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Retour critique sur la gestion des attentes des entraîneurs

6. Résultats et analyse

6.7. Retour critique sur la gestion des attentes des entraîneurs

À la lumière des cadres les plus marquants et des tendances qui sont ressorties dans la gestion des attentes au cours de la saison 2016-2017 des Canadiens, il est aussi possible de poser un regard plus critique et d’avancer quelques recommandations.

En principe, face au taux de roulement qui caractérise la profession, l’objectif de tout entraîneur, pourrait-on penser, serait de ne pas perdre son poste indûment et trop rapidement. De la sorte, il serait logique de croire que la meilleure stratégie puisse consister à veiller à ce que les attentes de toutes les entités gravitant autour de l’équipe (médias, partisans, etc.) reflètent ce qu’il est raisonnable d’attendre de l’équipe (cf. Ojasalo, 2001), en utilisant des cadres accessibles et évocateurs. Cette stratégie s’appuie sur le fait que différents niveaux de service peuvent tout aussi bien donner satisfaction, pour autant que les attentes soient relativement correspondantes (Davidow et Uttal, 1989).

Or, une transparence telle, qui naguère aurait été peu envisageable dans les milieux sportifs, où l’on se berce plus facilement d’optimisme, commence à poindre. Par exemple, l’entraîneur de football américain de l’équipe de Buffalo a révélé, en vue de la saison 2018, que son club n’avait peut-être pas progressé aussi rapidement que certains l’envisageaient (Gaughan, 2018). Pour leur part, les Rangers de New York (LNH) ont indiqué en cours de saison 2017-2018 que l’équipe entreprenait une phase de reconstruction (annonciatrice d’une période plus laborieuse) et ont remercié par avance les partisans de leur fidélité (De Foy, 2018), une situation jugée inédite par certains observateurs (cf. CHMP 98,5 FM, 2018).

Bien que les entraîneurs des Canadiens aient globalement été cohérents et souvent efficaces dans la gestion des attentes – pensons au cadre des séries éliminatoires –, certaines

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périodes auraient pu profiter d’une plus grande diversité et d’un peu plus de transparence en s’agrégeant de cadres véhiculant des idées plus représentatives du contexte organisationnel, qui s’inscrivent dans la durée ou qui soulignent l’importance de la patience.

Par exemple, durant la phase léthargique de mi-saison, il aurait été possible, sans chercher à diminuer les attentes, de mettre l’accent sur les acquis de l’équipe : le fait d’être toujours au premier rang ou bien positionné au classement, l’impossibilité de maintenir le même rythme durant une saison entière, ou sur le temps dont dispose l’équipe pour se replacer. Ironiquement, Michel Therrien avait, avant même que la saison ne commence, utilisé l’exemple fort évocateur des nids-de-poule dans les rues de Montréal comme métaphore d’une saison de hockey, indiquant qu’en fin de compte, « on se rend à destination pareil » (10 oct., l. 253) malgré un parcours parfois cahoteux. Un cadre appelant à la raison et à l’importance de ne pas céder à la panique aurait aussi bien pu être employé, en prenant soin de mentionner également que plusieurs équipes championnes dans le passé avaient, elles aussi, connu des périodes troubles.

Un cadre faisant référence au concept d’équipe aurait aussi pu être mobilisé dans ce contexte, en faisant ressortir, par exemple, l’importance de trouver des solutions collectivement, soit avec l’ensemble des entraîneurs, avec les joueurs, et avec le personnel hockey (direction). Ce cadre aurait ainsi pu, de manière subtile, souligner la responsabilité de différents intervenants dans les difficultés de l’équipe sans les nommer directement, tout en gardant une trame positive. Pour un maximum de cohérence, ce cadre aurait aussi pu être utilisé durant les périodes fastes. Les schémas mentaux potentiellement créés auraient alors pu être plus facilement réactivés, cette fois dans un contexte différent. Plus inclusif d’un point de vue organisationnel, ce cadre semble toutefois un peu plus audacieux en période trouble. Il est cependant vrai qu’une

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multitude d’acteurs organisationnels, passés et présents, ont contribué aux résultats du club, et l’entraîneur n’est vraisemblablement jamais le seul responsable des déboires ou des succès d’une équipe, ce que des cadres appropriés pourraient mettre en relief.

Dans le même contexte, un cadrage traitant de la chimie aurait pu être repris par Michel Therrien, qui avait déjà utilisé un vocable tel à travers le cadre des impondérables (cf. 18 oct., l. 319), afin de mettre en garde contre un manque de cohésion des joueurs en début de saison. Or, il aurait été possible d’avoir recours à ce type de cadrage au moment où les joueurs blessés sont revenus dans l’alignement sans que les victoires soient au rendez-vous, afin d’invoquer la patience et de normaliser une situation compliquée.

Par ailleurs, bien que les attentes aient été abordées lors de nombreuses séances médiatiques en cours de saison, directement et indirectement, elles n’ont jamais fait l’objet d’un cadre à proprement parler. Un tel cadre aurait pu, par exemple, être utilisé lors du bilan de fin d’année pour faire ressortir certains éléments positifs de la saison. À ce moment, Claude Julien aurait pu évoquer le fait que, malgré une défaite serrée en séries éliminatoires, l’équipe avait surpassé les attentes de la plupart des experts (« Will ») en terminant au premier rang de sa division (« Should »). Il aurait aussi été possible de sélectionner certains pronostics médiatiques pour montrer que, malgré la déception, l’équipe avait joué, à peu de chose près, comme cela avait été anticipé, puisque certains avançaient que globalement « l’équipe n’était pas prête pour aller loin en séries » (traduction libre, Kelly, 2017b).

De la même manière, Michel Therrien aurait aussi pu mobiliser ce cadre durant la période léthargique pour rappeler aux partisans que malgré les difficultés, l’équipe figurait toujours à une position supérieure à ce qui avait été anticipé en début d’année par une majorité d’observateurs.

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En d’autres circonstances, un cadre tel aurait aussi pu être utilisé en début de saison par un entraîneur souhaitant calmer les ardeurs de certains publics. Les statistiques avancées, logiciels et autres mesures d’anticipation algorithmiques étant de plus en plus présents dans les sphères sportives, reconfigurer les attentes à la baisse en faisant appel à ce que les données spécialisées avançaient en début de saison (cf. Kay, 2018) aurait été parfaitement crédible pour rappeler subtilement que les prestations de l’équipe n’étaient peut-être pas parfaitement représentatives de la valeur réelle de l’équipe.

Pour conclure cette portion critique, l’examen des cadres utilisés dans la gestion des attentes peut aussi permettre de s’interroger, à minima, sur les possibilités réelles d’anticipation des prestations de services. Dans les milieux organisationnels classiques, il est fréquent d’observer une hausse volontaire des attentes afin d’augmenter la perception de satisfaction (cf. Habel et al., 2016). Il est difficile de s’imaginer que cette réalité ne touche pas aussi le sport professionnel et les états-majors des différentes équipes, particulièrement lorsque l’on s’attarde à l’utilisation du cadre de la coupe Stanley au cours de la saison 2016-2017. Mais, sachant que deux seules équipes se disputent ce trophée chaque année, et connaissant l’imprévisibilité du sport professionnel, il est difficile de croire que cette logique soit véritablement transférable.