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À L’ÉGARD DE L’AYANT DROIT ÉCONOMIQUE

D. Invocabilité par l’ayant droit économique

IV. Responsabilité fondée sur la confiance

A. Notion

La responsabilité fondée sur la confiance fut introduite en droit suisse par l’arrêt Swissair 99. Notre Haute cour a retenu comme responsable la Swis-sair Beteiligungen AG envers le créancier de sa filiale et ce malgré l’absence d’un rapport contractuel. Le créancier s’était fié à l’apparence créée et dé-çue que la société mère doterait suffisamment cette filiale en fonds propres pour désintéresser ses créanciers 100.

Trouvant sa source dans la doctrine et la jurisprudence allemandes 101 et malgré le refus d’une partie de la doctrine suisse 102, la figure juridique de la responsabilité fondée sur la confiance est désormais ancrée en droit suisse 103. Il s’agit de la responsabilité d’un tiers non partie au contrat, qui est encourue lorsque celui-ci suscite une confiance digne de protection et la déçoit ensuite de façon contraire à la loyauté 104. Cette responsabilité n’est ni proprement contractuelle ni proprement délictuelle mais une source de responsabilité autonome 105. Elle est fondée sur les règles de la bonne foi (Treu und Glauben) au sens de l’art. 2 CC et les obligations qui en naissent entre deux parties entrant dans une relation juridique particulière (rechtli-che Sonderverbindung) et dont le précurseur fut le culpa in contrahendo 106. La responsabilité fondée sur la confiance est subsidiaire en ce sens qu’elle

99 ATF 120 II 331 = JdT 1995 I 359.

100 ATF 120 II 331 = JdT 1995 I 359. Voir aussi CR CO-Thevenoz, Intro. art. 97-109, N 22d.

101 cf. ATF 121 III 350, consid. 6 c).

102 Schwenzer (OR AT), N 52.03 ; Honsell / Isenring / Kessler, § 4 N 22 ss ; Morin (thèse) pp. 162 et 169.

103 ATF 142 III 84, consid. 3.3 ; TF 4A_565/2012 du 21 mars 2013, consid. 2.3 ; ATF 133 III 449, consid. 4.1 = JdT 2008 I 325, p. 327 ; ATF 130 III 345, consid. 2.1 = JdT 2004 I 207, p. 211 ; ATF 128 III 324 consid. 2.2 – 2.5 ; ATF 124 III 297, consid. 6 a) = JdT 1999 I 268, p. 274 ; ATF 121 III 350, consid. 6 c).

104 ATF 130 III 345, consid. 2.1 = JdT 2004 I 207, p. 211 ; Gauch / Schluep / Schmid, N 982 e.

105 ATF 142 III 84, consid. 3.3 ; ATF 133 III 449, consid. 4.1 ; ATF 130 III 345, consid. 2.1 = JdT 2004 I 207, p. 211 ; CR CO-Thevenoz, Intro. art. 97-109, N 22d.

106 CR CO-Thevenoz, Intro. art. 97-109, N 8.

entre en ligne de compte seulement si une responsabilité contractuelle est exclue 107.

Comme déjà relevé, les banques suisses sont tenues en vertu du dispo-sitif anti-blanchiment d’argent d’identifier l’ayant droit économique. Elles traitent ainsi les données le concernant. L’étendue des données concernant l’ayant droit économique dépend du risque de blanchiment d’argent que représente ce dernier. En outre, les banques nouent souvent en pratique des contacts avec l’ayant droit économique en ce sens qu’elles obtiennent des instructions de ce dernier, lui rendent des comptes ou le conseillent.

Il convient dès lors d’examiner si l’ayant droit économique peut invo-quer à l’encontre de la banque la figure juridique de la responsabilité fon-dée sur la confiance et notamment lorsque cette dernière ne l’avertit pas sur les abus commis par le cocontractant.

La responsabilité fondée sur la confiance entre en ligne de compte si les conditions suivantes sont remplies : relation particulière (a) ; confiance légitime (b) ; comportement contraire aux règles de la bonne foi (c) ; faute et dommage en lien de causalité avec le comportement contraire aux règles de la bonne foi (d).

B. Conditions

1. Relation particulière (Sonderverbindung)

Tout d’abord, il faut qu’il y ait une relation particulière (Sonderverbindung) entre le responsable et le lésé, nécessaire à faire naître les obligations de protection et d’information qui résultent des règles de la bonne foi 108. Une telle relation naît du comportement, conscient ou juridiquement impu-table, de la personne recherchée 109. En revanche, une rencontre fortuite ou non voulue, telle qu’elle se produit généralement dans le cas de la respon-sabilité délictuelle fondée sur la négligence, ne crée pas une relation de ce genre 110. A noter qu’un contact direct entre le responsable et le lésé n’est pas

107 ATF 131 III 377, consid. 3 = JdT 2005 I 612, p. 615 ; TF 4A_306/2009 du 8 février 2009, consid. 5.1.

108 ATF 130 III 345, consid. 2.2 = JdT 2004 I 207, p. 212 ; ATF 120 II 331, consid. 5 a = JdT 1995 I 359, p. 364 ; CR CO-Thevenoz, Intro. art. 97-109, N 22 e ; Gauch / Schluep / Schmid, N 982 f ; Emmenegger, p. 538.

109 ATF 130 III 345, consid. 2.2 = JdT 2004 I 207, p. 212 ; BSK ZGB-Honsell, Art. 2 N 18.

110 ATF 130 III 345 consid. 2.2 = JdT 2004 I 207, p. 212.

nécessaire. Il suffit que le responsable reconnaisse que son comportement amène des personnes identifiables à prendre des décisions qui leur sont préjudiciables 111.

2. Confiance légitime

Ensuite, il faut que le responsable ait suscité une confiance légitime du lésé dans l’existence de certains faits ou dans certains comportements, sur la foi de quoi le lésé aurait pris des dispositions qui s’avéreront préjudiciables pour lui 112. Une confiance digne de protection suppose de la part de l’au-teur du dommage un comportement qui soit de nature à éveiller suffisam-ment, auprès de la victime, des espérances concrètes et déterminées 113.

Le caractère légitime des attentes fondées sur l’apparence créée exclut de protéger celui qui est victime de sa propre imprudence ou de la réalisa-tion des risques usuels dans les affaires 114. Faisant siens les développements de Loser 115 et de Canaris 116, le Tribunal fédéral souligne que l’attente que le partenaire accomplisse une prestation sans s’y être obligé contractuellement n’est en principe pas digne d’être protégée, car l’on peut raisonnablement attendre de la personne qui fait confiance qu’elle s’assure de l’exécution de la prestation en concluant le contrat. La reconnaissance de la responsabi-lité fondée sur la confiance ne doit pas conduire à violer de sa substance l’institution juridique du contrat” 117. Toutefois, “la confiance en l’exécution spontanée d’une prestation ne peut que très exceptionnellement trouver une protection, soit lorsque la conclusion d’un contrat n’est effectivement pas possible en raison des rapports de force existant ou de la dépendance de la personne qui fait confiance, et que dans le même temps l’on ne peut

111 Ibidem.

112 CR CO-Thevenoz, Intro. art. 97-109, N 22f.

113 ATF 130 III 345, consid. 2.1 = JdT 2004 I 207, p. 211 ; ATF 124 III 297, consid. 6 a = JdT 1999 I 268, p. 274 ; ATF 121 III 350, consid. 6 c.

114 ATF 133 III 449, consid. 4.1 = JdT 2008 I 325, p. 328 ; ATF 124 III 297, consid. 6 a) = JdT 1999 I 268, p. 274 ; ATF 121 III 350, consid. 6 c) ; ATF 120 II 331, consid. 5 a) = JdT 1995 I 359, p. 363. 

115 Loser, NN 971 et 981.

116 Canaris, pp. 364 ss et 369.

117 ATF 133 III 449, consid. 4.1 = JdT 2008 I 325, p. 328.

raisonnablement pas exiger de celle-ci qu’elle renonce à l’affaire, respecti-vement à la relation commerciale” 118.

3. Comportement contraire aux règles de la bonne foi

Enfin, il faut que la confiance suscitée et déçue relève d’un comportement contraire aux règles de la bonne foi 119. Cette condition rattache la respon-sabilité à l’art. 2 al. 1 CC et fait écho à l’interdiction de l’abus de droit 120. Sa-voir si la confiance suscitée est déçue contrairement aux règles de la bonne foi dépend des circonstances du cas d’espèce 121.

4. Autres conditions

En plus des conditions spécifiques, il faudrait également un dommage, un lien de causalité naturelle et adéquate entre le comportement contraire aux règles de bonne foi et le dommage, ainsi qu’une faute 122. C’est au respon-sable de prouver qu’aucune faute ne lui est imputable 123.

Le Tribunal fédéral subordonne la responsabilité fondée sur la confiance à des conditions strictes 124. L’effet juridique de celle-ci est l’obligation de ré-parer le dommage causé par la confiance créée et déçue contrairement aux règles de la bonne foi 125. En principe, il s’agit de la réparation du dommage négatif 126. Contre l’avis de nombreux auteurs en doctrine 127, le TF considère que les prétentions fondées sur la responsabilité fondée sur la confiance se prescrivent selon l’art. 60 CO 128. La responsabilité des auxiliaires quant à elle est soumise aux conditions de l’art. 101 CO 129.

118 Ibidem.

119 CR CO-Thevenoz, Intro. art. 97-109, N 22g.

120 Idem, N 22g. 

121 Gauch / Schluep / Schmid, N 982 h.

122 Idem, N 982 j.

123 Emmenegger, p. 538.

124 ATF 142 III 84, consid. 3.3 ; ATF 133 III 449, consid. 4.1 = JdT 2008 I 325, p. 328.

125 CR CO-Thevenoz, Intro. art. 97-109, N 22i.

126 Gauch / Schluep / Schmid, N 982 ; Steinauer / Bieri (Le titre préliminaire), N 548.

127 Moser, pp. 117 ss ; CHK OR-Furrer/Wey, Art. 97-98, N 14.

128 ATF 134 III 390, consid. 4.3.3 = JdT 2010 I 143, p. 151.

129 Gauch / Schluep / Schmid, N 982 k ; CHK OR-Furrer/Rey, Art. 97-98, N 14.

C. Invocabilité par l’ayant droit économique

L’ayant droit économique ne peut pas se prévaloir de la responsabilité fondée sur la confiance lorsque la banque l’identifie et traite des données le concer-nant conformément à la LBA et son dispositif de mise en œuvre. Dans ce cas de figure, aucune des trois conditions cumulatives de la responsabilité fondée sur la confiance n’est remplie.

En premier lieu, il n’y a pas de relation juridique spéciale (Sonderverbin-dung) entre la banque et l’ayant droit économique. Le rapport créé entre la banque et l’ayant droit économique s’apparente à une rencontre fortuite ou non voulue par les parties. En effet, la banque est censée connaître l’ayant droit économique en raison du dispositif anti-blanchiment d’argent. En l’ab-sence de ce dispositif, la banque ne serait pas en mesure d’identifier l’ayant droit économique. Dans une relation bancaire, les rapports qu’entretient le client avec un tiers – soit-il l’ayant droit économique de la relation – sont considérés comme “res inter alios acta”. En plus, les formulaires A, K, S et T – contenant des données relatives à l’ayant droit économique – ne sont pas signés par ce dernier, mais par le cocontractant de la banque.

En deuxième lieu, le traitement des données de l’ayant droit économique par la banque, ne crée pas d’expectative selon laquelle la banque l’informerait ou le mettrait en garde lorsqu’elle estime que le cocontractant viole les rapports internes. Les données de l’ayant droit économique ne sont traitées que dans le but de se conformer au dispositif anti-blanchiment. La banque, en collectant ces données, ne donne aucun indice qu’elle renseignerait et mettrait en garde l’ayant droit économique suivant les instructions du cocontractant. En effet, l’ayant droit économique, en choisissant de ne pas être partie contractuelle, s’efforce d’éviter un lien juridique direct avec la banque.

Enfin, puisqu’il n’y a pas de confiance suscitée, la banque n’adopte pas un comportement contraire aux règles de la bonne foi en n’informant pas l’ayant droit économique des abus du cocontractant.

Toutefois, nous avons souligné 130 que la banque noue souvent en pra-tique des contacts avec l’ayant droit économique et ce en dépit de l’absence de tout lien contractuel et de pouvoir de représentation.

Ces contacts créent une relation particulière (Sonderverbindung) entre la banque et l’ayant droit économique. Cette relation est créée par le

com-130 Voir supra chapitre 3 / II / B, pp. 85 ss.

portement de la banque consistant à rendre des comptes à l’ayant droit économique ; à l’informer sur les risques de placement ; à le conseiller sur l’opportunité des placements ; à suivre ses instructions ; à lui envoyer la correspondance bancaire etc. Les indices susmentionnés doivent être exa-minés à la lumière des circonstances du cas d’espèce, de sorte que même un seul indice peut devenir suffisant pour nouer une relation particulière.

Le comportement de la banque peut créer une attente de la part de l’ayant droit économique que la banque doive le mettre en garde également lorsqu’elle suspecte un abus de la part du cocontractant. En effet, il est légitime de considérer que – puisque la banque envoie la correspondance bancaire à l’ayant droit économique, lui rend des comptes et le conseille pour chaque placement – elle devrait également l’informer en cas d’indice d’abus de la part du cocontractant.

Au vu de la jurisprudence précitée 131, une telle expectative est digne de protection seulement si la conclusion d’un contrat n’est pas possible en raison des rapports de force existants et que, dans le même temps, une renonciation à l’affaire ne pourrait pas être raisonnablement exigée de l’ayant droit économique 132. En l’espèce, la conclusion d’un contrat entre la banque et l’ayant droit économique était possible, de sorte que la banque aurait été prête à avoir l’ayant droit économique comme son cocontractant.

Or l’ayant droit économique s’est abstenu de conclure un contrat avec la banque, considérant qu’un tel choix répondait au mieux à ses exigences.

Au contraire, il a préféré confier la qualité de cocontractant à une autre personne physique ou morale.

On peut envisager en pratique des cas dans lesquels la conclusion d’un contrat entre la banque et l’ayant droit économique n’est pas possible.

L’ayant droit économique provient par exemple d’un pays où il se sent me-nacé et veut en conséquence bénéficier de la plus grande discrétion. Même dans ces circonstances extraordinaires, l’ayant droit économique n’est pas protégé par la théorie de la responsabilité fondée sur la confiance. En effet, l’absence d’un lien contractuel ne provient pas en raison de l’existence d’un rapport de force entre la banque et l’ayant droit économique, mais suite à un choix de discrétion de l’ayant droit économique.

Il s’ensuit que la confiance de l’ayant droit économique ne mérite pas d’être protégée. L’institution juridique de la responsabilité fondée sur la

131 ATF 133 III 449, consid. 4.1 = JdT 2008 I 325, p. 328.

132 Ibidem.

confiance n’entre dès lors pas en ligne de compte et ce malgré l’existence d’une relation particulière entre la banque et l’ayant droit économique.