III. Analyses transversales
4. Les représentations de la mixité : de l’évolution des mentalités Le retour sur des sites où nous observons la mixité depuis une quinzaine d’années nous a permis de
constater une évolution significative des représentations. Peut-on aller jusqu’à parler de « banalisation » ou de « normalisation » de la mixité ? Sans doute pas. Mais en tout état de cause, on ressent globalement moins de résistances à l’évocation de cette question et, tout à fait concrètement, la mixité a été entérinée sur un certain nombre de postes où elle ne pose plus aucune remise en cause, les choses semblant « aller de soi ».
Une évolution tout en nuances
On se trouve donc dans un contexte globalement plus favorable. Mais le constat de cet état d’esprit, où la mixité aurait acquis aujourd’hui un statut plus « naturel » qu’au moment de sa mise en œuvre dans l’entreprise, doit cependant être nuancé. Ce que nous appelons les mentalités ou les représentations collectives des rôles, des compétences voire des qualités différenciées des hommes et des femmes et, par conséquent, des postes et métiers qu’ils sont à même à occuper, se retrouve de manière assez proche chez les différentes catégories de personnels (hommes et femmes, responsables et opérateurs). Et il reste rare d’entendre des femmes occupant des postes exclusivement féminins et opérant sous la responsabilité exclusive d’hommes, se plaindre ou dénoncer une telle manière d’organiser la division du travail.
La mise en exergue des « qualités naturelles »
Si la quasi totalité des responsables d’entreprise ne disent pas ouvertement qu’ils font une différence entre les capacités féminines et masculines, précisant que ce qui les intéresse, c’est « avant tout les
compétences de l’individu bien avant son sexe », cette « indifférenciation » ne se répercute pas
entièrement sur la gestion des recrutements ou sur la répartition des tâches et des postes de travail entre les hommes et les femmes : on “laisse faire”, auquel cas et d’une manière spontanée les femmes se trouvent maintenues à distance des postes masculins et exclues des postes à responsabilité, ou l’on intervient pour faire de la “discrimination positive”. Et ce sont les mêmes qui déclarent ne pas s’intéresser au sexe du candidat à recruter qui, affirment que « à qualité égale, je mets une femme ». C’est dire que l’accès des femmes à des postes habituellement masculins ne se fait toujours pas d’une manière spontanée et met plutôt en exergue les différences de capacités et de compétences entre les hommes et les femmes. Des “qualités” sont attribuées aux femmes, d’autres aux hommes. Cette directrice d’usine déclare : « Il y a des “qualités” proprement féminines. Telle que l’écoute, le sens du
client, clarté, exemplarité, courage, constance… Les femmes vont au bout de leur projet… Les hommes, eux, les mauvaises anticipations… » Autres spécificités féminines : « Les femmes sont aisément polyvalentes, elles sont plus souples que les hommes, ce qui est important en termes de polyvalence interne. » Ou encore « Je préfère avoir des femmes à la production que des hommes, elles sont plus minutieuses. » Aussi, un directeur technique affirme que s’il avait à recruter un cariste, par
exemple, il choisirait un homme plutôt qu’une femme, « l’homme étant plus brusque et moins mou.
Quant au poste de tri, il conviendrait mieux d’y mettre une femme. Elle est plus méticuleuse. »
Des bastions à cultiver
C’est ainsi que subsistent des bastions masculins, des endroits réservés où la présence des femmes n’est pas « souhaitée » : ateliers mécaniques, outillage, réglage, maintenance, logistique dans certaines entreprises, postes de « chefs » dans d’autres… La survivance de quelques terrains réservés, même
s’ils sont de moins en moins nombreux, semble toujours d’une grande importance dans l’ensemble des entreprises rencontrées.
Le masculin et le féminin
Les résistances à la mixité et à l’accès des femmes à des postes masculins émanent a priori des hommes. Mais les femmes y contribuent aussi ! Dans plusieurs entreprises et usines, des femmes acceptent difficilement d’être gérées par des femmes et n’acquiescent pas souvent de les voir à des postes de responsabilités. « Je préfère avoir un homme comme chef », déclare cette ouvrière, « les
femmes seraient plus tordues, moins directes. » Encore, dans une autre usine, « lorsque mon chef était une femme, j’avais l’impression d’être surveillée ! » Ou alors, « les deux chefs-femmes qu’il y avait auparavant traitaient les ouvrières comme moins que rien » ; « les chefs-femmes ont moins de respect pour les autres femmes que les chefs-hommes. »
Les visions communes, les représentations de « l’homme » et de la « femme » conditionnent et interagissent toujours sur l’image que les hommes se font d’eux-mêmes et celle que les femmes se font d’elles-mêmes. Un responsable aimerait encourager les femmes à venir aux postes de vérificatrices mais « je n’ai pas l’impression que beaucoup de conductrices le souhaitent. Elles auraient “peur de se
faire remarquer en passant au-devant de la scène”. » Sans compter, dans d’autres lieux, sur le fait
qu’ « une femme risque dans certains cas d’avoir à affronter les moqueries de ses collègues
masculins. »
Qu’est ce qui fait bouger les mentalités ?
Il est sans conteste plus facile de mettre en place une gestion mixte des postes de travail et surtout de faire accepter cette mixité – aussi bien par les hommes que par les femmes –, lorsqu’elle accompagne le lancement et le démarrage de l’entreprise, comme le rappelle ce directeur des ressources humaines :
« L’entreprise s’est construite avec des femmes sur des “postes traditionnellement masculins”. Depuis cette politique s’est affirmée et a été reprise par les politiques successives de ressources humaines. »
Même si les raisons initiales de ces politiques de mixité n’avaient pas grande chose à voir avec la volonté de voir des femmes occuper des postes habituellement masculins. En effet, dans cette entreprise, souligne le DRH, « c’est parce que l’entreprise a été créée sur le modèle de la mixité, à une
période où la disponibilité en main-d’œuvre masculine était insuffisante, que cette mixité a pu s’ancrer dans les faits et dans les mentalités. ».
L’accès des femmes à des postes traditionnellement masculins a résulté d’une action volontaire d’introduire des femmes sur ce genre de postes, le plus souvent pour des raisons liées au marché du travail (pénurie de main-d’œuvre masculine). Mais le seul volontarisme de la hiérarchie ne serait pas suffisant à faire bouger les états d’esprit, comme le résume un DRH, pragmatique : « Dans une
entreprise, la direction ne peut aller contre la masse ». Mais la mixité étant rarement recherchée en tant
que telle, elle se caractérise le plus souvent par une certaine fragilité, une vulnérabilité aux revirements économiques, hiérarchiques ou simplement aux pressions des collègues. Même une fois installée, la mixité peut n’être pas pérenne : nous avons pu le constater par rapport à un certain nombre de postes où les femmes ont abandonné des expérimentations non couronnées de succès et de satisfaction. Les évolutions technologiques –direction assistée, aides à la manutention, robotisation- ont contribué également à faire évoluer les mentalités dans la mesure où des postes qui étaient lourds, fatigants physiquement, salissants et considérés comme peu féminins sont devenus techniquement possibles pour les femmes : c’est le cas des conductrices de bus, des caristes dans un certain nombre