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Chapitre  7   – Progression du récit et actions accomplies dans le récit 143

7.2   Participation du destinataire à la progression du récit 146

7.2.2   Questions de relance 154

Dans le contexte institutionnel des entretiens d’embauche, nous avons vu que les récits produits par les candidats sont le plus souvent sollicités par les recruteurs. Dans ce cas de figure, les candidats ont parfois plus de difficultés à développer un récit, notamment les plus jeunes candidats, inexpérimentés en matière d’entretien et peu prolixes. Le rôle du recruteur,

destinataire du récit, ne se limite alors pas à produire des continuateurs, mais intervient de manière plus active afin d’encourager le candidat à développer son récit. A noter que ces questions de relance ne font pas partie du canevas d’entretien initial, car elles sont liées à un topic mis en place par le candidat lui-même dans le récit. Ainsi, les questions de relance constituent des questions supplémentaires, visant à approfondir une réponse produite par le candidat.

L’extrait suivant présente un exemple où le recruteur pose une question de relance à propos d’un récit produit par le candidat, afin de l’inviter à développer davantage son récit. Dans cet extrait, le jeune candidat (CA) postule pour une place d’apprentissage d’automaticien dans l’entreprise privée 3. Il est interrogé par un responsable de ligne et formateur d’apprentis (RE). La conversation en cours se rapporte à la motivation du candidat pour travailler dans le domaine de la technique. Le candidat explique son intérêt par différents stages qu’il a effectués, ainsi que par le récit d’un épisode où il a réparé une console de jeu vidéo.

Extrait 19 – « Nintendo » (E26)

1 RE: d'accord et ç↑a vous avez eu: l'occasion de- de l:

2 le voir, de le côtoyer .h quand.

3 CA: j'ai pu: justement faire un stage à l'ANSL

4 d'automaticien pis chez jobin aussi,

5 RE: d'accord?

6 CA: et sin↑on une fois j'avais une nintendo neuf- de

7 mille neuf cent huitante environ qui fonctionnait

8 p↑as alors j'ai essayé de l'ouvrir pour voir ce

9 qu'elle avait, (0.4) pis pour finir j'ai trouvé et pis euh

10 °j’ai réussi à la faire refonctionner°.

11 RE: qu'est ce qu'elle avait cette nintendo?

12 CA: >y avait< un bout de poussière qui s'était posé sur

13 la carte mère, alors fallait l'asperge:r °>enfin<

14 pas l'asperger mais° sprayer un produit spécial par

15 >dessus< pi:s (0.8) >après ça fonctionnait<.

16 RE: ça >refonctionnait<.

17 (1.0)

18 RE: excell↑ent?

Le récit débute à la ligne 6 : « et sinon une fois », qui projette qu’un événement passé s’apprête à être raconté. Le candidat commence par produire les éléments d’arrière-plan pertinents pour la compréhension de l’histoire par le destinataire : « j’avais une Nintendo de mille neuf cent huitante qui fonctionnait pas » (l. 6-8) ; « j’ai essayé de l’ouvrir pour voir ce qu’elle avait » (l. 8-9). Ici, le formateur ne produit pas de continuateur de type mhm, mais la pause silencieuse (l. 9) démontre que le destinataire traite le récit comme étant encore incomplet, et qu’il ne traite pas cette pause comme une place de transition potentielle pour un

changement de locuteur. Sa compréhension et sa réception des éléments d’arrière-plan fournis ne se manifeste pas verbalement, mais de manière non-verbale : alors que le candidat termine un TCU sur une intonation continuative (l. 9), annonçant potentiellement une suite, le formateur ne réagit pas, manifestant ainsi qu’il continue sa réception du récit, et qu’il passe son tour de parole jusqu’à ce qu’il comprenne l’action en cours comme étant complète.

Le candidat conserve ainsi le floor conversationnel et livre le climax de son histoire : « pour finir j’ai trouvé et pis j’ai réussi à la faire refonctionner » (l. 9-10). Le climax est compris en tant que climax par le formateur, d’une part en fonction des informations d’arrière-plan fournies préalablement, d’autre part en fonction de marques prosodiques. Sur le plan thématique, le climax du récit peut être compris comme complet par le destinataire en se basant sur l’opposition entre une situation initiale « j’avais une Nintendo […] qui fonctionnait pas » (l. 6-8) et une situation finale « j’ai réussi à la faire refonctionner » (l. 10). Sur le plan de la prosodie, le destinataire peut aussi se baser sur des indices pour comprendre l’action comme potentiellement complète : la diminution du volume de la voix du candidat, couplée à une intonation descendante, donne des signaux au destinataire concernant une fin potentielle de TCU. Celui-ci est traité comme tel par le formateur, qui reprend le tour de parole à la ligne 11.

Bien que le candidat ait produit des éléments d’arrière-plan et un climax reconnaissables, le formateur ne traite pas l’action comme étant totalement complète. En effet, à ce stade du récit, le candidat n’évoque pas les actions qu’il a entreprises afin de réparer l’appareil, mais présente une sorte de diagnostic, en soulignant la nécessité de l’action. Pourtant, c’est généralement à travers le récit des actions entreprises qu’un candidat peut mettre en valeur des compétences qu’il maîtrise et qui sont potentiellement transférables sur le futur poste. En effet, les compétences professionnelles mises en scène à travers un récit dans l’entretien sont susceptibles de faire l’objet d’une évaluation par le recruteur. Le formateur formule donc une question de relance « qu’est-ce qu’elle avait cette Nintendo ? » (l. 11), invitant le candidat à développer son récit. Le candidat produit alors un tour présentant l’identification du problème (« un bout de poussière sur la carte mère », l. 12-13) et de la solution (« sprayer un produit spécial par-dessus », l. 14-15). Il est à noter que c’est uniquement sous l’invite du formateur que le candidat développe ses actions entreprises pour faire refonctionner l’appareil, mais on remarque également que le candidat évoque ses actions de manière impersonnelle, en disant

« fallait l’asperger » (l. 13) plutôt que « je l’ai aspergée » par exemple, qui soulignerait davantage le caractère proactif du jeune candidat.

Ainsi, on constate qu’une participation du destinataire plus étendue et plus active est parfois indispensable lors de la production d’un récit, afin de faire émerger davantage d’éléments du récit sur lesquels les recruteurs pourront se baser pour évaluer les compétences professionnelles ou techniques d’un candidat. Les interventions des recruteurs sous forme de questions de relances jouent ainsi parfois un rôle essentiel afin de contribuer à la réussite du récit.

Dans d’autres cas, le climax n’est pas rendu suffisamment saillant par le candidat et celui-ci n’est alors pas clairement reconnu par le recruteur. En reformulant la parole du candidat, le recruteur peut proposer une synthèse selon sa compréhension du climax, que le candidat validera ou non. L’extrait suivant illustre une situation où la recruteuse participe à la production du récit en reformulant de manière résomptive les éléments de récit produits par la candidate. La jeune candidate (CA), étudiante au lycée au moment de l’entretien, postule pour un poste d’apprentissage d’employée de commerce au sein de l’administration communale 2. Elle est interviewée par la responsable des ressources humaines (RH), qui l’interroge sur une branche d’étude dans laquelle la candidate n’a pas la moyenne.

Extrait 20 – « Le bon barème » (E18)

1 RH: vous êtes actuellement au lycée?

2 CA: c’est exact.

3 RH: d’acc↓ord puis j’avais vu juste que ben vous aviez là en ICA,

4 (1.0) vous aviez eu::h un- un trois?

5 CA: mhm

6 RH: est-ce que ça pour vous .h c’e:st c’est un échec c’est- c’est

7 sûr que y a un échec? .h&

8 CA: [alors (x)

9 RH: [&vous êtes considérée en échec ou est-ce que vous passez quand

10 même votre année.

11 CA: alors j’étais considérée en échec jusque::: à la semaine

12 passée,

13 RH: mhm

14 CA: et depuis j’ai remonté mes notes,

15 RH: mhm

16 CA: et là j’ai plusieurs euh travaux ben justement de bureautique

17 qui vont augmenter car notre professeur a eu la bonne idée de

18 pas mettre le bon barème sur le:s comment dire sur les notes

19 parce qu’on tape et puis il nous donne automatiquement les

20 notes,

21 RH: mhm

22 CA: et sur les barèmes qu’il nous a mis c’était pas le bon barème,

24 CA: donc je me suis retrouvée normalement j’avais des moyennes de

25 deux et demi et je me suis retrouvée avec- là j’en ai fait un

26 je me suis retrouvée avec quatre et demi.

27 RH: d’accord donc vous êtes pas en situation d’échec.

28 CA: alors euh maintenant n↓on j’ai juste une branche insuffisante,

29 RH: ouais

30 CA: mais plus maintenant.

La recruteuse demande à la candidate si elle se trouve en situation d’échec scolaire (l. 6-10). La candidate commence par répondre « j’étais considérée en échec jusqu’à la semaine passée » (l. 11-12), ce qui projette potentiellement un récit racontant comment la jeune fille s’est sortie de sa situation d’échec. Ce premier TCU constitue ainsi une première information d’arrière-plan menant à la compréhension du climax. Le récit progresse ensuite avec la production d’un enchainement d’événements et de nouvelles informations: « depuis j’ai remonté mes notes » (l. 14) ; « j’ai plusieurs travaux de bureautique qui vont augmenter » (l. 16-17) ; « notre professeur a eu la bonne idée de pas mettre le bon barème sur les notes » (l. 17-18) ; « on tape et il nous donne automatiquement les notes » (l. 19-20) ; « c’était pas le bon barème » (l. 22). Toutes ces informations d’arrière-plan sont reçues par la recruteuse, qui manifeste sa réception au moyen des continuateurs « mhm » (l. 13, 15, 21) et « d’accord » (l. 23).

La candidate débute un nouveau tour en utilisant le marqueur « donc » (l. 24), indiquant potentiellement un résumé à venir de sa situation scolaire, basé sur les informations produites précédemment. Au lieu de cela, la candidate fournit une nouvelle infirmation : « normalement j’avais des moyennes de deux et demi » (l. 24-25), qu’elle contraste avec le climax de son récit : « là j’en ai fait un je me suis retrouvée avec quatre et demi » (l. 25-26), sachant que la moyenne suffisante est de quatre. La recruteuse accuse réception de ces dernières informations, en produisant un acknowledgement token « d’accord », et enchaîne avec une prise de parole plus étendue, afin de démontrer la nature de compréhension du climax : « donc vous êtes pas en situation d’échec » (l. 27). La recruteuse emploie elle aussi le marqueur « donc » (l. 27), présentant son intervention comme une synthèse du récit produit. Le tour de la recruteuse affiche sa pertinence par rapport au contexte local de l’interaction, c’est-à-dire relativement à la question initialement posée « vous êtes considérée en échec ou est-ce que vous passez quand même votre année » (l. 9-10). Par cette action, la recruteuse met en évidence le fait que la candidate n’a pas répondu explicitement à la question. Ainsi, c’est la recruteuse elle-même qui formule la conclusion du récit : « vous êtes pas en situation d’échec » (l. 27), en accentuant le « pas » (l. 27). La candidate valide ensuite cette conclusion

dans son tour suivant : « alors maintenant non » (l. 28), puis mentionne néanmoins qu’elle a encore « une branche insuffisante » (l. 28), information que la recruteuse réceptionne avec un marqueur « ouais » (l. 29). Finalement, en ligne 30, la candidate apporte un élément attendu depuis le début du récit : le fait qu’elle ne soit plus en échec actuellement (« mais plus maintenant », l. 30), faisant écho à l’ouverture du récit où la candidate dit qu’elle était « considérée en échec jusqu’à la semaine passée » (l. 11-12).

Dans les deux extraits ci-dessus, on constate que les interventions plus extensives que de simples continuateurs de la part des recruteurs constituent un soutien solide dans la construction et dans la structuration des récits produits par des jeunes candidats. En effet, ces prises de parole des recruteurs, que ce soit pour poser une question de relance ou pour reformuler et synthétiser les paroles du candidat, constituent des opportunités pour les candidats de se présenter de manière positive et de mettre en valeur leurs compétences. Dans la section suivante, nous examinerons de plus près les ressources utilisées par les candidats pour se présenter en tant que travailleur compétent à travers les récits qu’ils produisent au cours d’un entretien d’embauche.

7.3  Actions  accomplies  dans  le  récit  :  Les  depictions  au