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L’entretien comme instrument de mesure : Une perspective psychométrique 30

Chapitre  2   – L’entretien d’embauche 29

2.2   L’entretien comme instrument de mesure : Une perspective psychométrique 30

La recherche en psychologie du travail aborde l’entretien d’embauche selon une approche psychométrique, c’est-à-dire en s’intéressant avant tout à la mesure des caractéristiques des candidats, afin de prédire leur performance au travail dans le futur (Barrick & Mount, 1991 ; Huffcut & Arthur, 1994). Suite à l’entretien, ces caractéristiques sont comparées et évaluées par les recruteurs en fonction de la performance mesurée des candidats pour le futur poste, et mènent à la décision d’engager le candidat ou non (Cook, 2004). Dans cette perspective, l’entretien est donc considéré comme un instrument de mesure visant à mesurer la performance des candidats lors de la phase d’évaluation dans le processus de sélection.

La validité d’une méthode réfère à la capacité d’un prédicteur de prévoir avec précision les performances d’un individu (Muchinsky, 2009). L’entretien est utilisé pour évaluer une large gamme de caractéristiques, dont les compétences du candidat, mais également sa personnalité, et son comportement par exemple (Cook, 2004). Ainsi, l’entretien représenterait une méthode valide qui permettrait de discerner, parmi l’ensemble des candidats, lequel d’entre eux est le plus approprié pour le poste. Cependant, la validité prédictive des entretiens d’embauche est soumise à certaines conditions. En effet, de nombreuses méta-analyses ont démontré que la structuration d’un entretien jouait un rôle prépondérant dans ses résultats de fiabilité et de validité (Macan, 2009). Un des critères typiques pour qu’un entretien soit qualifié de structuré, ou directif, est qu’il présente « une série de questions relatives au poste avec des réponses prédéterminées qui sont appliquées sans exception à tous les entretiens pour un poste particulier » (Pursell, Campion & Gaylord, 1980 : 908). L’entretien d’embauche structuré a été démontré comme ayant une forte validité prédictive (Balicco, 2003 ; Huffcut & Arthur, 1994 ; Posthuma, Morgeson & Campion, 2002). Dès lors, les efforts de la recherche en

psychologie du travail se sont concentrés sur la manière d’optimiser cet instrument de mesure, afin de déterminer avec le plus de précision possible l’adéquation entre le candidat et le poste.

Partant du postulat que plus un entretien d’embauche est structuré, plus la validité prédictive est élevée, les chercheurs se sont penchés sur les moyens d’augmenter le degré de structuration de l’entretien. Un entretien structuré implique tout d’abord d’être basé sur une analyse de poste, c’est-à-dire sur une structuration des « informations concernant les activités, les qualités requises et l’environnement d’un poste de travail » (Sanchez, 2003 : 33). Par ailleurs, Campion, Palmer & Campion (1997) passent en revue différents procédés visant à augmenter le degré de structuration d’un entretien d’embauche. Parmi eux, il est notamment suggéré que plusieurs recruteurs soient présents au cours de l’entretien, que ceux-ci posent des questions standardisées – c’est-à-dire poser strictement les mêmes questions dans le même ordre à chacun des candidats – et de limiter leurs interventions telles que les relances ou les reformulations par exemple.

Afin de prédire efficacement les performances d’un candidat, les recruteurs doivent non seulement mener des entretiens basés sur des canevas de questions structurés, mais également procéder à une évaluation structurée des réponses des candidats. A cette fin, les recruteurs devraient, pour chaque question posée, soumettre les réponses produites par candidats à une grille d’évaluation déterminée à l’avance. Ainsi, un processus de sélection structuré permet à la fois au recruteur d’optimiser ses chances de choisir le candidat le plus en adéquation avec le poste, et au candidat d’être évalué avec davantage d’objectivité. Posthuma, Morgeson & Campion (2002) soulignent en effet que les recruteurs peuvent être plus enclins à engager les candidats qui présentent des similitudes avec leur propre personne. Les auteurs recensent différentes caractéristiques externes des candidats qui sont susceptibles d’inférer aussi bien dans le processus de sélection que dans la décision d’embauche. Ainsi, un degré de structure élevé dans l’entretien permet de réduire les biais dans l’évaluation des recruteurs liés à l’âge, au sexe ou à l’origine ethnique des candidats (Huffcut & Roth, 1998).

A l’inverse, les entretiens dits non-structurés, où le recruteur ne s’appuie pas sur un canevas déterminé à l’avance mais adapte ses questions posées en fonction du candidat, sont reconnus comme étant un prédicteur significativement moins élevé de la performance au travail. En effet, le fait de poser des questions différentes aux candidats à un même poste réduit le degré de comparabilité entre les candidats, et conduit les recruteurs à baser leur décision

d’embauche sur des évaluations subjectives. Par ailleurs, les recruteurs ont également une grande confiance concernant leur expérience en matière d’entretiens d’embauche et leur intuition pour repérer le candidat le plus adéquat pour le poste à pourvoir (Schmid Mast, Bangerter, Bulliard & Aerni, 2011). Les recruteurs qui pratiquent l’entretien non-structuré se basent ainsi sur une impression globale plutôt que sur une grille standardisée pour évaluer le candidat, ce qui a pour effet de diminuer substantiellement de degré de structure de l’entretien, et par conséquent, son degré de fiabilité et de validité.

Si l’entretien structuré a été démontré comme possédant une validité prédictive élevée, il demeure cependant peu utilisé dans la pratique à l’heure actuelle (Dipboye, 1994 ; Lievens & De Paepe, 2004). Le type d’entretien le plus pratiqué par les professionnels du recrutement est qualifié d’entretien semi-structuré. L’entretien semi-structuré se caractérise comme ayant des contraintes limitées, notamment concernant les sujets généraux à aborder au cours de l’entretien (Ghiselli, 1966), ou certaines questions prédéfinies à l’avance (Huffcut & Arthur, 1994 ; Lievens & De Paepe, 2004). Ce type d’entretien se situe à un degré de structuration intermédiaire sur un continuum où l’entretien structuré et l’entretien non-structuré représentent les deux extrémités.

La résistance des recruteurs face à l’utilisation de l’entretien structuré malgré son haut degré de validité s’explique de différentes manières. L’application d’un canevas strict de questions prédéfinies est considérée comme restrictive du point de vue de la liberté et de la spontanéité de l’interaction. De fait, l’entretien structuré est souvent associé à un manque de flexibilité selon la perception des recruteurs (Campion, Palmer & Campion, 1997). En outre, les recruteurs apprécient généralement le fait de créer un contact personnel et moins formel avec le candidat, et accordent une attention particulière à ce que celui-ci se sente à l’aise. Ce constat est issu d’une étude empirique menée par questionnaire sur 190 praticiens en ressources humaines (Lievens & De Paepe, 2004).

Par ailleurs, un entretien structuré nécessite une préparation plus importante que pour un entretien semi-structuré ou non-structuré. En effet, mener des entretiens structurés requiert que les recruteurs soient préalablement formés à cette pratique, ce qui peut également engendrer des coûts additionnels pour l’entreprise ou l’organisation. L’orientation des recruteurs vers l’entretien semi-structuré dénote donc d’un compromis entre un entretien qui

permet une mesure hautement valide de la performance des candidats, et un entretien qui laisse davantage de place aux échanges sociaux.

Finalement, l’entretien ne nécessite pas une structuration maximale pour être valide. Une étude de Huffcut et Arthur (1994) démontre la validité de quatre niveaux de standardisation différents, allant du moins structuré (niveau 1) au plus structuré (niveau 4). Les auteurs démontrent qu’entre les niveaux 1 et 2, de même qu’entre les niveaux 2 et 3, la validité de l’entretien augmente. En revanche, la validité pour le niveau 3 de structure, correspondant à un degré semi-structuré, est pratiquement identique à celui du niveau 4. À partir d’un certain degré de structure, il existe donc un plafond de validité.

Dans la pratique, il est toutefois difficile de quantifier l’utilisation exacte des entretiens structurés, semi-structurés et non-structurés par les professionnels du recrutement. En effet, la perception des recruteurs de ce qu’est un entretien structuré ou non-structuré ne correspond pas toujours aux critères établis par la recherche. Pour la plupart des recruteurs, un entretien est structuré lorsqu’il comporte une liste de questions ou de thèmes à aborder. Ainsi, 75% des recruteurs définissent leurs entretiens comme étant « plutôt structurés » (Bangerter, Krings, Petetin & Blatti, 2008 : 263). Le décalage entre la définition scientifique et la perception des recruteurs de ce qu’est un entretien structuré s’explique par l’existence d’une connotation sociale au sujet de la structuration. En effet, les recruteurs associent le qualificatif de ‘non- structuré’ à un manque d’organisation, voire à de l’incompétence (Bangerter, Krings, Petetin & Blatti, 2008). Ainsi, la majorité des recruteurs déclarent appliquer un certain degré de structure dans leurs entretiens, ce qui pourrait conduire à une surestimation de l’usage réel de l’entretien structuré dans la pratique.

Un moyen de structurer un entretien – et donc d’en augmenter la validité – consiste à poser aux candidats des questions comportementales. L’entretien d’embauche dit comportemental vise à interroger les candidats sur leur comportement passé dans une situation spécifique, qui peut aussi être hypothétique (dans ce cas on parle de ‘question situationnelle’, voir notamment Campion, Palmer & Campion, 1997). Ces questions sont conçues pour révéler des compétences préalablement définies comme étant utiles pour le poste auquel le candidat postule (Bangerter, Corvalan & Cavin, 2014). Un exemple de question comportementale pourrait être la suivante : « Racontez une situation où vous avez dû gérer des tâches simultanées ». Répondre à ce type de questions demande au candidat de décrire une situation

vécue dans le passé et les actions qu’il a entreprises pour y faire face. Ainsi, les questions comportementales sont susceptibles de générer des récits d’expériences personnelles vécues par les candidats, dont le recruteur pourra retirer des informations sur leurs aptitudes à gérer des situations spécifiques lors de son évaluation. De cette manière, les entretiens comportementaux représentent également un moyen valide pour prédire la future performance au travail d’un candidat.

2.3  L’entretien  comme  situation  sociale  :  Une