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Chapitre  5   – Introduction à la collection 95

5.6   Procédure d’établissement de la collection 108

Afin d’établir la collection de cas rassemblant les récits personnels produits par les jeunes candidats lors d’entretiens d’embauche, nous avons procédé en plusieurs étapes: le repérage des récits (5.6.1), la délimitation du début et de la fin des récits (5.6.2), l’observation du contexte d’émergence (5.6.3), l’observation de l’initiation du récit (5.6.4), et l’établissement de sous-collections (5.6.5). Ces différentes étapes sont détaillées ci-après.

5.6.1  Repérage  des  récits  

Tout d’abord, nous avons commencé par mener des analyses exploratoires du corpus d’entretiens afin d’effectuer un repérage à travers l’ensemble des données. Cela nous a permis d’avoir une vue d’ensemble sur la totalité des événements passés rapportés par les jeunes candidats, et de constater des différences entre différents types de narration. Sur cette base, nous avons discriminé entre les récits et les pseudo-récits, selon qu’ils racontent un événement unique, ponctuel dans le passé, ou un ensemble générique d’événements produits de manière récurrente dans le passé. Les récits et pseudo-récits diffèrent dans la manière dont ils sont produits par les participants. Nous avons donc choisi d’exclure les pseudo-récits de notre collection, afin d’obtenir un contenu de cas comparables dans leur caractéristiques architecturales. Cette discrimination a également permis de mettre en lumière les premiers

points communs entre les différents cas de récits personnels, et ainsi de fournir plusieurs pistes analytiques.

5.6.2  Délimitation  du  début  et  de  la  fin  des  récits  

En extrayant les séquences de récits personnels de l’ensemble des entretiens d’embauche, s’est posée la question de savoir où commence, respectivement où se termine le récit. La discrimination entre récits et pseudo-récits donne déjà une première indication concernant le début du récit. En effet, comme le récit rapporte un événement unique produit dans le passé, le locuteur débute souvent son récit par la mise en place d’un cadre spatio- temporel (Sidnell, 2011a). Dans les extraits de récits présentés dans ce chapitre par exemple, les jeunes candidats débutent leur récit par « au gymnase » (Extrait 4), « une fois » (Extrait 5) ou encore « la semaine passée » (Extrait 7). Ces information spatiales et/ou temporelles sont une manière canonique d’introduire la narration d’un événement passé. Quant à la délimitation de la fin du récit, celle-ci est davantage liée au contenu de l’histoire. En effet, le récit n’est complet qu’après la livraison du climax. Par exemple, dans l’Extrait 4, le climax correspond à l’énonciation du résultat des actions entreprises par la jeune candidate (« j’ai obtenu la note de six »). Autrement dit, la fin du récit intervient lorsque celui-ci atteint une complétude sur le plan pragmatique.

5.6.3  Contexte  d’émergence  

Un récit ne peut être abordé de manière isolée ; l’analyse des récits nécessite une prise en compte du contexte dans lequel il émerge. En effet, comme tout énoncé conversationnel, le récit s’inscrit de manière pertinente par rapport au(x) tour(s) qui précède(nt), et projette des contingences sur ce qui sera fait dans le(s) tour(s) suivant(s). Le contexte linguistique précédant un récit fait ainsi déjà partie du récit. Dans la situation spécifique d’un entretien d’embauche, le contexte d’émergence de récit comprend la question posée par le recruteur. En effet, le récit produit par le candidat découle généralement, sur le plan thématique, de la question posée en amont. Le récit peut apparaître soit directement en réponse à la question comme dans l’Extrait 4 par exemple, soit de manière différée comme dans l’Extrait 7, où le

récit émerge à la suite d’un pseudo-récit. Cependant, dans les deux cas, le récit démontre sa pertinence par rapport au topic introduit dans la question du recruteur.

De la même manière, la réception du récit est indissociable de celui-ci. En effet, un récit n’est complet que lorsque le destinataire démontre sa compréhension de celui-ci comme étant un récit, et signale au narrateur la manière dont il l’a compris. La réception du récit par le destinataire a donc pour fonction de ratifier et de légitimer le récit produit par le narrateur, et est ainsi intrinsèquement liée au récit en lui-même. Afin d’analyser l’organisation conversationnelle des récits, nous avons donc tenu compte de ce qui précède, mais également de ce qui suit immédiatement la production du récit en tant que tel.

5.6.4  Initiation  du  récit  

En cherchant à déterminer quel participant initie le récit, nous nous sommes confrontés à un problème de catégorisation. En effet, il apparaît que les récits dans le contexte des entretiens d’embauche ne peuvent pas se définir selon les axes d’auto-initiation ou hétéro- initiation. L’entretien d’embauche étant formellement construit sur la base d’une alternance question-réponse, les récits dans un tel contexte peuvent donc être considérés comme les extensions de paires adjacentes minimales. Tout récit peut ainsi être considéré comme étant hétéro-initié puisqu’il découle toujours, à l’origine, d’une question posée par le recruteur. Le récit produit au cours d’un entretien d’embauche est ainsi toujours invité d’une certaine manière par la question du recruteur. Partant de ce constat, nous avons plutôt tenu compte de la terminologie de Schegloff distinguant entre les récits produits en première position ou en seconde position (1997). De manière générale, les récits des candidats dans le cadre d’un entretien d’embauche sont des récits dits « racontés en seconde position » (stories told in second position, cf. Schegloff, 1997), c’est-à-dire des récits qui ont été sollicités par un premier locuteur. Les récits racontés en seconde position répondent à un élément du tour qui précède (Mandelbaum, 2013), comme par exemple une requête, une invitation ou une sollicitation (Schegloff, 1997). Ce type de récits s’oppose aux récits « racontés en première position » (stories told in first position, cf. Schegloff, 1997), qui sont non-sollicités par un autre participant et qui apparaissent en tant que nouvelle séquence interactive à part entière. Dans les entretiens d’embauche, l’initiation est invitée par le recruteur à travers la question. Le récit est donc toujours plus ou moins invité par la question posée par le recruteur.

Dans notre corpus d’interactions en entretien d’embauche, nous trouvons ainsi majoritairement des récits racontés en seconde position. Il est très rare d’y trouver des récits initiés en première position, comme par exemple des récits introduits par une préface. On ne trouve pas de second stories (Liddicoat, 2007), c’est-à-dire des enchaînements de récits où le premier locuteur raconte une histoire, puis le deuxième locuteur en raconte une autre. De manière générale, les histoires racontées par le recruteur lors des entretiens d’embauche sont plutôt rares, bien que pas inexistantes dans notre corpus de données. Les récits racontés dans les entretiens d’embauche mettent toujours en scène le candidat lui-même ; les candidats ne racontent pas l’histoire de quelqu’un d’autre, même si parfois d’autres personnages sont mis à contribution. Enfin, on ne recense pas de co-expériences rapportées, autrement dit de récits racontés à deux voix d’une expérience partagée. En effet, recruteurs et candidats ne se connaissent la plupart du temps pas avant l’entretien d’embauche, et les participants n’ont donc pas d’expérience vécue commune. La spécificité des récits dans le cadre des entretiens d’embauche réside donc dans le fait qu’ils soient racontés en seconde position, étant invités par la question posée par le recruteur, et que parallèlement ces récits sont co-établis à la fois par le candidat et par le recruteur.

5.6.5  Sous-­‐collections  

Après avoir recensé l’ensemble des récits dans notre corpus de données et effectué les premières observations, nous avons décomposé les récits en trois parties afin d’en analyser la construction. Pour ce faire, nous avons établi des sous-collections de cas, comprenant respectivement les ouvertures, le corps principal des récits et les clôtures. En effet, ces trois parties du récit sont à la fois distinctes – chacune exigeant un certain nombre de tâches interactionnelles et de contingences afin d’être menée à bien – et complémentaires – chaque partie étant dépendante des autres. Il est apparu que les différentes ouvertures, corps et clôtures de récits font intervenir des caractéristiques semblables, fournissant ainsi des indices pertinents pour la compréhension et la description des récits dans le contexte d’entretiens d’embauche. La présente recherche s’appuie donc sur ces trois grands axes analytiques afin de proposer une analyse approfondie de la manière dont les récits sont organisés interactionnellement par les candidats et les recruteurs au cours d’un entretien d’embauche.