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La responsabilité garantie : d’une assurance de responsabilité extracontractuelle

de responsabilité extracontractuelle à une assurance

de responsabilité civile des entreprises

En principe, l’assurance de responsabilité civile des entreprises prend en charge les conséquences de la responsabilité civile de l’entreprise, que cette responsabilité découle d’un manquement à une obligation extracontractuelle ou encore de l’inexécution d’une obligation contractuelle.2

On a longtemps prétendu le contraire, considérant que cette assurance n’était pas conçue pour garantir les conséquences du non respect par l’assuré de ses obligations contractuelles3. Malgré l’évolution subie par la police et l’élargissement de la garantie relative à la responsabilité contractuelle reconnue par les tribunaux, il arrive encore que l’on prétende que cette assurance n’est pas conçue pour garantir les conséquences de la responsabilité contractuelle de l’assuré4.

L’énoncé de l’objet de l’assurance5 n’établit pourtant aucune distinction expresse relative à la nature de la responsabilité assurée6. Dans les polices types ARCE, il est stipulé ceci :

Nous paierons les sommes que l’assuré se verra légalement tenu de payer en tant que dommages-intérêts compensatoires pour « dommage corporel » ou « dommage matériel » visés par le présent contrat. […]7.

We will pay those sums that the insured becomes legally obligated to pay as compensatory damages because of “bodily injury” or “property damage” to which this insurance applies.8.

2 Heather A. SANDERSON, The Comprehensive General Liability Policy : the Insuring Intent, Toronto, Butterworths, 1990, p. 34. 3 Infra, Titre 1, Chapitre 1, p. 65 et ss.

4 Infra, Titre 1, Chapitre 1, Section 2.

5 L’expression « objet de l’assurance » est une traduction de « insuring agreement » ou « insuring clause » et désigne la « partie du contrat précisant la garantie accordée à l’assuré », GOUVERNEMENT DU CANADA, « TERMIUM PLUS » [en ligne].

http://www.termiumplus.bureaudelatraduction.gc.ca (Page consultée le 2 septembre 2005) ; On emploiera aussi dans ce texte, pour désigner la même réalité, l’expression « énoncé de garantie ».

6 « (…) la police d’assurance ne fait quant à elle (…), pas de restriction ou de distinction quant au type de responsabilité couverte par elle :

extracontractuelle ou contractuelle. », Assurances générales des caisses Desjardins c. Le Groupe commerce compagnie d’assurances, [2001] R.R.A. 133 (C.S.), para. 23.

7 BUREAU D’ASSURANCE DU CANADA, Assurance responsabilité civile des entreprises, Formulaire BAC 2100, version française

(ci-après BAC 2100).

8 BUREAU D’ASSURANCE DU CANADA, Commercial General Liability Policy, Formulaire IBC 2100, version anglaise (ci-après

Mentionnons que l’expression « les sommes que l’assuré se verra légalement tenu de payer » a été interprétée dans le passé comme désignant les dommages-intérêts découlant de la responsabilité prenant sa source dans la loi seule, donc la responsabilité extracontractuelle9. Cette interprétation a toutefois été rejetée et cette expression a été entendue, par la suite, dans un sens plus large10. Les tribunaux considèrent maintenant que cette expression désigne les sommes dues par l’assuré en vertu de toute obligation pouvant être sanctionnée par la loi, y compris celles qui découlent du non respect de ses obligations contractuelles11.

Aucune disposition du Code civil ni aucun principe ne s’oppose non plus à l’assurance de la responsabilité civile contractuelle12.

Au contraire, l’article 2498 du Code civil du Québec, prévoit expressément que la responsabilité civile, qu’elle soit contractuelle ou extracontractuelle, peut faire l’objet d’un contrat d’assurance.

Quant à l’article 2464 C.c.Q., il énonce qu’à moins d’une exclusion expresse ou d’une faute intentionnelle, l’assureur est tenu de garantir les conséquences de la faute de l’assuré. Le législateur ne fait ici aucune distinction quant à la nature des fautes de l’assuré dont l’assureur doit répondre.

En soixante-dix ans d’existence, l’assurance de responsabilité civile des entreprises a donc évolué d’une assurance de la responsabilité extracontractuelle (Chapitre 1), à une assurance de la responsabilité civile contractuelle et extracontractuelle (Chapitre 2).

Toute la controverse relative à l’étendue de la garantie en matière de responsabilité contractuelle fut, pendant plusieurs décennies, principalement alimentée par l’effet conjugué de l’interprétation stricte de l’expression

« légalement tenu de payer » et d’une exclusion appelée « exclusion de la responsabilité assumée par contrat »,

dont le libellé a évolué dans le temps.

Cette exclusion stipulait à l’origine : « This insurance does not apply …to liability assumed by the insured

under any contract or agreement […] »13.

Le problème que posait cette exclusion provenait évidemment de l’imprécision des termes « liability assumed

by the insured under any contract or agreement », traduits en français par « responsabilité assumée par l’assuré dans un contrat ».

9 Infra, Titre 1, Chapitre 1, p. 63 et ss. 10 Infra, Titre 1, Chapitre 2, p. 95 et ss.

11 Ronald H. LONG, The Law of Liability Insurance, New-York, Matthew Bender, 1989, vol. 1, para. 1.10, p. 1-39 ; H. A. SANDERSON,

précité note 2, p. 33.

12 « En principe, rien ne s’oppose à ce que les fautes contractuelles soient aussi bien couvertes que les fautes extracontractuelles. », Assurances générales des caisses Desjardins c. Le Groupe commerce compagnie d’assurances, précité note 6, para. 27.

13 NATIONAL BUREAU OF CASUALTY AND SURETY UNDERWRITERS (NBCU), Commercial General Liability Policy, E.-U.,

L’expression était doublement ambiguë. D’une part, la « responsabilité assumée par l’assuré dans un contrat » pouvait désigner uniquement la responsabilité découlant d’un engagement expressément assumé par

l’assuré dans un contrat (obligations expresses) ou encore viser toute la responsabilité contractuelle, incluant celle découlant d’obligations inhérentes au contrat (obligations expresses et implicites). D’autre part, dans l’hypothèse où l’expression visait uniquement la « responsabilité expressément assumée », elle pouvait désigner la responsabilité imputable à l’assuré uniquement en raison d’une obligation exorbitante du droit commun consentie dans un contrat, ou encore toute responsabilité découlant d’un engagement expressément consenti, y compris celui qui constitue une transposition d’une règle de droit commun.

En d’autres mots, la portée de l’exclusion pouvait être plus ou moins étendue selon que l’on considérait que la

« responsabilité assumée par contrat » était l’ensemble de la responsabilité qui découlait d’un contrat auquel

l’assuré est partie ou encore seulement celle résultant d’un engagement expressément stipulé. Dans ce dernier cas, il fallait encore se demander si l’exclusion visait uniquement la responsabilité découlant d’un engagement exprès obligeant l’assuré au-delà des obligations imposées par le droit commun ou encore celle découlant de toute obligation expressément assumée.

Dans les dictionnaires anglais, le verbe « to assume » est défini dans son sens commun comme l’action de prendre quelque chose à sa charge (« to take to or upon oneself »), comme un synonyme de « undertake » qui signifie s’obliger à remplir une obligation (« to put oneself under obligation to perform ») ou encore « accepter une responsabilité (« to accept as a charge or responsibility »)14. Par ailleurs, au sens juridique, le verbe « to assume » est plutôt défini comme « To take over (the debts of another) as one’s own », et désigne donc plus restrictivement la prise en charge de l’obligation d’une tierce personne15. Le fait d’assumer une obligation peut donc viser largement toute obligation à laquelle l’assuré accepte de se soumettre dans un contrat, y compris celles auxquelles il est tenu en vertu du droit commun indépendamment de cet engagement formel. Assumer une obligation peut aussi désigner, de manière plus restrictive, le fait de se soumettre volontairement à une obligation que la loi seule ne nous impose pas. Enfin, dans son sens le plus restrictif, elle peut désigner uniquement le fait d’assumer les obligations d’un tiers.

Dans le contexte de l’exclusion susmentionnée l’expression « responsabilité assumée par contrat » peut d’abord désigner toute responsabilité prenant sa source dans un contrat, que ce contrat soit verbal ou écrit et qu’il contienne ou non une clause par laquelle l’assuré assume expressément une quelconque responsabilité. Dans ce cas, l’exclusion aurait pour effet de limiter la garantie à la seule responsabilité extracontractuelle de l’entreprise.

14 MERRIAM-WEBSTER ONLINE DICTIONARY, [en ligne]. http://www.m-w.com/cgi-bin/dictionary (page consultée le 29 octobre

2008).

Elle peut, dans un sens plus limité, désigner toute responsabilité expressément assumée par l’assuré dans un contrat, même s’il s’agit d’une obligation à laquelle il est de toute façon tenu en vertu du droit commun. Tel serait le cas, par exemple, d’un vendeur qui s’engagerait de façon expresse à délivrer à l’acheteur un bien sécuritaire et en bon état, une obligation à laquelle le vendeur est déjà tenu en vertu du droit commun, donc indépendamment d’une telle clause stipulée au contrat16. Dans ce cas, l’exclusion s’appliquerait à la responsabilité contractuelle de droit commun lorsque l’assuré a énoncé cette obligation dans un contrat. A

contrario, l’assurance garantirait la responsabilité contractuelle de droit commun sauf dans la mesure où

l’assuré a expressément assumé une telle responsabilité dans le contrat.

Mise en relation avec l’expression « legally obligated », l’exclusion peut, troisièmement, désigner uniquement la responsabilité exorbitante du droit commun expressément assumée par l’assuré dans un contrat. L’exclusion viserait ainsi exclusivement les dommages auxquels est tenu l’assuré en raison d’obligations non pas imposées par la loi, mais consenties par lui dans le cadre d’un contrat. Ainsi, serait exclue la responsabilité d’un entrepreneur résultant du non respect de la date de délivrance d’un ouvrage à laquelle il s’est engagé expressément. Serait par ailleurs garantie, sous réserve de l’application d’une autre exclusion, la responsabilité de cet entrepreneur résultant d’un retard indu dans les travaux attribuables à une négligence de sa part dans la gestion du chantier, puisque le droit commun impose à tout entrepreneur d’agir de façon prudente et diligente. Nous verrons que cette approche est celle qui est le plus souvent retenue par les tribunaux17. Elle semble également avoir été consacrée dans le libellé des polices actuelles18.

Enfin, selon une interprétation historique, cette exclusion, peut désigner uniquement la responsabilité d’un tiers expressément assumée par l’assuré au moyen d’une clause appelée « hold harmless agreement ». Cela

signifierait que seule la responsabilité contractuelle prenant sa source dans un engagement en vertu duquel l’assuré a assumé à l’avance la responsabilité d’une tierce personne, ferait l’objet de l’exclusion. Cette interprétation résolument plus restrictive de l’exclusion est avancée par quelques auteurs de common law.19 Elle n’a cependant reçu, jusqu’à maintenant, aucun écho dans la jurisprudence canadienne.20

De l’apparition des polices ARCE au début des années 1940 jusqu’à ce que soit modifié, en 1986, le libellé ambiguë de cette exclusion de risque, les tribunaux se sont vus confier à maintes occasions l’épineuse question du sens qu’il convenait de donner aux expressions « légalement tenu de payer » et « responsabilité

assumée par contrat ». L’interprétation de ces expressions par les tribunaux a donné lieu à deux principaux

courants de jurisprudence. Selon le premier de ces courants, ces expressions indiquent la volonté de l’assureur de ne prendre en charge que la responsabilité extracontractuelle de l’assuré21. Au contraire, le deuxième

16 Art. 1716 et 1726 C.c.Q.

17 Infra, Chapitre 2.

18 Sur l’interprétation dominante de l’exclusion actuelle, voir infra, Partie 1, Titre 1, Chapitre 2, Section 1, §3, A. 19 H. A. SANDERSON, précité note 2, p. 105.

20 Sur l’interprétation restrictive proposée par cette auteure, voir infra, Partie 1, Titre 1, Chapitre 2, Section 1, §4, B. 21 Infra, Titre 1, Chapitre 1.

soutient que l’assurance prend en charge la responsabilité civile de l’assuré, que celle-ci résulte d’un manquement à une obligation légale ou contractuelle22.

Soumis à l’examen sévère des tribunaux et objet de vives critiques, l’esprit et la lettre de l’exclusion en question ont par ailleurs subi, en soixante-dix ans d’existence, plusieurs transformations qui ont eu pour effet de modifier, non seulement la portée de l’exclusion, mais également son contenu.

Le libellé de l’exclusion actuelle est le produit de cette évolution. Celle-ci stipule :

Sont exclus de la garantie :

Le « dommage corporel » et le « dommage matériel » à l’égard desquels l’assuré s’est obligé contractuellement ou convention- nellement à payer des dommages-intérêts compensatoires, sauf dans les cas suivants :

1) l’obligation découle d’un contrat ou d’une convention qui constitue un « contrat assuré » ;

2) l’assuré est tenu de payer ces dommages- intérêts compensatoires indépendamment de cette obligation contractuelle ou conventionnelle.

This insurance does not apply to :

“Bodily injury” or “property damage” for which the insured is obligated to pay compensatory damages by reason of the assumption of liability in a contract or agreement. This exclusion does not apply to liability for compensatory damages :

1) assumed in a contract or agreement that is an “insured contract” ; or

2) that the insured would have in the absence of the contract or agreement23

Deux constatations peuvent être faites à la lecture de cette exclusion. D’une part, la clause actuelle limite toujours la garantie de la responsabilité contractuelle, même si cette limite apparaît plus restrictive. D’autre part, malgré un nouveau libellé et l’abandon des mots « responsabilité assumée », la clause actuelle ne nous éclaire pas beaucoup plus que l’ancienne quant à l’étendue de la responsabilité contractuelle qui demeure soustraite à la garantie. Ainsi, malgré l’évolution de son libellé, non seulement l’exclusion est toujours incompréhensible pour un néophyte, donc pour la très grande majorité des assurés à qui elle est opposable, mais sa portée exacte demeure également un mystère pour bien des juristes et des professionnels de l’assurance.

En fait, seule une connaissance historique de l’évolution de la garantie et de l’exclusion mentionnée permet de voir comment et jusqu’à quel point s’est élargie la garantie relative à la responsabilité contractuelle dans les polices ARCE, et d’établir ce qui reste de « l’exclusion relative à la responsabilité assumée par contrat ».

22 Infra, Titre 1, Chapitre 2.

Chapitre 1 La prise en charge de la seule responsabilité extracontractuelle