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7. Discussion

7.3. Rapports journalistiques

Aidé notamment par certaines idiosyncrasies du journalisme sportif, le service communication des Canadiens de Montréal semble avoir, depuis plusieurs années déjà, contribué à façonner une image relativement lisse et positive du club. Malgré tout, on peut se demander si un tel environnement de travail profite pleinement à l’entraîneur.

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D’abord, les journalistes sportifs entretiendraient généralement un parti pris dans leur couverture en raison, notamment, de leur proximité avec leurs sources (Lowes, 1999). Certains seraient même perçus comme des partisans du club (Montañola et al., 2012). À ce titre, le chroniqueur du Journal de Montréal, Marc De Foy, a indiqué sur les ondes du 98,5 FM que les journalistes souhaitent tous que l’équipe connaisse du succès, avant de rappeler aussi leur devoir d’impartialité (CHMP 98,5 FM, 2017). De plus, des études notent que ces derniers seraient prompts à ménager leurs sources afin d’éviter les controverses et de maintenir leur assise professionnelle (Rowe, 2004). Un journaliste réputé, François Gagnon, a d’ailleurs affublé ses confrères contemporains de « moutons », affirmant qu’ils prenaient particulièrement soin de ne pas poser certaines questions délicates, au risque de rendre l’entraîneur « trop de mauvaise humeur » (RDS, 2017d).

Ensuite, octroyer une couverture louangeuse pourrait également être une pratique commerciale intéressante pour les médias d’information, car eux-mêmes peuvent tirer profit de la popularité de l’équipe par l’augmentation de leurs cotes d’écoute ou du nombre de visites sur leur site Web. Cette complicité tacite entre les médias d’information spécialisés et les entités sportives a d’ailleurs été établie de longue date (Lavigne, 2005; Derèze, 1993). Notons, dans le cas qui nous intéresse, que les Canadiens sont détenus à 18 % par la société BCE (Ozanian, 2011), dont la filiale Bell Média possède les chaînes spécialisées dans le sport TSN et RDS, elles-mêmes détentrices des droits de télédiffusion des Canadiens, et des chaînes RDS2 et RDS INFO (Bell Média, s.d.).

Enfin, on peut souligner l’omniprésence d’anciens joueurs et professionnels du sport dans les rangs des chroniqueurs et intervenants sportifs, et ce, au profit d’individus issus des milieux

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purement journalistiques. S’il est vrai qu’outre-Atlantique on peut assister à une professionnalisation du journalisme sportif (Montañola et al., 2012), le Québec ne semble pas véritablement avoir effectué ce virage, exception faite de la presse écrite, qui ne l’a jamais emprunté. Ainsi, 17 des 25 collaborateurs de l’émission phare de la chaîne spécialisée dans le sport RDS, nommée l’Antichambre, ne s’appuient pas sur une formation en journalisme ou en communication, la plupart étant des anciens joueurs (RDS, s.d.).

La relation qu’entretient l’entraîneur avec les journalistes met ainsi en lumière, comme cela a furtivement été mentionné auparavant, l’importance du sentiment d’appartenance dans l’établissement des attentes et dans l’évaluation d’une prestation de service en milieu sportif. Les partisans auraient tendance, dans ce milieu, à amplifier leur état de satisfaction lorsque leurs attentes sont comblées (Ferreira, 1996, cité dans Van Leeuwen et al., 2002) et, de la sorte, la disconfirmation positive. Cependant, en amont, un groupe s’identifiant davantage à une équipe pourrait être plus prompt à anticiper des prestations positives (cf. Wann et Dolan, 1994). Cela, peut-on penser, accentuerait les risques de décalage avec la réalité et, le cas échéant, de disconfirmation négative lors de résultats plus pauvres. Cette dynamique pourrait toucher non seulement les partisans, mais également les hauts dirigeants et les journalistes, pour qui un fond de partisanerie pourrait subsister, comme l’a évoqué le journaliste Marc De Foy (CHMP 98,5 FM, 2017). Cela tend à démontrer l’importance pour les entraîneurs de maintenir une distance critique dans la communication et la gestion de leurs propres attentes, et celles des autres, afin de se prémunir de ces mécanismes identitaires insidieux.

Par ailleurs, le service communication des Canadiens, à l’instar de celui des autres équipes professionnelles, tenterait aussi, de diverses manières, « d’avoir un contrôle omniprésent » sur le

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traitement de l’information des médias, comme l’indique le journaliste Luc Gélinas, qui couvre les activités du club depuis près de 20 ans (CHOI 98,1 Radio X, 2016). Bien documentée, cette réalité du sport professionnel jouerait largement en faveur des équipes (Sugden et Tomlinson, 2007). Or, sachant que les médias de masse possèdent une large influence par leur capacité à cadrer la réalité (McQuail, 1994) et qu’ils seraient aptes à une certaine complaisance vis-à-vis de leurs sources, cela pourrait aussi alimenter une vision trop positive du club. Rappelons que l’inventaire des attentes de début de saison en 2016-2017 (voir Annexe 1, p. 149) montre que les journalistes québécois nourrissaient des espoirs plus élevés pour les Canadiens que ceux formulés par leurs confrères nord-américains.

Comme nous l’avons vu précédemment à la section 2, les tendances récentes dans la gestion des attentes s’orientent davantage vers l’honnêteté et une présentation transparente de l’offre de service. Les gestionnaires auraient même avantage à faire part des contraintes auxquelles l’entreprise est confrontée (Robinson, 2006). L’approche « fix or fit » (Luoma-Aho et al., 2013) laisse d’ailleurs entendre que les entreprises devraient chercher à remodeler les attentes lorsqu’il existe un décalage trop important avec ce à quoi les consommateurs peuvent espérer. Or, la nature imprévisible du sport professionnel peut compliquer la tâche des gestionnaires en la matière. Parfois même, les entraîneurs eux-mêmes, peut-on penser, pécheraient par un excès de confiance, magnifiée par leur potentiel d’influence médiatique. Impossible ici de ne pas penser aux nombreuses occurrences où le cadre de la coupe Stanley survient – peut-être même avant que les journalistes aient arrêté leurs pronostics – dans les entrevues accordées par Michel Therrien pendant la période préparatoire.

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On peut reconnaître, cependant, qu’il pourrait être délicat pour un entraîneur de rabaisser les attentes établies en exposant médiatiquement les déficiences du club, qu’elles soient de nature sportive ou organisationnelle. Il est aussi possible de croire que ces tentatives seraient réaiguillées par le service communication de l’équipe s’il arrivait que l’entraîneur cadre la réalité de manière trop directe ou s’il prêtait flanc à l’autocritique organisationnelle lors des points de presse. L’ancien entraîneur des Canadiens, Guy Carbonneau, a d’ailleurs souligné qu’il arrivait aux membres du service communication de l’équipe de couper court à certaines séances médias prenant une tournure malvenue (RDS, 2017e). Pourtant, dans certains milieux organisationnels classiques, les meilleurs gestionnaires seraient parfaitement aptes à sciemment influencer les prévisions des experts de leur domaine (Frankel et al., 2006).