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Administration et suivi des travaux L’architecte Jean-Baptiste Lepère

La restauration de la chapelle de la Trinité est confiée à Jean-Baptiste Lepère (1761-1844). Il est présent à Fontainebleau depuis 1822 comme architecte du Roi en collaboration avec

Maximilien-Joseph Hurtault200 (1765-1824). Ce dernier a joué un rôle important dans la division

de Fontainebleau en tant qu’architecte, sous l’Empire puis durant la première décennie de la Restauration. Il a réalisé de nombreux projets pour le palais dont certains sont restés à l’état d’ébauches. Par ailleurs, c’est en partie grâce à ses observations que le projet de restauration pour la chapelle de la Trinité est élaboré dans les années 1820, d’après ses plans. Après Fontainebleau, Hurtault part pour Saint-Cloud. Il remet à cette occasion quelques uns de ses dessins et plans à son successeur, l’architecte Lepère, et conserve l’autre partie201. Or, ces dessins ont certainement été utilisés par Lepère pour terminer les chantiers ouverts, comme celui de la galerie de Diane, et peut-être établir ses plans, notamment pour la restauration de la chapelle royale.

Ainsi, une véritable continuité s’instaure entre les deux architectes. Ils ont tous les deux travaillé dans les mêmes palais, dont celui de Saint-Cloud. Jean-Baptiste Lepère est nommé architecte de la division de Saint-Cloud par l’Empereur202, puis Hurtault lui succède à ce poste à partir de 1824. Enfin, ils font partie de la même génération d’architectes avec Charles Norry (1756-1832) ou Guy de Gisors (1762-1835)203, qui ont été très influencés par des architectes néoclassiques comme De Wailly et Chalgrin, puis par les architectes Percier et Fontaine. Pourtant, les deux hommes se distinguent par leur formation. Si Hurtault reçoit une formation académique à l’école des Beaux-arts204

, Lepère construit au contraire son parcours loin des circuits habituels.

Issu d’une famille modeste, il suit des cours de dessin et de géométrie à l’école gratuite grâce auxquels il développe un intérêt pour les sciences205. Il se démarque ainsi des autres architectes

200 AN, Maison du roi, O3 1055, rapport au Roi, Projet de confier à MM. Blondel et Abel de Pujol […] galerie de Diane à

Fontainebleau, Paris, le 1 octobre 1822

201

AN, Maison du roi, O3 1057, rapport au Roi, Indemnités à accorder aux deux veuves Hurtault et Berthault, Paris, le 20 septembre 1825

202

GALIMARD, M., Notice biographique de Jean-Baptiste Lepère, 1847, p. 7

203

Cf. annexe III

204

Ibidem

205

43 dont la formation privilégie rarement les mathématiques206. Il se forme ensuite comme architecte en autodidacte et acquiert son expérience en matière de construction au cours de ses nombreux voyages.

En effet, il part à l’âge de vingt-sept ans à Saint-Domingue, future Haïti, riche colonie française spécialisée dans l’exploitation et le commerce de la canne à sucre et du café. Il construit des habitations pour les colons et participe aux travaux de mise en œuvre. Après deux années passées dans l’île, il retourne en France. Durant cette période, il imagine des décorations d’architectures pour le nouveau Théâtre français situé dans le faubourg Saint-Germain et construit sur les plans de Peyre et De Wailly vers 1780. En 1796, il entreprend un nouveau voyage vers la Turquie et visite à cette occasion l’Italie, la Dalmatie et la Bosnie. Il rejoint comme volontaire la compagnie d’artistes et d’ouvriers de Guion Pampelone, chef de l’atelier français d’artillerie au service de la Sublime Porte, envoyé par la République à Constantinople207. Il séjourne deux ans dans cette ville, aux côtés d’autres architectes comme Protain (1769-1837). Nommé « membre de Première classe de la commission des sciences et arts de l’armée d’Orient »208

, il est chargé de la construction des bâtiments et des machines pour la fonderie de canons. Deux ans plus tard, il se joint à l’expédition de Bonaparte, de 1798 à 1801. Il conçoit alors un projet d’embellissement pour la place Esbékir et un projet d’hôpital à Alexandrie à la demande du général Kléber.

Outre ces constructions, Lepère réalise de nombreux plans et dessins des monuments lors de ces voyages. Il travaille notamment en Egypte sur la perspective des temples de l’île de Philae et

dessine les ruines des temples d’Edfou ou d’Elethyia209

. Avec les nombreux savants et aux côtés du général Bonaparte, il participe à la rédaction de l’ouvrage encyclopédique Description de

l’Egypte et rédige en particulier les descriptions des « antiquités »210

de Memphis, Saqqarah et des pyramides. Son implication lui vaut d’être nommé comme membre de l’Institut d’Egypte, puis chevalier de la Légion d’honneur le 1er

février 1826211.

Grâce à des voyages entreprenants et à « ses moyens qui de rien l’ont fait s’élever à une position aussi honorable »212, Jean-Baptiste Lepère s’est ainsi affirmé en tant qu’architecte en saisissant les opportunités offertes et a orienté sa carrière selon un parcours atypique. Outre l’expérience et la reconnaissance, celles-ci lui ont permis de se lier d’amitié avec d’autres

206

GUILLERME, A., op. cit., p. 34

207

AN, fond des architectes Lepère, Hittorf et Bélanger, compte de Lepère, An IV

208

Idem, livret pour l’an 10 délivré par l’Etat major, armée d’Orient

209

Id., Extrait du rapport fait à l’Assemblée générale des coopérateurs de l’ouvrage sur l’Egypte, 1er Messidor, An XI

210

Id., Lettre de la commission chargée de l’exécution de l’Ouvrage sur l’Egypte, le 26 juillet 1813

211

Id., Lettre du ministre de l’Intérieur à monsieur Lepère, architecte, Paris, le 1er février 1826

212

artistes. Personnage à multiples facettes, il semble se passionner pour les civilisations antiques et l’archéologie. En effet, le musicien Henri-Jean Rigel (1772-1852) évoque la parution d’un

ouvrage sur le Mexique213 avec son « aimable compagnon »214 de l’expédition égyptienne, à qui

il envoie quelques extraits et des croquis. Cet ouvrage auquel a contribué Alexandre Lenoir, fait suite aux expéditions du capitaine Dupaix entre 1805 et 1807. Il compare la découverte des

ruines mexicaines à partir de 1750 à celles d’Herculanum de1738215. Les pyramides mayas et les

inscriptions qui sont découvertes ressemblent selon les auteurs aux structures et aux hiéroglyphes d’Egypte. Lepère s’est probablement intéressé à cette expédition, d’une part par sa ressemblance avec celle de Bonaparte, et d’autre part en raison de son séjour dans le « Nouveau monde ». Ces éléments révèlent le goût éclectique de l’architecte.

A son retour en 1802, Jean-Baptiste Lepère est désormais reconnu comme architecte et il parvient à s’intégrer dans le circuit officiel. En effet, il est nommé en tant qu’architecte du Premier Consul au château de Malmaison. La demeure, récemment achetée par le général Bonaparte et sa femme Joséphine de Beauharnais en 1799, a été aménagée sur les dessins de Percier et de Fontaine. Lorsque Lepère intervient au château de Malmaison, il doit veiller à la décoration des pièces qui sont notamment ornées des tableaux d’Isabey et de Girodet, comme le cycle d’Ossian216. Sous l’Empire, il est chargé, en plus de la division de Saint-Cloud, de réaliser

deux monuments commémoratifs. Le premier projet situé sur le terre-plein du Pont-Neuf à Paris, échoue. Le piédestal est construit mais l’obélisque n’est pas achevé et est remplacé par la statue équestre d’Henri IV sous la Restauration. Cet obélisque préfigure celui de Louksor offert par le pacha d’Egypte à Louis-Philippe et installé en 1834 place de la Concorde. Le second monument est érigé en l’honneur de la Grande Armée, place Vendôme, avec l’architecte Jacques Gondouin (1737-1818) en 1806. Il s’agit d’une imposante colonne fondue à partir des canons des armées ennemies illustrant les épisodes de la Grande Armée.

Malgré son lien avec Bonaparte et son implication dans les travaux de l’Empire, Jean-Baptiste Lepère conserve son statut comme de nombreux architectes sous la Restauration et est nommé « Architecte du Roi ». En parallèle de la chapelle de la Trinité, Jean-Baptiste Lepère travaille à la réalisation de l’église Saint-Vincent-de-Paul à Paris. Cet édifice, qui compte parmi l’un de ses derniers projets, est construit avec l’aide de son gendre Jacques Ignace Hittorf (1792-1867). Ce dernier s’est par ailleurs intéressé à l’archéologie et notamment aux découvertes de la

213

Il s’agit de l’ouvrage : DUPAIX, Guillaume, BARADERE, Jean Henri, Antiquités mexicaines…, Paris : bureau des Antiquités mexicaines, 1834-1836

214

AN, fond des architectes Lepère, Hittorf et Bélanger, lettre de Rigel à Lepère, le 20 octobre 1842

215

Discours de Baradère au congrès général de la fédération mexicaine, dans DUPAIX, Guillaume, BARADERE, Jean Henri, Antiquités mexicaines…, op. cit., s.p.

216

45 polychromie dans les temples grecs, lors de son voyage en Sicile217. Cet intérêt a certainement pu trouver un écho chez Lepère, lui-même ayant parcouru une partie du bassin méditerranéen. Le souvenir des temples égyptiens et grecs qu’il a vus et dessinés au cours de ses voyages, laisse supposer la manière dont Lepère pouvait concevoir l’architecture. Contrairement aux autres artistes formés dans l’idéal grec décrit par Winckelmann et imprégnés de la pureté néoclassique, cet architecte était probablement plus en mesure de recevoir un autre discours. Par ailleurs, cette vision renouvelée de l’architecture est mise en application en 1838, à l’église Saint-Vincent-de- Paul. L’édifice est une sorte de manifeste historiciste218

dans lequel les architectes déploient divers styles. La formule néoclassique composée d’un portique et d’un fronton est ici déclinée aux côtés de deux grandes tours, tandis que l’intérieur reprend l’organisation des églises paléochrétiennes. Les murs de la nef reçoivent les fresques peintes d’inspiration byzantine par Hippolyte Flandrin et les bas-côtés sont éclairés par des verrières colorées. Le goût pour la Renaissance se perçoit à travers le mobilier, notamment les fonds baptismaux. Par ailleurs, de nouveaux matériaux sont utilisés comme la fonte pour les grandes portes du vestibule et de nouvelles techniques sont exploitées, par exemple la peinture sur lave émaillée. Hittorf poussera le principe de la polychromie jusqu’à proposer une façade entièrement peinte pour le cirque national en 1840. La génération suivante d’architectes comme Labrouste (1801-1875) ou Duban (1797-1870) sera marquée par ces découvertes.

La carrière de Jean-Baptiste Lepère, ses centres d’intérêt et ses relations révèlent combien l’architecte en charge de la restauration de la chapelle de la Trinité est un artiste pétri de références, doué de qualités d’observation et de curiosité. Néanmoins, Lepère n’a jamais eu l’occasion de réaliser entièrement une commande, soit parce qu’il est très souvent associé à un autre architecte, soit parce qu’il poursuit un chantier ou encore en raison d’évènements interrompant la commande. Après son intervention dans la chapelle de la Trinité, sa carrière semble s’achever peu à peu au début des années 1830, après une dernière intervention à Fontainebleau pour la restauration de la salle de bal à la demande de Louis-Philippe.