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6. Résultats et analyse

6.6. Retour sur les questions de recherche

Après avoir examiné les données issues des discours des entraîneurs et étudié les cadrages utilisés dans la gestion des attentes, il est possible d’avancer des hypothèses et de proposer des pistes de réponses aux questions de recherche.

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• Comment les entraîneurs de la LNH cherchent-ils à faire contrepoids aux attentes durant leurs entretiens avec les médias? Et quelles tendances en résulte-t-il?

Les précédentes analyses ont souligné comment, au moyen de certains cadres, les entraîneurs des Canadiens ont cherché à infléchir les attentes. Nombre de cadres ont d’ailleurs été plus mobilisés que d’autres, au gré des prestations de l’équipe et de celles anticipées par les entraîneurs et journalistes. Il a été donné de constater que les cadres et la gestion des attentes ont varié avec une certaine logique selon les périodes et le rendement de l’équipe. Par exemple, les cadres de la parité et des impondérables ont été plus utilisés au moment où l’équipe a connu des périodes creuses, ou lorsqu’il y avait un risque tel dans un avenir rapproché.

Autrement, il est arrivé que les entraîneurs n’aient pas nécessairement cherché à reconfigurer les attentes, mais aient plutôt été en phase avec celles-ci. Parfois même, les cadres ont été mis en avant par les journalistes et repris par les entraîneurs. Cela a notamment été le cas le 28 janvier, lorsqu’un journaliste a demandé à Michel Therrien si la coupe du Monde avait eu des conséquences néfastes sur les prestations des joueurs y ayant participé, ce qui a permis à l’entraîneur de parler aussi plus globalement des impondérables auxquels l’équipe devait faire face. « C’t’un bon point » (l. 895), a-t-il lancé au journaliste avant d'aller plus loin. Dans ces cas de figure, des cadres concordants entre journalistes et entraîneurs sont ressortis. En certaines autres occasions, des cadres antagonistes sont survenus.

Cela a aussi mis en lumière les différences dans la gestion des attentes des entraîneurs lorsqu’ils ont été confrontés à des attentes similaires. On a ainsi pu observer que Claude Julien était beaucoup plus pondéré quant aux ambitions de remporter la coupe Stanley, alors que son

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prédécesseur était d’ordinaire prompt à relever les attentes et à insinuer que le club était tout près de remporter le championnat. Claude Julien, par exemple,

Enfin, les entraîneurs se sont principalement montrés plutôt cohérents dans leur gestion des attentes d’une séance médiatique à l’autre. Quelques menus accrocs sont toutefois survenus. Michel Therrien, par exemple, qui a abondamment évoqué la possibilité de remporter la coupe Stanley, n’a pas manqué de minorer cette considération le 20 septembre : « la seule concentration, c’est de revenir dans les séries éliminatoires » (l. 88). Claude Julien, pour sa part, après avoir minimisé l’importance du rang au classement, a affirmé que l’objectif avait été de « s’assurer de rester en première position » (31 mars, l. 1599). Les événements ont cependant forcé la main des entraîneurs et ont été à l’origine de certaines incohérences. Entre autres, quelques jours après avoir minimisé le rôle des blessures dans les perspectives de succès (21 déc.), Michel Therrien les a mises en exergue afin de diminuer les attentes (9 janv.).

Ainsi, globalement, outre les tendances mentionnées dans les pages précédentes, les entraîneurs ont principalement cherché à tempérer les attentes lorsque confrontés à des situations corsées ou anticipées comme telles, et se sont montrés plus ambitieux lorsque les circonstances s’y prêtaient davantage.

• Est-il possible aux entraîneurs de nuire à leur propre cause par un excès d’optimisme ou de négativisme, ou de gérer les attentes en tempérant ou en temporisant?

On peut penser que le cadre de la coupe Stanley, qui a servi à hausser quelque peu les attentes à nombre de reprises durant la première portion de la saison 2016-2017, ait contribué à créer un climat plus propice à l’établissement d’un nouveau seuil dans les attentes des différents publics. Ce phénomène a très bien pu s’adjoindre à l’excellent début de saison du club pour créer

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d’abord une disconfirmation positive, puis exacerber une disconfirmation négative une fois de possibles nouveaux seuils établis en cours de saison, lorsque des prestations de moindre qualité ont été rendues. De manière prophétique, Michel Therrien avait déjà déclaré en 2014 qu’après des succès hâtifs, « les attentes restent tout le temps » symétriques à ce point de comparaison nouvellement établi (RDS, 2014a).

Des phénomènes de temporisation sont également survenus. Entre autres, dans les jours qui ont suivi son entrée en poste, Claude Julien a utilisé les cadres de la confiance et des structures de jeu de manière dilatoire, soit comme période de transition avant que l’équipe retrouve ses moyens. Il aura fallu attendre quelque 10 jours avant que l’entraîneur des Canadiens ne cherche à anticiper de manière vraiment claire des prestations plus près de ce qui avait été pronostiqué. De la même manière, comme cela a été décrit, Claude Julien a repoussé toute discussion quant aux chances de son équipe de remporter la coupe Stanley, ce qui aurait forcé à la spéculation, en recadrant la situation par rapport à l’unique sujet de la qualification aux séries éliminatoires, qui tend à masquer toute considération future.

Du reste, plusieurs exemples illustrant la manière dont les entraîneurs ont cherché à tempérer les attentes, tant de manières rétrospectives que prospectives, ont ponctué la saison 2016-2017. Entre autres, les impondérables ont été utilisés dans la même séquence médiatique (28 janv.) pour expliquer des prestations récentes légèrement plus faibles et anticiper des séquences périlleuses.

Enfin, un grand nombre d’expressions volontairement opaques ont marqué la phraséologie associée aux différents cadres afin de tempérer les attentes. Plusieurs ont été énumérées dans les premières pages de la présente section. Le 31 mars, par exemple, lorsqu’il a été questionné

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sur les possibilités de voir la coupe Stanley à Montréal, Claude Julien a simplement affirmé que l’équipe possédait « beaucoup d’éléments » requis pour « pour gagner » (l. 1612).

• Comment la variation de l’écart entre la position de l’équipe au classement et les attentes en début de saison influence-t-elle la gestion des attentes des entraîneurs?

Il peut être plus délicat de s’avancer sur les conséquences des variations dans le positionnement d’une équipe au classement de sa section sur la gestion attentes puisque les Canadiens se sont emparés du premier rang très tôt en début de saison et ne l’ont plus quitté.

Cependant, certaines périodes de la saison, examinées de manière individuelle, s’éloignent des prédictions de début de saison. L’entame fructueuse de l’équipe est l’une de celles-ci. La période léthargique de mi-saison en est une autre. Cette dernière s’éloigne non seulement de ce qui avait été anticipé avant la saison, mais aussi, de façon plus prononcée, de ce qui a possiblement été anticipé après cet extraordinaire début. Les analyses précédentes ont notamment permis d’observer que durant cette période, et même après, la gestion des attentes a été marquée par un certain déni du réel, utilisé par Michel Therrien afin de remédier à une trop grande disconfirmation positive survenue durant le premier quart de saison. À cet instant, l’équipe naviguait en effet dans la zone « Could » et figurait parmi les deux meilleures équipes de la ligue. La Figure 8, ci-après, schématise un cas de déni du réel dans la gestion des attentes à postériori, survenu durant la période fructueuse du début de saison.

Afin de diminuer la disconfirmation positive (D+), soit l’écart entre la position anticipée et la position réelle au classement de la section, l’entraîneur, comme nous l’avons vu, a usé de divers euphémismes pour représenter la réalité de manière à atténuer les succès de l’équipe.

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Figure 8. Schéma de la baisse de la disconfirmation positive dans la gestion des attentes et déni du réel.

La mêlée de presse du 1er novembre illustre précisément le modèle de la Figure 8. Pendant celle-ci, Michel Therrien a comparé le retentissant début de saison de l’équipe à un bon coup de départ au golf, permettant, en fin de compte, de simplement jouer la normale (l. 384-385). Or, si l’entraîneur avait souhaité utiliser une comparaison symétrique, il aurait plutôt parlé, par exemple, d’un superbe coup de départ permettant de viser plus logiquement un oiselet (birdie), soit un résultat supérieur à ladite normale. En agissant de la sorte, il évite cependant d’amplifier la disconfirmation positive que le réel permettrait plus naturellement de constater.

En ce qui concerne la disette des mois de janvier et février, la disconfirmation négative circonstanciée a notamment forcé Michel Therrien à varier sa gestion des attentes. Il a mobilisé des cadres ayant trait aux efforts afin de mieux cultiver la zone de tolérance, et aux impondérables, pour revoir à la baisse les attentes pour les séquences passées et à venir. Claude Julien a également grandement eu recours à cette zone de tolérance après l’élimination de l’équipe des séries de fin de saison, en soulignant les aspects positifs malgré une défaite hâtive

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(retour de la chimie, efforts des joueurs, etc.). La Figure 9, ci-après, illustre une forme de disconfirmation négative circonstanciée et un type de gestion des attentes à postériori offert par Michel Therrien. Si l’on tient uniquement compte de la période léthargique, durant laquelle l’équipe a offert des prestations équivalentes à un club de septième ou de huitième rang (soit un dossier de 3-6-2), la disconfirmation négative (D-) est vertigineuse par rapport aux pronostics d’avant-saison (« Will »), mais moins par rapport à des attentes « Must », le seuil minimal envisagé. À plusieurs reprises, afin de diminuer la disconfirmation négative circonstanciée – l’équipe figure toujours dans le haut du classement de la section –, l’entraîneur a tenté de baisser les attentes, comme cela a été mentionné, notamment au moyen du cadre des impondérables. De la même manière, le 25 février, Claude Julien a tenté de baisser les attentes pour la séquence difficile vécue récemment en invoquant le temps que requièrent ses ajustements tactiques (« it’s coming aroung », « my transition has been quick », l. 1334, 1332).

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