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Des choix éloignés du parti architectural d’origine : la volonté de rationaliser

Ces parties rénovées révèlent une caractéristique majeure du programme orchestré par Jean- Baptiste Lepère dont les choix semblent dictés par la volonté de rationaliser l’architecture. Or, il s’agit bien d’une recherche caractéristique du XIXe

siècle, influencée par les progrès techniques et scientifiques. L’heure est à la fonctionnalité des solutions, au rangement et à la classification des connaissances. La rationalité des solutions recherchées dans la chapelle de la Trinité évoque les efforts effectués peu à peu par les architectes pour conjuguer une « culture archéologique vivante et les nouvelles données de l’industrie moderne »275

. Le zinc, le fer et les progrès réalisés dans le domaine du verre transforment peu à peu les règles constructives. C’est pourquoi, la première moitié du XIXe siècle marque un tournant dans l’histoire de l’architecture inaugurant un siècle de recherches. Le néoclassicisme promu par Percier et Fontaine est confronté à une remise en cause par une nouvelle génération d’architectes tels que Hittorf, Félix Duban (1797- 1870) ou Henri Labrouste (1801-1875). Ce dernier réalise entre 1842 et 1850 la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris qui illustre ses conceptions en matière de construction. Il conçoit

l’édifice comme une structure et non plus comme un ensemble de formes et de volumes276

. Dans la seconde moitié du siècle, ces préoccupations prennent une ampleur considérable en

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Service de l’architecture du palais de Fontainebleau, 200 DOM, Projet de budget pour l’année 1827, 13 novembre 1826

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AN, fond des architectes Lepère, Hittorf et Bélanger, 469 AP 1, Rapport de l’architecte Lepère, septembre 1829

275

MIGNOT, C., L’architecture au XIXe siècle, 1983, p. 84

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architecture à travers les théories de Viollet-le-Duc qui définit un rationalisme constructif dans ses Entretiens sur l’architecture 277.

Bien que Lepère n’appartienne pas à cette génération, certains détails semblent indiquer comment l’architecture, telle qu’elle est pratiquée dans les années 1820 adopte progressivement des notions ou des préoccupations appelées à se développer au cours du XIXe siècle. Tout se déroule comme si les arts et plus généralement la société quittaient le XVIIIe siècle pour un temps nouveau. Selon Claude Mignot, la rupture définitive des mentalités s’effectue plus tardivement dans les années 1860278. Cette estimation indique le caractère progressif de ces mutations.

Ces dernières s’incarnent dans la chapelle de la Trinité à travers plus points. Tout d’abord, la suppression de la terrasse, remplacée par une galerie, montre que l’aspect pratique et fonctionnel prend le pas sur les choix effectués au XVIe siècle. Par ces bouleversements, l’architecte a cherché à renouveler la chapelle au moyen de solutions architecturales plus fonctionnelles. Les travaux réalisés peuvent ainsi se comprendre selon ce prisme. En effet, lors des premiers projets de restauration en 1822, l’Intendance des bâtiments souligne les difficultés liées à la terrasse et aux tribunes du côté oriental279. Le froid, les infiltrations d’eau, l’exiguïté des espaces intérieurs sont autant d’inconvénients qui nuisent à la fonctionnalité de l’édifice. Les solutions et les choix opérés s’éloignent radicalement du parti pris d’origine puisque le système de distribution instauré sous François Ier est alors remis en cause. La terrasse fait place à la galerie répondant à de nouveaux besoins. Du côté occidental, l’architecte argumente son intervention par l’étroitesse des espaces dévolus aux musiciens280. Ainsi, le manque de fonctionnalité des anciennes dispositions justifient une lourde intervention.

Le réaménagement de ces espaces montre un souci de commodité de plus en plus important. Les tribunes, élargies grâce à la taille des trumeaux et l’agrandissement des baies du premier étage, accueillent un plus grand nombre de courtisans lors des célébrations. Ces travaux visent à permettre une meilleure lisibilité et à faciliter l’utilisation pratique des lieux. De même, la galerie

devient alors un moyen d’accès à la fois « commode » et « prestigieux »281

. De plus, sa fonction de liaison entre la galerie de François Ier et le pavillon des Armes est améliorée.

En outre, Lepère explique comment, cette solution lui permet de résoudre du même coup les problèmes structurels du bâtiment puisque la galerie vient ainsi épauler le côté oriental de la

277

VIOLLET LE DUC, Eugène-Emmanuel, Entretiens sur l’architecture, Paris : Morel, 1863

278

MIGNOT, C., op. cit., p. 90

279

AN, Maison du roi, O3 1055, Rapport au Roi, Exposé d’une demande de M. le gd aumônier, Paris, le 2 avril 1822

280

AN, fond des architectes Lepère, Hittorf et Bélanger, 469 AP 1, Rapport de l’architecte Lepère, septembre 1829

281

AN, Maison du roi, O3 1057, Rapport au Roi, Proposition d’acquérir les marbres déposés par le sieur Hersent, le 2 mars 1825

99 chapelle282. De la même manière, les baies serliennes de la chapelle de la Vierge répondent à une nécessité pratique. Ainsi, les travaux de restauration consistent également à consolider la chapelle de la Trinité.

L’organisation de l’espace est donc revisitée avec de nouveaux critères présidant aux choix du parti architectural. Par ailleurs, la luminosité entre également de plus en plus en ligne de compte, comme en témoignent les parois vitrées des galeries au premier étage de la chapelle. À cet égard, la suppression des lucarnes pour des baies en plein-cintre dans la tribune des musiciens semble confirmer les nouvelles préoccupations des architectes.

La chapelle des Trinitaires plusieurs fois remaniée et réaménagée au cours des siècles,

présente un aspect hétérogène et dégradé. La partie occidentale a subi plusieurs ajouts au XVIIe

et XVIIIe siècles, lors de la construction du chœur des Mathurins en 1664, dans les dernières travées latérales et de la tribune des musiciens au premier étage. Du côté est, la construction du grand escalier de la galerie sous Louis XIV en 1688 a condamné la première chapelle283. Ces aménagements ont créé des différences entre les deux parties latérales est et ouest. Les deux ensembles fonctionnaient indépendamment, l’un facilitant l’accès aux tribunes et au pavillon des Armes depuis la galerie de François Ier, tandis que la partie occidentale accueillait les musiciens du Roi. Pourtant, la chapelle telle qu’elle a été construite sous les règnes de François Ier

et Henri

II comprenait bien deux terrasses qui se répondaient en écho284 en remplissant la même fonction

de distribution et de liaison entre les différents corps de bâtiment.

La restauration se conçoit alors comme un programme dans lequel Lepère recherche, outre des solutions fonctionnelles, une certaine harmonisation de l’ensemble. L’aménagement de la chapelle devient aussi l’occasion de créer des espaces cohérents à l’ordonnancement lisible. Cependant, les traces de cet effort sont timides et ne témoignent pas d’un changement de parti radical. L’architecte n’a pas cherché à unifier les parties latérales en attribuant de nouvelles fonctions influant sur le parti architectural. Dans ce cas, les travaux auraient entrainé de lourdes reconstructions peu conformes au but recherché. En effet, Lepère souhaite conserver dans l’ensemble les structures existantes285

, le coût final et le temps dépensé dans les travaux ne permettant pas d’imaginer de solution radicale. Au contraire, Lepère tente de tirer le meilleur parti des structures existantes de manière à améliorer la fonctionnalité des espaces dévolus au passage de la Cour ou aux musiciens. L’harmonisation est également perceptible dans les détails.

282

AN, fond des architectes Lepère, Hittorf et Bélanger, 469 AP 1, Rapport de l’architecte Lepère, septembre 1829

283

SAMOYAULT, J.-P., Guide du musée national du château de Fontainebleau, 1991, p. 77

284

BOUDON, F., BLECON, J., op. cit., p. 190

285

Ainsi une correspondance peut être établie entre le couloir, ou « petite galerie »286, situé au premier étage de la partie occidentale et couvert d’un parquet assemblé en point-de-Hongrie, avec le dallage en pierre de liais de la nouvelle galerie ouverte sur le jardin, assemblé à la manière d’une menuiserie. De plus, dans chaque partie, le même système de grandes croisées vitrées est employé. Chaque plafond est couvert d’une voûte à caisson segmenté en compartiments rectangulaires. Tous ces indices semblent indiquer que le couloir est conçu d’une certaine manière comme la réplique moins somptueuse de la galerie orientale. Ainsi les réalisations du second-œuvre et le décor de menuiserie permettent d’établir un lien entre les

parties ouest et est. D’autre part, les nuances du décor plus ou moins abondant287

favorisent la lisibilité des fonctions. La richesse de la nouvelle galerie indique qu’elle est destinée à accueillir des courtisans, tandis que le couloir au décor plus sobre semble davantage réservé à des personnes d’un rang social moins élevé, comme les musiciens.

Dans la chapelle de la Trinité, le décor de la menuiserie ponctue les espaces de multiples points de rappels, tissant ainsi des liens visuels. Au rez-de-chaussée, les premières travées est et ouest situées sous la tribune se distinguent des autres288 car, à la différence de ces dernières ouvertes sur la nef et les chapelles latérales, elles n’offrent pas de continuité visuelle. La première travée ouest est fermée par une porte à double vantaux surmontée d’un intrados aveugle. A l’est, le même motif est repris. Cependant, il s’agit d’un décor en trompe-l’œil car en réalité, cette partie est close depuis la construction du grand escalier. La répétition de ce même motif permet à la fois d’unifier la première travée de la chapelle et de feindre une porte, tout en donnant l’illusion de pouvoir accéder à une seconde pièce. Les dessins des menuiseries rappellent celles de la quatrième pièce située à l’est289. En effet, celle-ci est décorée d’un lambris illusionniste imitant un décor de porte. De la même manière, Lepère emploie ce stratagème pour dissimuler l’étroitesse de cette pièce et donner l’impression d’une ouverture possible alors qu’en réalité un mur la sépare de la cage d’escalier du pavillon des Orgues290.

A l’étage, ce même motif de baie feinte, qui caractérise les travaux réalisés dans la chapelle entre 1824 et 1830, est employé. Dans la tribune des musiciens, la travée du mur sud est signalée par un décor de menuiserie imitant une baie en plein-cintre à deux vantaux. Elle est percée d’une porte communiquant avec le couloir et trouve son pendant dans les trois travées du mur de cloison291 organisées autour de la répétition ternaire de ce motif.

286

Service de l’architecture du palais de Fontainebleau, liasse 1824-1830, attachement figuré de maçonnerie, 1829

287 Cf. annexe X 288 Ibidem 289 Ibid. 290

Service de l’architecture du palais de Fontainebleau, Carton n°14, dossier n°3, liasse n°4, feuille n°1

291

101 Ainsi une véritable correspondance s’établit de part et d’autre de la chapelle, grâce notamment à ces similitudes. En effet, la restauration est comprise dans un sens large. Il s’agit évidemment de remonter les parties abîmées, de veiller au clos et au couvert du bâtiment mais également de rendre à la chapelle royale tout son lustre et sa splendeur d’antan. Cette chapelle véhicule en effet un message politique fort, lisible dans la multiplication des symboles royaux, et contribue à affirmer le retour de la monarchie. Dès lors, restaurer la chapelle signifie aussi, et peut-être surtout, la transformer en un lieu d’ostentation du pouvoir. Or, la vétusté des bâtiments et leur manque de fonctionnalité ne permettait pas d’offrir l’image d’une monarchie renaissante, adaptée à une ère nouvelle qui pourrait se caractériser par les progrès techniques et scientifiques. La magnificence de la chapelle et donc celle du souverain, se perçoit à travers les détails ornementaux mais également à travers les efforts fournis pour aménager les espaces latéraux de manière rationnelle en recherchant des solutions fonctionnelles, la lisibilité et la luminosité des espaces, ainsi que des ensembles unifiés.