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Chapitre  8   – Clôtures de récits 175

8.2.   Les ressources pour clore 176

8.2.1.   Le retour au point de départ 176

Une manière canonique de clôturer un récit est de revenir à son point de départ (return-home device, cf. Jefferson, 1978 : 231). Le retour à un élément du début de l’histoire constitue ainsi un indice reconnaissable d’une potentielle initiation de clôture du récit. L’extrait suivant illustre comment une jeune candidate propose une clôture de récit de manière typique en retournant à un élément évoqué au début de l’histoire. La candidate (CA) postule pour une place d’apprentissage d’employée de commerce au sein de l’administration communale 2, et est interrogée par la responsable des ressources humaines (RH) à propos des stages et autres emplois qu’elle a effectués précédemment. Une formatrice d’apprentis est également présente lors de cet entretien.

Extrait 24 – « Remplacement » (E18)

1 RH: donc actuellement donc vous avez déjà fait des stages de longue

2 duré:e ou: (0.3) [parce qu’(xxx)

3 CA: [ben j’en ai fait un de quatre jours euh chez

4 Balans euh suisse à Fontainebleau, (1.9) et puis après j’avais

5 touché à peu près à tous les domaines?

6 (1.3)

7 RH: mais >parce que vous m’a-< j’ai j’ai relevé vous m’aviez vous

8 avez dit tout à l’heure que vous travailliez à Coulon,

9 CA: mhm

10 RH: mais ça c’est c’est continuellement ou bie:n

11 CA: alors non en fait c’était parce que: ben y a eu un accident

12 eu::h a- avant y a eu un un accident,

13 .h et il fallait quelqu’un pour remplacer eu:h une des

14 vendeuses,

15 .h et +ma ((en riant))+ cousine m’a téléphoné j’ai été deux

16 fois le faire puis après elle m’a laissé euh ben le le magasin

17 toute seule euh pour tous tous les dimanches penda:nt cinq eu:h

18 cinq semaines,

19 tous les dimanches j’allais euh là bas en haut?

20 (0.5)

21 CA: .h travailler?

22 (0.5)

23 CA: mais c’était pa::s (1.2) c’était pas officiel.

24 (0.6)

25 CA: c’était pour un remplacement [fallait trouver quelqu’un&

26 RH: [°pour un remplacement°

27 CA: &et puis euh

28 RH: °ouais°

29 CA: comme j’avais déjà été quelques fois avec ma tante elle m’avait

30 laissé le: magasin.

31 (1.1)

32 RH: °d’accord°?

Dans l’extrait ci-dessus, la recruteuse demande à la candidate de clarifier sa situation actuelle, afin de savoir si elle travaille toujours dans le relai-station de Coulon, fait qu’elle a mentionné précédemment au cours de l’entretien (l. 7, 8 et 10). La candidate répond par la négative (« alors non », l. 11) et se lance dans une explication (« en fait c’était parce que », l. 11) qui prendra ensuite la forme d’un récit. Dès la mise en place des informations de cadrage destinées à rendre l’histoire pertinente et compréhensible, la jeune candidate mentionne qu’il fallait « quelqu’un pour remplacer une des vendeuses » (l. 13-14). Plus loin, la candidate fait allusion à la durée de son engagement à la station (« tous les dimanches pendant cinq semaines », l. 17-18). D’un point de vue praxéologique, cet énoncé réponde de manière pertinente à la question posée par la recruteuse (« c’est continuellement ? », l. 10), et constitue ainsi un indice de complétude possible. En effet, en disant qu’elle a remplacé une vendeuse tous les dimanches pendant cinq semaines, la candidate indique à la recruteuse qu’il ne s’agissait pas d’un emploi fixe. Sur le plan prosodique, la fin du tour de la candidate est marquée par une intonation montante (l. 19), qui constitue également un indice de complétude

potentielle, car il n’indique pas une continuation ultérieure. La pause silencieuse de 0.5 seconde (l. 20) qui suit renforce l’indice de complétude possible.

Cependant, ces indices ne sont pas traités par les destinataires comme relevant d’une clôture. en effet, aucune des deux intervieweuses ne reprend le tour de parole (l. 20). Ainsi, le floor reste alloué à la candidate, qui complète son tour en produisant un incrément (l. 21), c’est-à- dire une clause du même locuteur qui continue son tour après un point de complétude possible ou une place de transition pertinente selon les indices prosodiques, syntaxiques et le déroulement séquentiel des actions (Ford, Fox & Thompson, 2002). Par cet incrément, la candidate fournit une nouvelle opportunité à ses destinataires de répondre dans le prochain tour. A nouveau, la candidate produit une intonation montante, indiquant potentiellement une fin de tour (l. 21), mais encore une fois les destinataires ne répondent pas (l. 22). La candidate poursuit donc son tour en ajoutant que son engagement n’était « pas officiel », avec une intonation descendante (l. 23). La pause silencieuse (l. 24) qui suit indique que le tour n’est toujours pas traité par les destinataires comme une initiation de clôture. A la ligne 25, la candidate spécifie sa réponse : « c’était pour un remplacement », faisant écho à « il fallait quelqu’un pour remplacer » (l. 13) au début du récit, et manifestant ainsi un retour à son point de départ en recourant à une reprise d’un élément lexical (« remplacer », l. 13; « remplacement », l. 25). En effet, la reprise lexicale a d’ores et déjà été définie comme constituant un indice de l’approche du climax (voir notamment Clark & Wasow, 1998, pour une étude de la conversation ordinaire).

Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que la recruteuse produit une réponse, constituée elle aussi d’une répétition linguistique « pour un remplacement » (l. 26), qui intervient en chevauchement avec le tour de la candidate. Ainsi, l’élément « pour un remplacement » (l. 25) énoncé par la candidate apparaît comme pertinent en regard du récit qui précède, initié par la question initiale « c’est continuellement ? » (l. 10) de la recruteuse.

Dès lors, l’ensemble des participants se dirigent collectivement vers une clôture du récit : la recruteuse produit un acknowledgement token « ouais » (l. 28) manifestant sa réception du récit. Toutefois, la candidate effectue un second retour au point de départ. En effet, en continuation du tour initié à la ligne 25, la candidate ajoute « elle m’avait laissé le magasin » (l. 29-30), qui constitue une reprise de l’élément « elle m’a laissé le magasin » (l. 16). Ce deuxième retour au point de départ du récit renforce l’initiation de clôture proposée au début

du TCU « c’était pour un remplacement » (l. 25), en recourant doublement à ce même mécanisme comme ressource pour rendre reconnaissable sa proposition de clôture à ses dertinataires. La répétition de l’énoncé « elle m’avait laissé le magasin » (l. 29-30) se termine par une intonation descendante, qui marque un indice de complétude possible sur le plan prosodique. La longue pause de 1.1 seconde (l. 31) qui suit constitue ainsi un TRP.

La recruteuse produit ensuite un marqueur « d’accord » (l. 32) avec une intonation montante, qui signale son alignement par rapport à l’initiation de clôture proposée par la candidate. La production de « d’accord » constitue en même temps un élément pivot, marquant généralement la transition vers une autre activité dans le contexte des entretiens d’embauche. Dès lors que l’initiation de clôture a été rendue reconnaissable par la candidate, et traitée en tant que telle par la recruteuse, le récit s’oriente vers une clôture collaborative produite par l’ensemble des participants, avant de s’engager dans l’activité suivante.

Comme le démontre l’extrait ci-dessus, le fait d’initier une clôture de récit en retournant à un point de départ constitue une ressource efficace pour le narrateur afin de signaler à ses destinataires la complétude possible d’une activité reconnaissable (Sacks, 1992 : Vol. I : 682). Toutefois, cet exemple illustre que la clôture n’est effective pas simplement lorsque le narrateur présente le récit comme étant possiblement complet (cf. l. 19, 21 et 23), mais uniquement lorsque le destinataire traite le récit comme étant complet (l. 26). Jusqu’à ce que le récit soit reconnu comme complet par les destinataires, le narrateur continue son tour en ajoutant des composantes supplémentaires à l’histoire en la recomplétant (Schegloff, 1982). De fait, le narrateur convertit une pause potentiellement inter-tour en une pause intra-tour (Liddicoat, 2007), puisque le récit se prolonge par une extension au-delà de la première opportunité de clôture proposée. La reconnaissance par la recruteuse du mouvement vers une clôture du récit fait suite au retour à un point de départ évoqué plus tôt dans le récit par la candidate. Ainsi, le retour à un élément thématique ou lexical déjà mentionné au début du récit constitue à la fois une ressource pour les narrateurs afin de donner de la visibilité à la clôture qu’ils présentent, et une ressource pour les destinataires de l’histoire pour reconnaître le mouvement vers une clôture proposé par le narrateur.