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Chapitre 5 Discussion et interprétation des résultats

5.3 Retour sur la problématique de recherche

Maintenant les résultats de l’étude présentés et interprétés, il apparaît incontournable d’expliquer en quoi ils répondent à la problématique définie au chapitre un.

Il a été mentionné dans ce premier chapitre qu’un besoin criant de développer les compétences de leader d’étudiants en gestion et de gestionnaires est aujourd’hui présent. Les méthodes habituellement utilisées pour atteindre cet objectif, tant dans les organisations que dans les écoles de gestion, s’avèrent peu efficaces. En réponse à ce problème, plusieurs auteurs recommandent d’utiliser davantage l’expérience et la réflexion et de recourir à une plus grande variété de méthodes d’apprentissages, cohérentes les unes avec les autres (Berkovich, 2014; Bevan et al., 2012; Boatman & Wellins, 2011b; Crossan et al., 2012; Day et al., 2014; Gallagher, 2013; Guillén et al., 2010; Kass et al., 2011; Mabey, 2013; McCarthy et al., 2006; Mintzberg, 2005; Quigley, 2013). Toutefois, les formations de développement du leadership composant l’offre actuelle ne permettent généralement pas de suivre ces recommandations. Ceci semble dû au fait que cette offre, quoique très abondante, est encore très traditionnelle et ancrée dans le discours fonctionnaliste, tel que vu dans la revue de la littérature. Ainsi, plusieurs organisations et écoles de gestion se tournent vers l’éducation expérientielle, plus précisément vers l’éducation par l’aventure, pour atteindre leurs objectifs en matière de développement du leadership.

D’après les résultats de la présente étude, les FELMCE représentent effectivement une avenue intéressante puisqu’elles permettent de suivre les recommandations des auteurs contemporains spécialisés en développement du leadership. L’expérimentation et la réflexion sont centrales aux FELMCE. De plus, à l’intérieur même d’une FELMCE, diverses méthodes sont utilisées, par exemple des défis, du coaching, des enseignements, des discussions, de la tenue de journaux de bord, etc. Les méthodes utilisées par les intervenants du cas analysé s’ancraient davantage dans les discours dialogique19

et interprétativiste20 identifiés par Mabey (2013), tels que présentés dans la revue de la littérature. Il s’agit des deux discours les plus rarement utilisés dans les écoles de gestion et dans les organisations. Ainsi, les FEMLCE peuvent apporter de la diversité à l’offre de formation actuelle en développement du leadership et être complémentaires aux approches traditionnelles.

Plusieurs études ont démontré l’efficacité des programmes de développement du leadership par l’aventure. Toutefois, les facteurs impliqués dans l’émergence de ces retombés relèvent du mystère. Ainsi, chaque programme de ce type est développé selon les croyances des organisateurs, et non en fonction de mécanismes scientifiquement reconnus. Il existe donc d’importantes différences dans la façon dont sont planifiés et opérationnalisés les programmes de développement du leadership par le plein air et par conséquent, leurs retombées divergent.

Les résultats obtenus dans le cadre de la présente étude proposent plusieurs facteurs favorisant le développement du leadership de participants impliqués dans des FELMCE. Les organisateurs de FELME pourraient s’inspirer des conclusions de cette étude pour peaufiner

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Selon cette approche, les aspirants leaders sont exposés à des examens (tests, défis) permettant l’obtention de données objectives. Ceux-ci favorisent la gouvernance et stimulent la réflexion et les échanges, permettant aux aspirants leaders de participer activement à l’exploration de leur personne, en s’appuyant sur leurs propres subjectivités et de s’exprimer au sujet de leurs résultats d’examens.

20 Les adeptes du discours interprétatif croient que le leadership se construit et se développe socialement. Les leaders, tout comme les équipes, apprennent grâce au sens qu’ils donnent collectivement aux évènements qu’ils vivent, par l’usage du langage et de symboles.

leurs croyances et améliorer la qualité de leurs formations. Ils doivent comprendre de la présente étude qu’il est capital de s’intéresser autant au processus à travers lesquels leurs participants développent leur leadership, qu’aux retombées escomptées. Plus précisément, le choix et la nature des activités liées à la compréhension et à l’expérimentation sont importants, tout comme les va-et-vient continuels entre ces deux familles de facteurs. De plus, puisque le temps représente aujourd’hui une ressource très précieuse, il est important de programmer des formations où chaque instant a sa raison d’être.

Le journal Les affaires a publié dans le numéro du 16 août 2014 un article intitulé « Traverser l'Atlantique pour développer son leadership ». Cet article présente la traversée de l’Atlantique qu’ont réalisée 10 hommes d’affaires québécois pendant 15 jours en vue de développer leur leadership. Bien que l’aventure ait été appréciée par les participants et qu’elle ait favorisé l’introspection, l’article démontre que les activités d’expérimentation auraient pu être optimisées. L’auteur de l’article explique que les participants ont passé la serpillière, nettoyé les toilettes, mal mangé et vomi dans un seau. Un participant mentionne avoir adoré l’expérience, malgré la surdose de temps libre. Ce dernier affirme qu’il prendrait part à une seconde expérience du genre, à la condition « que ce soit moins contemplatif, comme l’escalade d’une montagne ». Un autre participant a mentionné : « sur le voilier, j’avais juste à attendre les ordres du capitaine ». En analysant cette expérience à l’aide des résultats issus de la présente étude, on peut penser qu’il aurait été pertinent que les organisateurs déstabilisent davantage les participants, bien que l’environnement social et physique fût certainement déstabilisant. Il aurait également été bénéfique qu’ils offrent davantage l’occasion aux participants de prendre en charge des tâches complexes et réelles à travers lesquelles ils auraient eu l’occasion d’assumer différents rôles et d’expérimenter de nouveaux comportements. Ceci était certainement difficilement atteignable vu ce qui semble avoir été expérimenté par les participants, soit mal manger, passer la serpillière, nettoyer les toilettes, attendre et vomir. Pour ce qui est des activités liées à la compréhension, peu d’information est disponible. Il est toutefois possible de comprendre que des discussions ont eu lieu et que les gens, en raison de la longueur des temps libres qui leur étaient alloués, ont eu amplement l’occasion de se vouer à l’introspection. Il

aurait pu être bénéfique d’accompagner ces discussions et ces moments libres d’introspection par des enseignements, la tenue de journaux de bord, du coaching personnalisé et des activités de rétroactions. Cette aventure en voilier semble comparable à la dernière journée de l’expédition réalisée dans les Chic-Chocs. Cette journée fut la moins riche en apprentissages, car les tâches à accomplir étaient trop simples et ne nécessitaient pas l'implication de chacun des participants. En lien avec le modèle développé dans le cadre de la présente étude, il importe d’exposer les participants à plusieurs allées et venues entre des moments d’expérimentation et de compréhension, ce qui visiblement n’était pas mis de l’avant lors de l’expédition présentée dans le journal Les Affaires.

L’analyse de cette expédition en voilier permet d’illustrer comment les résultats de l’étude peuvent aider des programmateurs de FELMCE et leur équipe à optimiser leur pratique. Bien que les résultats ne soient pas généralisables, ils permettent de démystifier ce qui est susceptible de favoriser le développement du leadership sur le terrain. D’autre part, les organisations qui désirent optimiser leurs programmes de développement du leadership en recourant à l’aventure peuvent également s’inspirer de la présente étude afin de bien choisir leurs sous-traitants. À la lumière des résultats de l’étude, ces organisations doivent comprendre l’importance de questionner leurs sous-traitants potentiels sur les méthodes qu’ils utilisent et les processus qu’ils mettent en place, et non uniquement sur ce qu’ils promettent comme retombées. Pour ce faire, ces organisations peuvent se référer à la figure 7 (p. 117). Rappelons, l’aventure en elle-même est certes enrichissante, mais à elle seule, insuffisante. Elle doit être consciencieusement programmée et jumelée à des approches complémentaires et cohérentes.

Les résultats de la présente étude peuvent également inspirer la création de nouvelles méthodes de développement du leadership basées sur l’éducation expérientielle et ainsi, contribuer à la diversification de l’offre actuelle qui s’avère, rappelons-le, très homogène. Bien que le plein air et l’aventure soient des outils puissants, il serait intéressant de tester des formations basées sur le modèle issu de la présente étude (figure 7, p. 117), mais avec des expérimentations (tâches, défis) de nature différente. Tel que nommé précédemment,

l’expérimentation doit déstabiliser les participants, les mettre en relations étroites les uns avec les autres et les amener à relever par eux même des défis complexes et réels. Ainsi, la prise en charge d’un projet spécial, la gestion d’une crise, ou encore un voyage humanitaire et pourquoi pas un défi culinaire, pourraient toutes représenter des sources d’expérimentation à fort potentiel, lorsqu’accompagnées de périodes de création de sens. Tel que mentionné par Day (2015), lors de la conférence qu’il a prononcée à Oslo lors du 17e congrès de l’European Association of Work and Organizational Psychology, les environnements turbulents, complexes, inédits et riches en interactions méritent d’être davantage exploités dans les programmes de développement du leadership (Day, 2015). Les spécialistes en développement du leadership doivent donc faire des leaders d’eux-mêmes et innover, car beaucoup reste à être créé en matière d’intervention en développement du leadership.