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Qu’est-ce qui (se) joue dans la construction des parcours de mixisation ? Pour comprendre comment se construisent des parcours de mixité, tentons de commencer par les

III. Analyses transversales

2. Vers la Mixité : Parcours de Formation et d’Emploi

2.1. Qu’est-ce qui (se) joue dans la construction des parcours de mixisation ? Pour comprendre comment se construisent des parcours de mixité, tentons de commencer par les

éléments les moins matériels, les moins directement observables. Ce qui peut se comprendre à travers les entretiens croisés des salariées et de leurs supérieurs est ce qui relève d’abord de l’infinie diversité des éléments qui composent l’entrée dans un cheminement qui doit autant à l’intime et son extériorisation, aux représentations et leur enracinement dans des milieux, des appartenances. Ce sont également les « bonnes raisons » qu’on se donne pour ne pas avoir l’air de se soumettre simplement aux contraintes de l’existence. Trois champs distincts mais articulés sont identifiables ; ils concourent à déterminer les comportements menant à la mixité des emplois.

La motivation

Quel est ce désir qui peut les pousser à dépasser une position naturelle ou quelle force semble les maintenir à leur place ? Sans doute l’élément qui se reproche le plus de la subjectivité conçue plutôt comme singularité en train de se construire (même si celle-ci est finalement généralisable). Il faut « beaucoup de volonté » pour accéder et se maintenir à un poste masculin, alors que le milieu de travail résiste, que le milieu familial ne le comprend pas toujours très bien ; de quelle nature est cette « volonté », sur quoi elle s’appuie, pour quelle espérance ?

Pour beaucoup d’entre elles, il s’agit d’abord d’accepter de faire « un travail d’homme », non qualifié, avant de pouvoir envisager d’atteindre une formation et l’emploi qualifié qui va avec…

Alors que dans tel poste, il n’y a pas de possibilité de progresser, cette ouvrière ne « désire pas

vraiment évoluer dans l’entreprise », une question d’horaires de travail et de refus de trop d’autonomie,

semble-t-il. Cela serait lié à des « profils moins ambitieux » chez les femmes, « moins sensibilisées à la

promotion » dans une entreprise où le partage des emplois entre genres s’est en quelque sorte

banalisée (Transcom).

Celle-ci par contre n’hésite pas à viser une formation diplômante (CAP régleuse), non seulement parce qu’elle est soutenue par sa direction, mais parce que, veuve précocement mère de 3 enfants, elle a « pris l’habitude de bidouiller dans les machines »

L’autorité

Quelles autorisations et quels interdits les personnes concernées se donnent-elles et semblent repérer dans leur milieu de vie et de travail ? Nous sommes ici plutôt du côté des appartenances et des positions sociales en tant qu’elles définissent certaines représentations, certaines croyances et évidences ; souvent, c’est ce qu’il s’agit de mettre en question pour faire avancer la mixité professionnelle.

Il y a celle, par exemple, qui accepte sa situation avec un certain fatalisme (une aide-régleuse « diplômée ») et celle qui n’en finit pas de revendiquer davantage (plus une reconnaissance et un temps de travail qu’elle maîtriserait davantage), parce qu’elle sait qu’elle y a droit (mais elle a un BTS)

Par contre, il y a celles qui bravent les représentations opposées et les attitudes conservatrices pour oser accepter des postes « d’hommes », pour oser se lancer dans des formations techniques, n’ont pas seulement de bonnes raisons de le faire (se protéger du chômage, augmenter ses ressources…). Cela suppose parfois de se trouver dans des « bastions masculins » (des métiers particuliers. Ex : les « vérificateurs » dans le bus, sont apparemment particulièrement « machistes » (le contrôle et le rappel de la loi ne sont-ils pas des attributs profondément masculins ?…).

Il y a pourtant celle qui ne veut pas accéder à un poste de responsabilité, qui éprouve des difficultés à assumer une fonction d’encadrement, voire qui demande à réintégrer son poste d’opératrice après avoir goûté au pouvoir. « Je n’ai pas le caractère assez fort pour être responsable. C’est difficile de donner un

ordre aux femmes, surtout que j’avais travaillé avec elles avant. Un responsable doit avoir du pouvoir, de l’autorité et savoir s’imposer dans son équipe. Il n’y a plus de copinage possible et j’ai été mise à l’écart. Je n’ai pas été soutenue par les autres agents de maîtrise, surtout un qui faisait ce qu’il voulait. Au début il m’a donné des conseils et j’ai été naïve, je n’ai pas su m’imposer. C’était mon chef avant. J’ai dû me débrouiller toute seule (…) Chacun pense à soi ».

Pour les directions, il semble bien que la volonté de promouvoir les femmes ne relève pas seulement d’un calcul (« si on ne fait rien pour elles, dans 5 ans, on ne pourra que les licencier »…) ; il y a quelque chose d’autre qui intervient . Quelque chose qui voudrait leur signaler la légitimité de leur désir de promotion, de mobilité, de qualification.

La rationalité…

ou comment se faire une raison pour tenter de mieux se retrouver dans le réseau de contraintes de la vie quotidienne au travail ou ailleurs, pour exiger davantage ou accepter sa situation. En somme, c’est

l’économie de l’activité des personnes. Une logique d’adaptation à des contraintes, le plus souvent, qui

ne porte pas en elle-même des changements sociaux.

Le bon niveau de salaire. Le travail de nuit paraît s’imposer parce qu’il permet d’améliorer l’ordinaire,

peu rémunéré. De même les promotions sont attendues pour les ressources supplémentaires, même si le coût psychologique de cette promotion peut faire hésiter certaines d’entre elles. En somme, une certaine ambiguïté plane, chez cette titulaire d’un BEP secrétariat devenue responsable de l’approvisionnement, notamment : « je pense que les femmes ne sont pas vraiment intéressées par les

métiers d’hommes ; c’est plus une question de salaire qui joue, que d’intérêt pour le travail ».

La bonne organisation du temps de travail : 2x8, c’est bien ou c’est pas bien ? Avec des enfants jeunes et seule pour s’en occuper, ce n’est pas pratique. Telle apprécie les horaires du matin (elle n’a plus d’enfant à la maison), une autre les verrait un peu décalés dans la journée, plus tard (elle a des enfants à charge).

Les 5x8, et dans une moindre mesure les 4x8, semblent plutôt appréciés alors qu’ils sont fortement destructurants et pour la physiologie, et pour les temps sociaux. Apparemment, ils permettent davantage de s’organiser, pour les enfants notamment. Ils constituent aussi l’occasion d’une maîtrise, même un peu illusoire, de ses temps, de l’organisation de son temps.

Une femme devenue conductrice de machine et devenue adjointe au chef de ligne (avant de redevenir conductrice…parce que ce niveau hiérarchique a été supprimé) : elle note qu’elle est « grande (même

très), assez puissante et ne rechigne pas à faire des tâches assez physiques (manutention) ». Quand

on lui a proposé d’être adjointe « l’attrait du salaire plus élevé (en 3x8 avec heures supplémentaires) a

été déterminant mais il a fallu beaucoup de volonté (…) c’était dur au début ». « Pour le 3x8, on s’arrange toujours ». De même ne refuse-t-elle « jamais » les heures supplémentaires : « on a construit »…, une contrainte durable.

Le jeu des trois composantes de la féminisation

Pour que la féminisation se réalise, autrement que comme l’effet fortuit voire régressif d’une évolution nécessitée par le marché, il faut que ces trois éléments fonctionnent simultanément, pour les femmes concernées et pour les responsables hiérarchiques dans l’entreprise. Nous avons réuni ces trois éléments pour tracer schématiquement les composantes du parcours de deux salariées dans une même entreprise (cf. tableau, ci-dessous). À chaque élément intervenant pour la salariée, correspond un élément important pour la direction de cette entreprise de matériel électrique.

Tableau : Les composantes de la mixisation “réussie“

Facteurs de dynamisation Les salariées

La motivation (le sujet et son

engage-ment dans l’activité)

L’autorité (l’appartenance et la

position sociale)

La rationalité (les contraintes et nos

“bonnes raisons“) Mme D, opératrice

régleuse, BEP La capacité à« rebondir » malgré les épreuves3 / le désir personnel d’une dirigeante de

promouvoir les femmes chez la direction

Le veuvage et « l’habitude de bidouiller » / l’engagement de la direction dans cette promotion

La volonté de garantir et accroître ses ressources / la gestion

prévisionnelle des emplois par la direction

Mme R., technicienne

maintenance, bac pro Le souci de progresserprofessionnellement / le désir personnel de promouvoir les femmes

L’acceptation d’un emploi qui met ses capacités à l’épreuve / l’affectation volontariste sur des « postes d’homme » (régleur) La volonté de conforter sa place dans l’entreprise (emploi et salaire) / la recon-naissance des qualifications en fonction des diplômes Mme M. soudeuse, animatrice d’équipe, CAP coiffure par apprentissage

Le souci de vaincre ses réticences à diriger une équipe / le besoin de mobiliser davantage les ressources humaines

Une identité féminine un peu « masculine » et l’acceptation de sa “conversion“ / la volonté de répondre à la pénurie de main d’œuvre par la mixité

La volonté de

s’appliquer à sa tâche et d’être efficace / le projet de qualifier davantage le personnel ouvrier

Mme W., responsable approvisionnement (service logistique), BEP secrétariat

Le désir de changer souvent d’activités / une entreprise au sein de laquelle « on peut évoluer »

La conviction que les métiers ont un genre / l’accompagnement de la mobilité par des

formations

La recherche d’une grande mobilité d’emploi et de niveau dans l’entreprise / la recon-naissance d’une diversité de compétences

Lecture : Ce tableau tente de présenter de façon synthétique les éléments qui entrent dans la construction de parcours « réussis », i.e. ayant abouti à l’accès à des postes “masculins“. Chaque case articule l’élément qui tient à la salariée et celui des directions d’entreprise. La mixisation des emplois “masculins“ est présentée comme l’effet de rencontres, plus ou moins fortuites, entre deux volontés, deux projets, deux positions ou attitudes.