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L’assurance de risques particuliers

Apparue presque simultanément aux États-Unis et en Europe vers la fin du 19ième siècle, l’assurance de responsabilité venait répondre au besoin de sécurité des entreprises qui faisaient face à une augmentation importante de leurs responsabilités civiles, à la fois en raison de l’augmentation des accidents attribuables au développement des nouveaux moyens de production et de transport et à l’objectivation de la responsabilité civile.

La première véritable assurance de responsabilité autonome des risques d’entreprises est apparue en Angleterre en 1886. Elle prenait en charge la responsabilité civile de l’employeur découlant des accidents du travail subis par ses employés. Cette assurance, appelée à l’époque assurance de responsabilité des

employeurs (Employer’s Liability Insurance), répondait à l’augmentation du besoin d’assurance des

entreprises qui résultait de l’adoption, par le parlement britannique, d’une loi établissant une présomption de faute contre l’employeur en cas d’accident de travail subi par un travailleur96.

L’assurance de responsabilité s’est ensuite rapidement étendue à plusieurs types de risques de responsabilité, particulièrement à ceux pour lesquels la responsabilité de l’entreprise migrait, comme ce fut le cas pour les accidents du travail, d’un régime où sa faute devait être prouvée, vers un régime où sa faute ou sa responsabilité était présumée.

Cette forme d’assurance a connu un développement particulièrement vigoureux au Etats-Unis où l’on a vu apparaître successivement de nouvelles garanties des risques d’entreprise : l’assurance de responsabilité des

employeurs (employers’ liability insurance), l’assurance de responsabilité envers les tiers (public liability insurance), l’assurance de responsabilités des propriétaires et occupants (owners’, landlords’ and tenants’ public liability insurance), l’assurance de responsabilité des manufacturiers (manufacturers’ public liability insurance) et de l’entrepreneur (contractors’ public liability insurance) ; l’assurance de responsabilité des

96 Il s’agissait du Workmen’s Compensation Act de 1880, R.N. CAVERLY, précité note 82, p. 63 ; W.R. VANCE, précité note 23, p. 999 ;

produits (products liability insurance) ; l’assurance de responsabilité découlant des accidents des

automobiles (automobile liability insurance) et des ascenseurs (Elevator Liability Policy).97

La pratique des assureurs de responsabilité américains consistait alors à émettre des polices d’assurance portant sur des risques particuliers.98 Selon cette pratique, chacun des risques différents auquel l’entreprise était confrontée devait faire l’objet d’une assurance de responsabilité séparée qui garantissait le risque qui y était spécifiquement décrit, à l’exclusion de tous les autres. Cette méthode nécessitait, de la part de l’intervenant en assurance, une évaluation de l’ensemble des risques de responsabilité auxquels l’entreprise était exposée, après quoi celui-ci devait proposer les polices offrant une garantie contre ces risques particuliers.99

L’approche de l’assurance de risques particuliers était parfaitement appropriée dans le contexte de l’évolution progressive et empirique des risques et du développement rapide et important du droit de la responsabilité civile. En effet, l’industrie pouvait ainsi s’adapter aux besoins et à la demande d’assurance qui se manifestait au fur et à mesure qu’émergeait une nouvelle source de dommages ou que s’alourdissait, pour les entreprises, l’obligation légale d’indemnisation des victimes.

Cette approche présentait l’avantage de faciliter l’évaluation des risques par les assureurs. De plus, les assurés, étant libres de souscrire à certaines seulement des protections d’assurance qui leur étaient offertes, pouvaient exercer un meilleur contrôle des coûts de leurs assurances.100 Toutefois, on a fait remarquer, avec raison, que cette pratique soulevait un certain nombre d’inconvénients, tant pour l’assuré que pour l’assureur101.

D’abord, du point de vue de l’assuré, la technique des « schedule policies » pouvait s’avérer désavantageuse à plusieurs égards. D’une part, l’essor économique et le développement fulgurant des nouveaux moyens de production, de transport et de communication modifiaient considérablement et rapidement les façons d’opérer des entreprises et rendaient difficile l’évaluation de leurs besoins en assurances de responsabilité. D’autre part, l’assuré, devant opter parmi une gamme de polices, écartait le plus souvent l’assurance des risques qui, selon lui, étaient moins susceptibles de se produire. Par souci d’économie, mais aussi parfois par ignorance, l’assuré créait ainsi des « trous de couverture » dans le plan global de protection du patrimoine de son entreprise. Ces trous de garantie s’ajoutaient aux nombreuses autres situations pour lesquels aucune assurance

97 E. W. SAWYER, Comprehensive Liability Insurance, The Casualty Insurance Educator, series II, New-York, The Underwriting

Printing and Publishing Co., 1943, p. 12 ; James A. ROBERTSON, « How Umbrella Policies Started, Part. I : Early liability coverage », mars 2000, p. 2 [En ligne]. www.irmi.com/expert/article/robertson001.asp (page consultée le 19 mars 2007).

98 En anglais, ce type de polices était désigné « schedule policies » ou « multiple separate covers ». Le terme « schedule policy » est parfois

traduit en français par l’expression « assurance expressément consentie », voir OFFICE QUEBECOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE,

Grand dictionnaire terminologique, [En ligne]. www.granddictionnaire.com (page consultée le 19 mars 2007). Dans le présent texte,

nous utiliserons tantôt la locution d’origine « schedule policy », tantôt l’expression « assurances de risques particuliers », pour désigner les polices en usage avant 1940 et qui assuraient séparément les risques de responsabilité civile des entreprises.

99 E.W. SAWYER, précité note 97, p. 11 et ss. 100 Id., p. 14.

n’était encore disponible.102 Quant aux entreprises qui désiraient une protection étendue, elles dénonçaient le fait de devoir souscrire à une multitude de polices dont les garanties se chevauchaient à plusieurs égards.103

La technique de l’assurance de risques particuliers pouvait également s’avérer désavantageuse pour l’assureur, en ce qu’elle était susceptible d’occasionner un phénomène d’« anti-sélection » dont l’effet est de créer une situation de déséquilibre dans le processus de sélection des risques résultant du fait que les souscripteurs choisissaient de ne présenter à l’assureur que des demandes de protection pour les risques les plus susceptibles de se produire. Or, on sait que le bon fonctionnement de l’assurance repose sur la compensation des mauvais risques, dont la probabilité de survenance est élevée, par les bons risques, qui sont peu susceptibles de se produire. N’assurant que des risques dont la probabilité d’occurrence est élevée, les assureurs se retrouvaient ainsi dans une position défavorable.104 La pratique des assurances séparées occasionnait enfin des frais d’administration importants aux assureurs.105

Pour ces raisons, il est apparu à certains décideurs, notamment aux dirigeants d’une importante association d’assureurs américains qui était chargée de l’élaboration de polices-types106, que le système des assurances de risques particuliers ne répondait plus aux besoins ni des entreprises, ni des assureurs, et qu’un changement s’imposait pour préserver la stabilité économique des parties. L’assurance de responsabilité était, en effet, déjà à cette époque, reconnue comme un élément favorisant l’équilibre économique des sociétés modernes et particulièrement comme un facteur de stabilisation du crédit.107

C’est en réponse à ces critiques adressées à l’encontre de la pratique des « schedule policies » que fut proposé

un nouveau modèle d’assurance de responsabilité : celui de la prise en charge globale des risques de responsabilité civile des entreprises.

Chapitre 2 Le modèle américain : la prise en charge globale des risques