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Restauration ou innovations : l’apparente contradiction du programme

Restaurer dans la première moitié du XIX

e

siècle

Les travaux qui se déroulent dans la chapelle de la Trinité sont définis comme une restauration dès le début du projet à la fois par les architectes Hurtault et Lepère, ainsi que par l’Intendance des bâtiments. Pourtant, les changements opérés dans l’édifice posent question quant à la nature des travaux. Peuvent-ils effectivement être définis comme une restauration ? Il s’agit au préalable de s’interroger sur cette notion et sa signification telle qu’elle pourrait être comprise dans la première moitié du XIXe siècle.

La Révolution marque une rupture dans l’appréhension des édifices anciens. En effet, le vandalisme révolutionnaire dénoncé en 1794 par l’abbé Grégoire dans son Rapport sur les

destructions opérées par le Vandalisme produit a contrario des réactions en faveur de la

sauvegarde des objets issus de l’Ancien Régime. Ces derniers sont considérés comme

appartenant au passé et ont perdu leur valeur « d’usage »257. Ce même phénomène de

distanciation s’observe dans l’Angleterre élisabéthaine, où les monuments religieux catholiques ont subi le vandalisme de la Réforme avant d’être protégés par une proclamation royale en 1560258.

Dès lors, ils apparaissent comme des témoignages, comme des monuments dont la racine latine monere259, indique la fonction mémorielle. L’initiative d’Alexandre Lenoir (1761-1839) au Musée des monuments français prouve également qu’un nouvel intérêt apparaît pour les œuvres

257

Terme défini par Riegl et cité dans CHOAY, F., L’allégorie du patrimoine, éd. 2007 (1992), p. 126

258

CHOAY, F., op. cit, p. 59

259

95 du passé et l’histoire nationale. À partir de 1790, l’ancien couvent des Petits Augustins reçoit en effet en dépôt les biens des maisons ecclésiastiques supprimées. Ces œuvres qui constituent par la suite la collection du musée créé en 1795, ont perdu de ce fait leur valeur d’usage et sont réduites à des objets de curiosité, ce contre quoi s’insurge Quatremère de Quincy dans ses

Lettres à Miranda en 1796, peu favorable à l’idée de musée. Selon lui, le musée devient le

réceptacle d’objets devenus des reliques, extraits de leur contexte. Ainsi, dans la première moitié du XIXe siècle, les œuvres du passé peuvent être perçues selon deux regards différents, l’un assumant leurs valeurs esthétiques et historiques, l’autre prônant le respect de leurs fonctions comme garant de leur survie.

Ces raisonnements s’appliquent également à l’échelle des édifices anciens. Dans ce cas, le sens du mot « restauration » prendrait deux tournures selon qu’est davantage considérée la valeur historique ou fonctionnelle du bâtiment. Par conséquent, il s’agit soit d’arrêter les dommages du temps afin de conserver l’aspect d’origine, soit de prendre en compte les nouveaux besoins des usagers. Par la suite, les problématiques autour des niveaux d’intervention sont débattues et se cristallisent autour de deux méthodes incarnées par des personnages emblématiques260 comme

Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879)261 ou l’anglais John Ruskin (1819-1900)262. Sous

la Restauration, les problématiques en matière de conservation-restauration donnent suite à des essais. En même temps que la monarchie cherche à s’ancrer sur le socle du passé et à le faire revivre, un intérêt patrimonial pour les monuments se développe. Ainsi, plusieurs opérations sont menées comme la restauration du palais des thermes et de l’hôtel de Cluny à partir de 1819, celle du cloître de Saint-Trophime d’Arles vers 1820, ou encore celle de l’arc de triomphe d’Orange par Augustin Caristie en 1828263.

L’exemple de la restauration de la chapelle de la Trinité révèle l’émergence de plus en plus prégnante de préoccupations patrimoniales durant l’époque de la Restauration. En effet, même si l’édifice est considéré avant tout comme un bâtiment fonctionnel, l’architecte n’ignore pas sa valeur historique264. Ces deux aspects semblent se mêler dans la notion de « restauration » employée dans ce cas. Ces réflexions et ces recherches, en germe depuis le XVIIIe siècle, aboutissent sous la Monarchie de Juillet à l’essor d’une nouvelle institution appelée à se développer considérablement. Un poste d’inspecteur des monuments historiques est créé en 1830

260

CHOAY, F., op. cit., p. 114

261

VIOLLET LE DUC, Eugène-Emmanuel, Dictionnaire raisonnée de l’architecture française…, Paris : B. Bance, 1854- 1868 (10 tomes)

262

RUSKIN, John, The seven lamps of architecture, London : Smith, Elder and Co, éd. 1855 (1849)

263

LENIAUD, J.-M., Les archipels du passé, le patrimoine et son histoire, 2002, p. 137

264

à la suite d’un rapport présenté au roi dès les premiers mois du règne de Louis-Philippe265

, et confié à Ludovic Vitet. Cette première étape est suivie par la création de la commission des monuments historiques en 1837. Face à ces problématiques, plusieurs réponses semblent être adoptées.

En 1814, dans ses Vocabulaires, Morisot définit la restauration comme : « le mot qui désigne l’action de rétablir ou de remettre en bon état toutes les parties d’un bâtiment dégradé »266

. L’auteur, architecte-vérificateur des Bâtiments du Roi sous la Restauration, situe sa démarche en référence aux Dictionnaire de Roland le Virloys (1770), dont il reprend la définition, et de D’Aviler (1691)267

. Ce dernier précise : « dégradé & dépéri par malfaçon, ou par succession de tems, ensorte qu’il est remis en sa première forme, & même augmenté considérablement »268

. Il faut en effet noter que cette pratique est déjà employée sous l’Ancien Régime comme

l’attestent de nombreux exemples. Ainsi, le premier programme de François Ier à

Fontainebleau269 après 1528 vise à réédifier le château autour d’une cour ovale, sur les fondations des structures anciennes et à partir du réemploi des matériaux. Certes, ces travaux entrainent des modifications conséquentes et répondent peut-être davantage à des contraintes financières ou pratiques qu’à une réelle volonté de sauvegarde. Pour autant, une certaine conscience du caractère d’ancienneté de l’édifice ne peut être niée.

L’architecte Lepère insiste précisément sur les points mis en avant par D’Aviler. Les principales raisons de la restauration qu’il développe dans son rapport au Comité consultatif de 1829 concernent en partie la vétusté des bâtiments dûe à des défauts de construction ou à l’action du temps270. Ainsi, Lepère, et avant lui Hurtault, soulignent avec insistance les défauts de structure, notamment dans la partie orientale. Ces constats permettent de justifier les reconstructions destinées à pallier les « vices de construction »271. Par ailleurs, le vieillissement de l’édifice et le manque d’entretien entrainent également des dégradations272. L’état précaire de

la partie orientale nécessite ainsi sa reconstruction complète en remplacement des structures d’origine, tout en prévoyant un même usage. De plus, il est intéressant de remarquer que les moellons et les pierres de taille de l’ancienne construction, ainsi que les gravats issus de la démolition ont servi à la reconstruction de la partie est de la chapelle, selon la même technique

265

CHOAY, F., op. cit., p.95

266 MORISOT, J., Vocabulaires des arts et métiers en ce qui concerne les constructions…, 1814, p. 82 (tome 1) 267

Idem, Avant-Propos, s.p.

268

Id.

269

BOUDON, F., BLECON, J., Le château de Fontainebleau de François Ier à Henri IV, les bâtiments et leurs fonctions, 1998, p. 18

270

AN, fond des architectes Lepère, Hittorf et Bélanger, 469 AP 1, Rapport de l’architecte Lepère, septembre 1829

271

Ibidem

272

97 que les maîtres-maçons de François Ier. L’intérêt économique a certainement influencé la décision de Jean-Baptiste Lepère. Cependant, n’est ce pas également une manière de garantir l’ancienneté de l’édifice, malgré les transformations ?

Le programme de travaux entrepris à partir de 1824 modifie considérablement la chapelle qui perd dès lors sa « première forme ». L’architecte conçoit donc la restauration de la chapelle de la Trinité davantage comme une rénovation, destinée à permettre le rétablissement des fonctions originelles, à savoir le service du culte catholique pour le souverain : « l’impérieuse nécessité qui a fait ordonner de commencer la restauration de la chapelle en prescrit la continuation […] pour recevoir le Roi ou les Princes »273, « travaux indispensables pour livrer la chapelle au culte »274. La préservation de l’aspect originel de la chapelle ne constitue apparemment pas la priorité du programme, du moins concernant les façades et les parties intérieures latérales.

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