éclaire sur la construction de discours stéréotypés, qui ne craint pas de s’éloigner de l’observation du terrain pour s’enrichir de références plus exotiques afin de plaire aux lecteurs.

Les Slaves ne sont pas le seul groupe à être dépeint par les observateurs occidentaux. Ces derniers s’appliquent aussi à décrire les « Orientaux », dans des discours longuement étudiés par Edward Saïd387. Citons l’exemple d’un ouvrage qui retrace l’histoire de l’Empire ottoman :

« C’est le propre des Orientaux : amis du repos et de la mollesse, ils ne peuvent sortir de cet état sans violence. On trouve chez eux tous les extrêmes : ils sont tour à tour courageux et lâches, entreprenants et paresseux, mous et endurcis, voluptueux et sanguinaires »388. Là aussi,

386 Ibid., introduction du traducteur Jean-Baptiste Breton, p. IV. 387 Edward Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, op. cit.

388 E. Palla, Histoire abrégée de l’empire ottoman, depuis son origine jusqu’à nos jours, Paris, Raymond, 1825,

82 la description stéréotypée véhicule des images figées auprès du public français. Les Serbes, eux, sont tour à tour associés aux populations slave et orientale.

Au-delà de ces discours sur des groupes de populations, qui tendent à introduire des hiérarchies entre ceux qui émettent les images et ceux qui sont représentés, les sources décrivent aussi différents groupes nationaux. En 1822, l’avocat Berton écrit que « les mœurs des Turcs, leur vrai caractère, l’influence de ce caractère sur leur destinée politique, ont échappé, jusqu’ici, à la légèreté des observateurs vulgaires »389. Il s’exprime ainsi dans l’introduction d’un ouvrage sur la place de la Turquie dans la situation européenne. Charles Pertusier, officier puis ambassadeur à Constantinople, écrit la même année dans un ouvrage consacré à la Bosnie que le Bosniaque « accorde une place d’honneur dans ses affections à ses armes qu’il ne quitte guère que pendant son sommeil »390 et qu’il est « hospitalier, quelle que soit sa croyance

[religieuse] »391. Ces différentes citations illustrent le mouvement engagé dans la description

des populations balkaniques au début du XIXᵉ siècle et le déplacement du regard occidental qui se prend d’intérêt pour le sud-est de l’Europe. Les Serbes ne sont pas laissés de côté dans cette entreprise, et le premier point que l’on peut relever est leur assimilation par les sources à un peuple guerrier.

2. Portrait d’un peuple guerrier, vindicatif et courageux

Les discours cristallisent des traits qui font apparaître un type de représentations de la population serbe. Le premier trait de caractère serbe que l’on retrouve est la dimension guerrière du peuple, qui apparaît toujours armé. Dans un rapport sur la Serbie envoyé au ministère des Affaires étrangères en 1826, la population serbe est traitée comme les autres populations de l’Empire, « mais sans doute avec plus de ménagements, à cause du caractère énergique et belliqueux de cette nation, puisqu’il semble certain que les Serviens ont toujours continué de porter des armes »392. Mérimée évoque un an plus tard le hanzar, « grand couteau que les

389 Jean-Michel Berton, Les Turcs dans la balance politique de l’Europe… op. cit., p. 1. 390 Charles Pertusier, La Bosnie… op. cit., p. 91.

391 Ibid., p. 93.

83 Morlaques393 ont toujours à leur ceinture »394 et Lamartine confirme en 1835 que « le peuple [serbe] est toujours debout et armé »395, décrivant « une jeune mère qui allaitait des jumeaux et dont le troisième enfant jouait à terre à ses pieds avec le yatagan396 de son père »397. Dans les ouvrages historiques, politiques et géographiques publiés entre 1804 et 1840, on relève une centaine d’occurrences des mots dérivés du mot « arme » dans les passages consacrés à la Serbie. Ces armes servent aux Serbes non seulement à se défendre mais aussi à se venger.

Le thème de la vengeance, en effet, est aussi récurrent lorsque les Français font mention des Serbes, notamment dans la description de la bataille de Kosovo polje en 1389 : « Milo, serviteur zélé de Lazare, compta ses jours pour rien, s’il pouvait parvenir à venger son maître. Il eut l’audace d’attaquer Amurath au milieu même de ses troupes victorieuses, et le perça d’un coup de lance »398. La tradition attribue à Miloš Obilić le meurtre du sultan ottoman, sacrifiant sa vie

pour prouver au prince Lazar sa fidélité. Les Français recourent aussi au thème de la vengeance pour expliquer l’insurrection de 1804 : « Elle fut l’effet de la vengeance des Serviens contre la race des janissaires, dont la domination féroce les avait accoutumés à de pareilles exécutions »399. Point de vue que l’on retrouve sous la plume du diplomate Boislecomte à propos de l’insurrection de 1815400. Le processus de vengeance sert aussi de moteur interne à