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La première génération d’assurances globales de responsabilité

des risques

Conformément aux objectifs généraux visés par la réforme, les artisans de l’assurance globale ont suggéré que la garantie soit décrite comme une assurance tous risques. Cela commandait l’adoption d’un énoncé décrivant l’objet de l’assurance dans des termes très généraux. La portée de la garantie pouvait ensuite être circonscrite par différentes exclusions de façon à attirer l’attention de l’assuré sur les risques non couverts. Cependant, malgré les objectifs et les principes formulés dans le cadre de ce programme, les premières polices standards

avaient peu en commun avec une véritable assurance tous risques. D’une part, elles comportaient de nombreuses limitations comprises dans l’énoncé même de l’objet de la garantie (§1). Enfin, les assureurs se prévalaient largement de leur privilège d’exclure les risques qu’ils n’entendaient pas couvrir (§2).

§1 La garantie

Dans le cadre de ce programme, deux polices d’assurance globale furent proposées aux entreprises qui avaient le choix de souscrire à l’une ou l’autre. Chacune de ces polices comprenait des garanties élémentaires et d’autres optionnelles, laissant à l’assuré la liberté de se procurer d’autres assurances de risques particuliers couvrant certains risques non garantis par cette police. L’entreprise pouvait également décider de ne souscrire à aucune de ces deux polices d’assurance globale et de n’assurer que certains risques de responsabilité sélectionnés via l’assurance de risques particuliers, selon la pratique jusqu’alors en vigueur.

La première police était appelée « Assurance globale de responsabilité générale » (« Comprehensive General

Liability Insurance »)118. Dans les premières versions de cette police, il fut décidé que la garantie courante ne couvrirait que les réclamations relatives à des dommages corporels. Par conséquent, les assurés désireux de se procurer une protection contre les préjudices personnels119, ou encore contre les dommages matériels dont ils pouvaient être tenus responsables, devaient acheter une protection étendue. Toutefois, celle-ci n’était disponible que dans la mesure où il était possible d’évaluer le risque et de fixer une prime en conséquence. Or, la science actuarielle n’offrait pas, à cette époque, les mêmes possibilités de collecte et de traitement de l’information sur les risques que celles auxquelles elle a recours de nos jours, de sorte que les assureurs pouvaient parfois être dans l’obligation de refuser l’émission d’une protection élargie.

Certaines autres garanties spécifiques étaient également offertes sur une base facultative. Elles pouvaient donc faire l’objet d’exclusions dans le cas où l’entreprise assurée décidait de ne pas s’en prévaloir. Il s’agissait notamment de l’assurance de responsabilité des produits et de l’assurance de responsabilité contractuelle.

118 Nous avons traduit le terme anglais « comprehensive » par l’adjectif « globale » qui qualifie le terme « assurance » afin de distinguer du

terme « générale » qui, lui, qualifie la « responsabilité civile ». Ainsi, il apparaît plus clairement qu’il existait à l’origine une assurance globale de responsabilité générale et une assurance globale de responsabilité automobile. C’est dans ce sens que G.H. TINKER, précité note 111, p. 220, écrivait que l’assurance n’était « générale » que par opposition à l’assurance automobile. Ce serait donc par erreur que certaine traduction française aurait associé le terme « générale » à l’assurance (« assurance générale de responsabilité »), plutôt qu’à la « responsabilité civile », objet de l’assurance (« assurance de la responsabilité générale »). L’expression « assurance globale » était d’ailleurs utilisée par Louis BAUDOUIN, précité note 57, p. 5, no. 36, et suggérée par Jean DALPE, « Étude de vocabulaire », (1952) Assurances 166, p. 171. La « Comprehensive General Liability Policy » est plus tard devenue la « Commercial General Liability Policy », l’assurance perdant ainsi son qualificatif de « globale » (« comprehensive ») pour devenir « commerciale », du moins dans son intitulé. La traduction juste de « Comprehensive General Liability » devrait donc être « assurance globale de responsabilité générale » et l’intitulé de la police « Commercial General Liability » devrait être traduit par « assurance de responsabilité générale des entreprises », où le terme « générale » devrait être entendu comme signifiant « autre que celle résultant d’une automobile ». On peut toutefois se demander si, en perdant son titre d’assurance globale, l’assurance a également perdu le caractère global qui lui avait été attribué au départ. La disparition du terme « comprehensive » au profit de « commercial » exprime-t-elle une volonté de la part des rédacteurs de dissiper le doute, pouvant être causé par l’emploi du qualificatif « comprehensive », sur la portée de la garantie ?

119 La notion de préjudice personnel dans les polices d’assurance de responsabilité réfère généralement aux dommages autres que

corporels, résultant de délits tels une arrestation ou une détention injustifiées, une poursuite malveillante, une perquisition ou une expulsion illicite ou encore des propos diffamatoires ou violant le droit à la vie privée.

Enfin, en échange de réductions de primes, il était même possible de se procurer des protections moins étendues que celles offertes dans l’assurance standard.120

Ce morcellement des garanties pouvait paraître contraire à l’esprit de l’assurance globale, dans la mesure où les assureurs connaissaient déjà la prévalence de ces risques et avaient une vaste expérience dans leur prise en charge. En effet, les assureurs étaient déjà, à cette époque, en mesure d’évaluer et de fixer une prime correspondant aux risques de responsabilité contractuelle d’une entreprise ou aux risques de responsabilité des produits. La majorité des assureurs acceptait d’ailleurs de les prendre en charge dans le cadre d’une assurance de risques particuliers. Il était toutefois apparu à l’industrie de l’assurance qu’il aurait été inéquitable d’imposer à tous les assurés désireux de se procurer une assurance globale, une prime afférente aux risques de responsabilité contractuelle et aux risques de responsabilité des produits, alors que certains n’étaient pas exposés à ces risques ou encore désiraient assumer seuls la probabilité que de tels risques surviennent. Il fut donc convenu que ces protections ne feraient pas partie de l’assurance globale standard.

Par ailleurs, l’assuré qui refusait certaines des garanties offertes pouvait, par le biais d’assurances de risques particuliers (separate covers), chercher une protection contre les risques ainsi exclus de l’assurance globale. Cette dernière technique lui permettait alors de limiter la garantie souscrite à la responsabilité découlant d’un risque précisément décrit dans la police, ce qui était impossible dans le cadre d’une assurance globale. Par exemple, l’entreprise assurée pouvait, par le biais d’une assurance de risques particuliers, assurer uniquement la responsabilité relative à un produit ciblé parmi l’ensemble de ses produits. La même option pouvait être exercée en ce qui concerne la responsabilité contractuelle. L’avantage d’une telle option était évidemment de permettre aux assurés de ne payer que les primes directement afférentes aux risques dont ils ne désiraient pas assumer seuls les conséquences.

Parmi les premières assurances globales de responsabilité figurait également une police appelée « Assurances globales de responsabilité combinée », laquelle visait à la fois les risques de responsabilité générale de l’entreprise et ceux découlant des accidents d’automobiles (« Comprehensive Liability Insurance »). Son libellé était en grande partie semblable à celui de la police décrite précédemment, quoiqu’un peu plus élaboré. Elle fut la première forme d’assurance globale qui servit de modèle à l’établissement d’une pratique normalisée aux États-Unis. Hormis la garantie relative à la responsabilité découlant des accidents d’automobiles, elle est aussi en quelque sorte l’ancêtre des polices globales actuelles, tant en ce qui concerne la structure proposée à ce moment que le contenu de ses stipulations.

La police standard garantissait la responsabilité de l’assuré correspondant à l’une des trois catégories de dommages définis, soit les dommages corporels (garantie A), les dommages matériels causés par une automobile (garantie B) et les dommages matériels autres que ceux causés par une automobile (garantie C).

La division entre les garanties A, B et C était motivée par le caractère optionnel des garanties B et C relatives aux dommages matériels. La police incluait ainsi la description de toutes les garanties, qu’elles soient obligatoires ou optionnelles. La garantie effective dépendait toutefois des choix faits par l’assuré et consignés à la police. Évidemment, un énoncé de garantie différent était stipulé pour chacune de ces catégories, de telle sorte que le libellé de chacun était, à peu de chose près, le même que celui utilisé pour les assurances de risques particuliers, en faisant les adaptations nécessaires.

La garantie des dommages corporels dont l’assuré est responsable était, ici, libellée de façon très générale. Elle couvrait l’ensemble des dommages corporels, qu’ils soient causés par une automobile ou attribuables à toute autre cause et qu’il s’agisse d’une blessure ou d’une maladie. La police prévoyait également de façon expresse qu’étaient garantis les dommages corporels dont l’assuré devait répondre parce qu’il en avait assumé la responsabilité aux termes d’un contrat défini dans la police. Dans tous les cas, le dommage devait par ailleurs être attribuable à un « accident », ce qui limitait évidemment les cas de couverture.

La garantie des dommages matériels causés par une automobile et dont l’assuré est responsable était optionnelle. Elle n’était par conséquent effective que dans la mesure où l’assuré y avait souscrit et avait payé la prime y afférente. Elle agissait donc de la même manière que l’aurait fait une assurance de risques particuliers et reprenait essentiellement le même libellé que la police séparée antérieure relative à l’assurance de responsabilité automobile.

La garantie des dommages matériels autres que ceux causés par une automobile et dont l’assuré est responsable était également optionnelle. Il y était spécifié que l’assurance couvrait les dommages matériels, sans référence à la cause du dommage. Les dommages causés par une automobile faisaient l’objet d’une exclusion puisque leur couverture était prévue spécifiquement dans une autre partie de la garantie. D’ailleurs, d’autres exclusions importantes avaient pour effet de réduire considérablement la couverture des polices ARCE de première génération.

§2 Les principales exclusions

Ces deux catégories d’assurances globales comprenaient plusieurs exclusions communes destinées à délimiter la portée de la garantie générale. Par exemple, l’assurance globale de responsabilité générale comprenait une exclusion visant la responsabilité découlant de la propriété, la garde ou la conduite d’une automobile ou d’un autre véhicule. Une autre exclusion devant faire l’objet d’une assurance spécifique concernait la responsabilité de l’employeur à l’égard de ses employés ayant subi un accident du travail. Une dernière visait la responsabilité assumée par contrat. Ces trois exclusions existent toujours dans les polices actuelles, quoiqu’elles n’aient plus toutes la même portée qu’à cette époque. Particulièrement, nous verrons que l’exclusion dite de la responsabilité assumée par contrat a vu son champ considérablement réduit avec le temps.

Soulignons par ailleurs qu’il n’existait aucune exclusion automatique concernant la responsabilité des produits, bien que l’assuré pouvait y consentir moyennant une réduction de prime. Toutefois, même en l’absence d’une telle exclusion, l’assureur refusait parfois de garantir la responsabilité de l’assuré découlant de ses produits, invoquant l’exclusion de la responsabilité assumée par contrat. Celle-ci pouvait en effet être interprétée comme excluant la partie de la responsabilité découlant des produits qui relevait de la garantie légale. Toutefois, un auteur était d’avis qu’une telle interprétation allait à l’encontre de la volonté des parties et avait recommandé de modifier cette exclusion pour y ajouter cette exception : « It is agreed that the

policy does not apply to liability assumed by the insured under any contract or agreement except, if products liability is not excluded from the policy, a warranty of goods or products. »121

Nous verrons que les recommandations de cet auteur seront suivies, quelques années plus tard, afin de préciser la portée exacte de l’exclusion.122

À l’analyse, on constate que les garanties offertes par les premières générations d’assurances globales de responsabilité étaient plutôt limitées. Le projet de départ des concepteurs, sans doute plus ambitieux que les moyens techniques dont l’industrie disposait, n’avait jamais été accepté dans sa totalité. Cette dernière n’était pas tout à fait prête pour un changement aussi radical qui transformait les assurances de risques particuliers en assurances globales.

La prudence manifeste dont avait fait preuve l’industrie de l’assurance apparaît tant de l’énoncé de garantie que des exclusions. Cette réticence était de toute évidence motivée par la nouveauté du produit, par le peu de connaissances et d’expériences relatives à l’étendue des risques pouvant s’inscrire dans la garantie ainsi que par les limites de la science actuarielle de l’époque.

Mais plus encore, l’ambition des promoteurs de cette forme d’assurance n’avait pas suffi à occulter complètement l’ancienne conception de l’assurance selon laquelle l’assuré devait pouvoir cibler un risque très particulier contre lequel il désirait obtenir une protection d’assurance en contrepartie de laquelle il ne payait que la prime correspondante.

De fait, les concepteurs reconnaissaient eux-mêmes qu’ils avaient dû tenir compte des réserves exprimées par les assureurs et faire certains compromis dans la mise en œuvre du programme d’assurance globale. Ils croyaient toutefois au changement des mentalités à moyen terme ainsi qu’au potentiel de cette nouvelle forme d’assurance et admettaient que les polices globales étaient appelées à subir de nombreuses transformations au cours des années à venir, qui en élargirait la portée.123 De tels changements devaient être dictés par des facteurs comme la pratique de l’assurance proprement dite, le progrès des sciences permettant la cueillette et

121 Id., p. 59.

122 Infra Partie 1, Titre 1, Chapitre 2, Section 1, §1. 123 E. W. SAWYER, précité note 99, p. 33.

le traitement de l’information nécessaire à l’évaluation des risques, ainsi que l’évolution des besoins des assurés et des conceptions socio juridiques de la responsabilité civile et de l’assurance.

Il fallut vingt cinq ans aux défenseurs de l’assurance globale pour convaincre l’industrie de la viabilité d’une telle assurance.

Section 3 Les réformes de l’assurance globale de responsabilité de l’entreprise :