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L’émergence d’une garantie autonome de la responsabilité civile

commencé à se faire sentir vers les années 1830. L’avènement du machinisme et le développement des activités industrielles favorisaient une augmentation considérable des accidents de transport, des accidents de travail et, plus généralement, des risques de dommages de toutes sortes. Le droit de la responsabilité civile a dû s’adapter à cette nouvelle réalité socio-économique, notamment en créant des régimes de preuve plus favorable aux victimes. L’« objectivation de la responsabilité »68 augmentait ainsi considérablement le poids de la responsabilité des individus.

Parallèlement à l’urbanisation, au progrès et à l’éducation des populations, progressaient les idées de justice et de garanties sociales. Les individus n’acceptaient plus aussi facilement l’idée que les dommages qu’ils subissaient étaient des coups du sort ou des châtiments divins qu’ils se devaient de supporter sans chercher réparation69.

L’ensemble de ces facteurs a accru le besoin de sécurité tant des individus que des entreprises et créé un climat favorable au développement de l’assurance qui s’inscrivait dans les changements que subissaient les sociétés modernes de cette époque : « Tout se lie en effet, dans l’ordre intellectuel, comme dans l’ordre

physique : les idées d’ordre, d’industrie, de garanties sociales, se tiennent et se rattachent à toutes celles qui

supposent une raison avancée »70

La révolution industrielle a d’abord favorisé le développement de l’assurance accident, une assurance directe souscrite par la victime potentielle d’un accident en vue de se prémunir des conséquences financières en résultant. En effet, les individus exposés aux risques inhérents aux nouveaux moyens de transport et de production ont été les premiers à chercher pour eux-mêmes une protection d’assurance.71 L’assurance directe leur garantissait une indemnité payable sur simple réclamation à l’assureur, sans besoin d’identifier un responsable et avoir recours aux tribunaux pour obtenir la réparation de leurs dommages.

De la même manière, lorsque les législateurs des pays en cours d’industrialisation ont dû, suite à l’augmentation exponentielle du nombre d’accidents du travail, intervenir pour assurer une meilleure indemnisation des victimes, ils ont d’abord choisi d’imposer aux employeurs une obligation de souscrire, en

68 J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, précité note 13, no. I-25, p. 16.

69 P.-A. BOUDOUSQUIÉ, Traité de l’assurance contre l’incendie, Paris, Achille Désauge, 1829, p. 22-23 ; voir aussi F. EWALD, précité

note 12, p. 19. En fait, l’ouvrage entier d’Ewald décrit très bien cette préoccupation de la société moderne de protéger les individus contre les coups du sort ainsi que les transformations du droit engendrées par ce changement de philosophie.

70 P.-A. BOUDOUSQUIÉ, précité note 69, p. 22-23.

faveur de leurs employés, à une assurance collective directe contre les accidents.72 Ce n’est que plus tard, au moment où, en vertu de la théorie du risque, les règles de la responsabilité civile de l’employeur ont été modifiées pour lui imputer une responsabilité présumée et ainsi faciliter le recours des travailleurs, que l’assurance de responsabilité a remplacé l’assurance directe comme instrument privilégié d’indemnisation des victimes d’accidents du travail.73

Si l’assurance de responsabilité existait jusqu’alors, c’était principalement sous la forme d’une garantie accessoire aux principales assurances directes telles l’assurance contre les incendies74, l’assurance directe contre les accidents de travail75 et l’assurance contre les accidents de chemin de fer.76

L’assurance de responsabilité a commencé à se développer dans la deuxième moitié du 19ième siècle en Europe, et au 20ième siècle au Canada. On assistait à cette époque à une remise en question de la conception individualiste traditionnelle de la responsabilité civile fondé sur la faute et à un mouvement en faveur de l’objectivation de la responsabilité civile et de l’indemnisation des victimes77. Cette philosophie nouvelle se traduisait principalement par l’établissement de présomptions de faute ou de responsabilité contre certains créateurs de risques, ce qui avait pour effet d’augmenter considérablement le risque des individus, et surtout des entreprises, de voir leur responsabilité engagée.78

C’est dans cette mouvance que l’assurance de responsabilité, jusque-là accessoire à l’assurance directe, s’est imposée comme protection autonome. En France, l’assurance de responsabilité pour les dommages causés par les voitures et chevaux, apparue en 1825, est considérée comme la première forme d’assurance de responsabilité indépendante.79 Elle fut suivie de l’« assurance contre les accidents de chemin de fer »80 et de l’« assurance du risque professionnel », c’est-à-dire de la responsabilité de l’employeur pour les accidents du travail.81

72 J. HEMARD, précité note 2, pp. 304, no. 164.

73 Ces lois ne créaient pas de régime d’indemnisation sans égard à la responsabilité de quiconque comme ceux que l’on connaît

aujourd’hui mais aménageaient, dans le cadre de la responsabilité civile de droit commun, un régime de preuve favorable à la victime. Elles obligeaient de plus l’employeur à souscrire une assurance de responsabilité pour garantir à la victime une indemnisation même en cas d’insolvabilité de l’employeur. En Angleterre, c’est en 1897 que le Workmen’s Compensation Act a imposé aux employeurs l’obligation de souscrire une assurance de responsabilité. La France adopta par la suite la Loi du 9 avril 1898 sur l’assurance contre les

accidents du travail (appelée aussi assurance-accidents du travail – loi de 1898 ou assurance du risque professionnel), au même effet : J.

HEMARD, précité note 2, pp. 304 et 309 ; Enfin, en 1909, le législateur québécois adoptait la Loi concernant la responsabilité pour les

accidents subis par les travailleurs dans le cours de leur emploi et la compensation pour les blessures en résultant, [1909] (Qué.), 9 Edw.

VII, c.66, qui imposait elle aussi l’assurance de responsabilité : F.J. LAVERTY, précité note 622, p. 647.

74 À partir de 1790, dans l’assurance du risque locatif, J. HÉMARD, t. 2, précité note 23, p. 203.

75 À partir de 1850 en Angleterre et de 1861en France, une assurance combinée pouvait être souscrite par les entreprises. Elle comprenait

la police principale, une assurance collective directe en faveur des employés en cas d’accident du travail, ainsi qu’une garantie complémentaire en responsabilité en faveur de l’entreprise qui couvrait les indemnités que cette dernière pouvait être tenue de payer pour certaines réclamations non garanties par l’assurance directe, M. PICARD A. BESSON, précité note 5 ; V. CADÈRE, précité note 1, pp. 29 et 34. ; Pour les États-Unis, voir W.R. VANCE, précité note 23.

76 À partir de 1850 en Angleterre et de 1865 en France, V. CADÈRE, précité note 1, pp. 30 et 34.

77 V.G. CADÈRE, précité note 1, p. 37 ; A. TUNC, précité note 17, p.100 ; J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, précité note 13,

p. 154, no. 165.

78 M. PARIZEAU, précité note 10, p. 85. 79 M. PICARD A. BESSON, précité note 5, p. 289. 80 En 1865, V. CADÈRE, précité note 1, p. 30, no. 47.

81 Avec l’adoption de la Loi du 11 juillet 1868, définitivement consacrée par la Loi du 9 avril 1898, V. CADÈRE, précité note 1, p. 30,

En Angleterre, comme aux Etats-Unis et au Canada, la première assurance de responsabilité à caractère autonome est apparue plus tard, soit vers 1886. Elle était destinée à garantir la responsabilité de l’employeur envers ses employés82.

Entre 1850 et 1900, dans la plupart des sociétés industrialisées, les principales assurances de responsabilité en usage sont les assurances émises aux employeurs pour garantir leur responsabilité découlant des accidents du travail83 et celles émises aux compagnies de chemin de fer pour garantir leur responsabilité en cas d’accident84.

Vers la fin du 19ième siècle, plusieurs types d’assurances de responsabilité destinées à garantir les conséquences de diverses activités professionnelles, commerciales et industrielles font leur apparition dans les domaines où les risques de responsabilités augmentent le plus85. C’est le cas de l’assurance de responsabilité des professionnels86 et des transporteurs87 dont la responsabilité était « de plus en plus consacrée »88 par la jurisprudence. C’est aussi le cas, en raison de la responsabilité découlant du fait des choses, de l’assurance de responsabilité des propriétaires d’immeubles89, des hôteliers90 et des entreprises industrielles en rapport avec les accidents survenant dans leurs établissements.91 La responsabilité du fait des choses donne également lieu à l’apparition d’assurances de responsabilité découlant de risques plus spécifiques tels que les dommages corporels causés par l’explosion des chaudières et machines à vapeur92, par les ascenseurs93 et par les produits en général94.

Après la première guerre mondiale, le contrat d’assurance de responsabilité devient une opération courante aussi bien en Europe qu’en Amérique et son caractère autonome est affirmé95.

L’assurance de responsabilité destinée aux entreprises continuera son évolution vers une prise en charge de plus en plus importante des risques de responsabilité.

82 Raymond N. CAVERLY, « The Background of the Casualty and Bonding Business in the United States », 6 Insurance Counsel Journal

62 (1939) ; W.R. VANCE, précité note 23, p. 999 ; V.G. CADERE, précité note 1, p. 34 ; Au Canada, bien qu’on ne sache pas exactement la date de son apparition, on sait qu’elle existait en 1898, CHARLES M. HOLT, A Treatise on the Insurance Law of Canada, Montréal, Ed. C. Théoret, 1898, p. 52-53.

83 C. M. HOLT, précité note 82, p.52-53 ; W.R. VANCE, précité note 23, p. 999 ; V.G. CADERE, précité note 1, p. 34 ; 84 C’est le cas autour de 1850 en Angleterre, 1865 en France et 1866 au Etats-Unis, V.G. CADERE, précité note 1, p. 32-35. 85 M. PICARD et A. BESSON, t. 3, précité note 5, p. 291.

86 V.G. CADERE, précité note 1, p. 34.

87 M. PICARD et A. BESSON, t. 3, précité note 5, p. 291. 88 Ibid.

89 Vers 1886, CADERE, précité note 1, p. 34. 90 Vers 1889, Ibid.

91 Ibid.

92 Apparue en 1887 en Angleterre, J. HEMARD, précité note 2, p. 329, no. 180. 93 Apparue en 1891 aux État-Unis, Ibid.

94 Apparue en 1892 en Angleterre, Ibid.

95 J. HÉMARD, t.2, précité note 23, p. 203 ; J. LONG, D.GREGG, Property and liability Insurance Handbook, 493, (1965) p. 462 ; R.

Titre second De l’assurance de responsabilité de risques particuliers

à la prise en charge globale des risques de responsabilité

de l’entreprise

Au début des années 1930, l’assurance de responsabilité des entreprises connaîtra une évolution structurelle majeure lorsque l’industrie proposera une police qui prendra en charge globalement un ensemble de risques de responsabilité (Chapitre 2) qui étaient jusque-là garantis par des polices séparées (Chapitre 1).