• Aucun résultat trouvé

Puisque l’analyse de discours s’intéresse non seulement à la parole des différents protagonistes, mais aussi au contexte dans lequel elle s’insère (Gill, 2000), il importe de rendre compte de la situation des Canadiens de Montréal et de celle de son entraîneur à l’orée de la saison 2016-2017.

4.1. Les Canadiens de Montréal

Consacrés au rang de religion (Bauer et Barreau, 2009) ou d’institution (Joyce, 2012), les Canadiens de Montréal représentent la marque de commerce la plus populaire au Québec (Dupuis, 2016). Au chapitre comptable, les Canadiens se tirent somme toute bien d’affaire. En 2016-2017, le club montréalais a enregistré des bénéfices d’exploitation de 92 M$ US (Kelly, 2017a), portant sa valeur à 1,25 G$ US (Cerny, 2017), soit le troisième rang à ce chapitre dans LNH.

Sur la glace, les prétentions de l’équipe se déclinent généralement de manière symétrique. Une large part des attentes provient de la direction elle-même, qui souhaite « être la meilleure organisation de hockey au monde » (traduction libre, Richelieu et Pons, 2011, p. 358). À l’aube de la saison 2016-2017, les ambitions de l’équipe montréalaise, dont la dernière conquête de la coupe Stanley remonte à 1993, subsistent. « Les attentes au sein de l'organisation sont toujours très grandes » (Balleux, 2016), a précisé le directeur général de l’équipe, Marc Bergevin, supérieur immédiat de l’entraîneur, avant la saison 2016-2017.

Comme cela a été établi, les attentes représentent un facteur important dans le congédiement des entraîneurs professionnels. Cependant, d’autres aspects organisationnels

45

conditionnent aussi la durée d’emploi des entraîneurs. Une étude révèle, par exemple, que plus une équipe a connu du succès dans le passé, plus les risques de congédiement sont élevés pour les entraîneurs de ces équipes (Holmes, 2010). Au moment d’écrire ces lignes, les Canadiens de Montréal demeurent l’équipe la plus titrée de la LNH avec 24 conquêtes de la coupe Stanley. Ils affichent de plus le meilleur pourcentage de points récoltés par match dans l’histoire de la LNH parmi les équipes ayant disputé au moins deux saisons complètes (HockeyReference.com, s.d.).

De la même manière, une corrélation a pu être établie dans le sport professionnel entre la masse salariale et les congédiements (Barros et al., 2009). En ce qui concerne les Canadiens, l’équipe comptait en 2016-2017 sur le sixième budget en importance dans la LNH. La masse salariale avoisinait les 75 M$ US, soit 1 M$ derrière les meneurs à ce chapitre, et près de 20 M$ devant le plus faible budget de la ligue (Spotrac, s.d.). Difficile de croire que la haute direction des Canadiens ne s’attendait pas à des prestations relativement équivalentes en 2016-2017.

Pour ce qui est des sommes octroyées aux entraîneurs, Frick et al. (2010) indiquent que cette donnée pourrait aussi accélérer les congédiements, puisque davantage serait attendu de ceux étant les mieux payés. En 2015-2016, les Canadiens avaient consenti 2 M$ US à Michel Therrien, 6e parmi les entraîneurs de la LNH (Sports Illustraded, 2015).

D’autre part, une étude a démontré que les équipes sportives profitant d’une couverture médiatique importante seraient plus susceptibles de congédier leur entraîneur précipitamment, à plus forte raison lorsqu’elles affichent un rendement terne (Frick et al., 2009). À ce chapitre, les Canadiens de Montréal semblent faire cavaliers seuls au Québec. Ainsi, dans la province, le sport a été le thème le plus médiatisé en 2016, et l’équipe a généré à elle seule 72 % des nouvelles s’insérant dans ce créneau (Influence Communication, 2016). Autre fait d’importance, le

46

congédiement de Michel Therrien a occupé 20 % de toute l’actualité québécoise du 14 février 2017, bien que la nouvelle soit tombée en après-midi. Sur Twitter, cet événement a été le sujet le plus populaire au Canada et le mot-clic « #ClaudeJulien », le nouvel entraîneur de l’équipe, s’est hissé au 10e rang mondial cette journée (CKLX 91.9 Sports, 2017c).

Enfin, plusieurs études confirment que le prix des places aux événements sportifs influence les attentes des spectateurs, qui anticipent des prestations de qualité équivalente (Robledo, 2001; Rust et al., 2000). Au début de la saison 2017-2018, les Canadiens de Montréal arrivaient en tête dans la LNH dans cette catégorie, les amateurs devant payer en moyenne 195 $ US par match pour franchir les portes du Centre Bell (Benjamin, 2017). Bien entendu, les partisans de l’équipe n’achètent pas tous des billets, et plusieurs se contentent de suivre les matchs à la télé ou à la radio. D’autres, cependant, le font de manière occasionnelle. Il est toutefois possible de croire que cet aspect n’est pas pleinement évacué de l’esprit des partisans, qu’ils assistent ou non en personne à un match.

Bref, les Canadiens de Montréal constituent une équipe fortunée au passé glorieux et qui jouit d’une réputation d’envergure. Cela, ajouté au suivi médiatique frénétique, participe à la création d’attentes particulièrement élevées avec lesquelles les hauts dirigeants et les entraîneurs doivent composer.

4.2. L’entraîneur à la veille de la saison 2016-2017

Le hasard a fait que la saison 2016-2017 des Canadiens a été ponctuée d’un changement d’entraîneur au moment où l’équipe atteignait près des trois quarts du calendrier régulier. Il est possible de croire qu’à la veille de cette saison, la pression ait été augmentée pour l’entraîneur

47

des Canadiens, Michel Therrien, que l’on disait parfois « abrasif » à l’interne (Raymond, 2017), mais globalement sous-évalué dans son travail (RDS, 2016; RDS, 2017a). La saison précédente, l’équipe, minée par les blessures et des dissensions internes, n’avait pas été en mesure de participer aux séries éliminatoires, terminant au sixième rang (sur huit) dans la section Atlantique. Plusieurs s’accordaient pour dire que Michel Therrien jouait son avenir en cette saison (cf. Cantin et al., 2016; Cooper, 2016). D’autres ont même été un peu plus loin et affirmé qu’il était l’entraîneur le plus susceptible de perdre son poste en 2016-2017. Cela a notamment été le cas de 12 des 16 experts de la chaîne sportive canadienne Sportsnet sondés à ce sujet (cf. Sportsnet Staff, 2016). Même son de cloche du côté des entreprises de paris sportifs. Le site québécois Mise- O-Jeu, par exemple, donnait Michel Therrien favori pour être le premier entraîneur congédié en 2016-2017 (Agence QMI, 2016).

Nonobstant ces considérations, la pression exercée sur l’entraîneur de cette équipe centenaire est colossale d’une saison à l’autre. Ce dernier doit d’abord s’exprimer dans les deux langues officielles du pays. Il demeure en effet l’une des dernières figures publiques francophones de l’équipe, le nombre de joueurs s’exprimant dans la langue de Molière ayant largement diminué au cours des dernières décennies. Qui plus est, le calendrier de l’équipe comporte près de 90 matchs par année – parfois plus –, et peut engendrer une bonne part de stress (cf. Engels, 2017a), ce dont avait souffert Michel Therrien à la fin de la saison 2015-2016 (cf. De Foy, 2016). Par ailleurs, tout entraîneur œuvrant dans ce marché doit essuyer des critiques parfois sévères, parfois injustifiées. Michel Therrien aurait reçu en cours de mandat sa part de « haine et de vitriol », a précisé le journaliste Adam Susser (Montreal Hockey Inside out, 2016). Cette situation semble peu étonnante si l’on considère que l’entraîneur-chef occuperait le poste le plus

48

étroitement surveillé au Québec (Cowan, 2016), et que chaque mot peut être disproportionné ou pris hors contexte (Engels, 2017b).

49