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3°) Le repli nord-américain de l' « ère du Nationalisme » mais la conférence de Washington

Dans le document Relations Est-Ouest, 1917-1991 (Les) (Page 50-53)

Le repli est célèbre, mais à nuancer car il se manifeste en fait par un grand opportunisme. La principale nuance est la conférence de Washington (1921-1922).

La conférence de Washington (1921-1922) est la première grande conférence internationale des années vingt. Pour le Japon, il s’agissait de se réinsérer dans le « concert des nations » : c’est la politique au « profil bas » du premier ministre Shidehara Kijûrô (cf. le nom donné par avance au règne, 1926-1989, de Hirohito, l'ère Shôwa, c’est-à-dire de la paix, voir plus haut). À cette conférence, le Japon se rallie au principe de la « porte ouverte » en Chine, en signant le traité dit « des 9 » (puissances) sur la Chine, qui met fin au Break up of China et maintient l'indépendance et l'intégrité territoriale de la Chine (Japon, États-Unis, Grande-Bretagne, France, Chine, Belgique, Pays-Bas, Portugal, Italie). Le traité « des 5 » porte sur le désarmement naval. Pendant dix ans, la construction des cuirassés fut suspendue. Pour les autres gros navires, un système de quotas fut établi : États-Unis (5) 37, Grande-Bretagne (5), Japon (3), France (1,75) 38, Italie (1,75). Plus exactement, le tonnage maximum en navires de ligne est fixé à 525 000 tonnes pour les États-Unis 39 et la Grande-Bretagne, 315 000 tonnes pour le Japon (qui a l'avantage de pouvoir concentrer toute sa puissance navale dans le Pacifique), 175 000 tonnes pour la France et l'Italie. Le Japon se résigne à ne pas demander la parité avec les États-Unis, en échange de la promesse par ceux-ci de ne pas fortifier leurs îles dans le Pacifique. Le traité « des 4 » porte sur cet océan : États-Unis, Japon, Grande-Bretagne et France s'engagent à maintenir le statu quo dans le Pacifique. De surcroît, la Grande-Bretagne, poussée par les États-Unis et les

dominions, renonce à l'alliance anglo-nipponne de 1902, qui avait été renouvelée pour un an en 1920.

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Les États-Unis sont depuis longtemps très influencés par la pensée de l’amiral Alfred Mahan

(1840-1914, le Sea Power), mais la pensée navale de l’entre-deux-guerres tend à considérer, à

la lumière de l’expérience de la Première Guerre mondiale, qui a vu la mise entre parenthèses

des flottes de bataille concentrées chères à Mahan, que le XXe siècle voit l’avènement des

puissances terrestres et continentales. La pensée stratégique navale ne sera dynamisée à

nouveau que par l’œuvre de l’amiral français Raoul Castex (1878-1962), publiée à partir de

1929.

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Briand espérait, par cette concession, ramener les États-Unis aux côtés de la France. En

vain…

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Pour comparaison, en 1911 leur niveau était de 773 000 tonnes (troisième flotte du monde,

derrière la Grande-Bretagne et l’Allemagne).

Les causes du repli américain étaient la victoire des républicains (les secrétaires d'État furent Charles Evans Hughes de 1921 à 1925, puis Frank B.Kellogg de 1925 à 1929 40), les déceptions nées de la Conférence de la Paix (voir plus haut), la révolution d'Octobre (et les idées bolcheviques qui gagnaient le reste de l'Europe) et enfin les réticences des anciens « associés » à payer leurs dettes de guerre. Le programme du président Warren Gamaliel Harding (très opportuniste, en réalité) était America First et Back to Normalcy. Ce fut la victoire d'une vague d'américanisme submergeant les États-Unis, les mots-clefs étant nationalisme (en fait l’idée de la supériorité du pays), et non-entanglement (non-intervention), en référence à Washington. Car c'était une vieille tradition, qui n'avait jamais exclu les alliances, qui n'avait jamais été l'isolement, et qui s'était accompagnée de l'idée de l' « hémisphère américain ».

Le rôle économique et financier des États-Unis fut très important. Comme dit Hughes, « la prospérité des États-Unis dépend largement des arrangements économiques qui peuvent être faits en Europe ». Non seulement les États-Unis étaient redevenus

créanciers (10 milliards de dollars, 4,2 vis-à-vis de la Grande-Bretagne, 3,4 pour la France) à cause de la guerre, mais ils participèrent largement au problème du règlement des

réparations allemandes (cf. les plans Dawes, 1924, et Young, 1929), se prononçant constamment pour un adoucissement des réparations, car ils avaient besoin de tous les marchés européens, donc de l'allemand. De plus, ils jouèrent un rôle de premier plan dans l'économie de l'Allemagne de Weimar et lui fournirent des prêts et des investissements très importants, ce qui amena les États-Unis à défendre les positions allemandes contre la France. Les États-Unis prêtèrent à court terme à de nombreux pays étrangers, après que les débiteurs des dettes de guerre eurent accepté un plan de paiement des dettes (cas de la Grande-Bretagne en janvier 1923, de la France en 1926 : accords Mellon-Bérenger, ratifiés seulement en 1929, voir plus loin). Les États-Unis refusèrent d'investir ou de prêter des dollars dans des pays qui n'avaient pas accepté un plan de paiement des dettes. Dans l'ensemble, présidents, Congrès et opinion furent inflexibles. L'Amérique eut une politique de soutien des monnaies européennes, le franc en 1924, la livre en 1931, le but étant de rendre solvable le client européen. Au total, il s'établit un réseau de courants financiers, des

prêteurs américains aux banques, puis aux Allemands, qui payèrent les réparations à la France et à la Grande-Bretagne, lesquelles remboursèrent les dettes de guerre au Trésor américain ! Les banques américaines, attirées par des perspectives de gains rapides et substantiels, comportant un minimum de risques, développèrent une extraordinaire technique de placements, suscitant même à l'étranger des demandes inconsidérées,

suggérant par tous les moyens aux gouvernements, aux municipalités, aux services publics, de recourir à des emprunts. Ainsi, un hameau bavarois qui désirait emprunter 125 000 $ fut

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Self-made man, il acheva sa carrière comme juge à la Cour permanente de Justice de La Haye

(1930-1935).

convaincu qu'un emprunt de 3 millions de $ lui serait nécessaire ! Les États-Unis jouèrent donc un rôle primordial dans cette réinsertion de l’Allemagne dans le concert des nations. L’Europe absorba pendant les années 1920 plus de 50 % des exportations des États-Unis, qui ne s’isolaient donc pas ! Le tarif commercial nord-américain Fordney-McCumber (1922) éleva les droits du tarif démocrate précédent (en moyenne de 21 %) à 38 % (en moyenne). L’immigration est un aspect très important de ce repli. Les théories racistes se banalisent au début du XXe siècle aux États-Unis, au point d’être presque universellement acceptées. Elles ont leurs propagandistes, comme Madison Grant (La fin de la Grande race, 1916, réédité pendant toute la décennie). Elles dominent les Universités ; les

« eugénistes », partisans d’une élimination physique des êtres « inférieurs », sont parfaitement admis parmi les psychologues, les anthropologues et les sociologues ; les « eugénistes » feront des ravages jusque dans les années 60 dans tous les hôpitaux psychiatriques du pays (lobotomies, castrations, électrochocs, etc.). Les théories racistes justifient aussi la limitation de l’immigration, atteignant un record mondial, qui ne sera battu que par l’Allemagne nazie. Le National Quota Act de 1921 autorise chaque année pour chaque pays l’entrée d’un quota d’immigrants égal à 3 % du nombre des ressortissants de ce pays déjà présents aux États-Unis en 1910. Le National Origins Act de 1924 abaisse ce pourcentage à 2 % et l’année de référence est ramenée à 1890, tout simplement parce que très peu de « Méditerranéens » d’Europe du Sud et autres « Slaves » d’Europe de l’Est (ces catégories sont officielles depuis les recensements des années 1870) étaient alors entrés sur le territoire américain. Canadiens et Mexicains sont exclus des quotas. Peur du ghetto, du bolchevisme, de la « petite Pologne », etc. Mais la mise en œuvre de la nouvelle politique d’immigration fut longue et difficile, car l’administration n’était pas préparée à cette tâche, si bien que le nouveau régime d’immigration ne fonctionna qu’à partir de 1930 : les États-Unis ne purent donc s’ouvrir à l’afflux des victimes du nazisme, du communisme et du fascisme, accueillant Einstein, refusé par le Collège de France, à

Princeton, mais non les masses ! D’autre part l’interdiction d’immigrer faite aux Chinois en 1882 s’étend à tous les Asiatiques en 1924, au grand dam des Japonais (voir plus haut). L’exécution en 1927 de Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti (voir plus haut) s’inscrit dans ce climat. À l’élection présidentielle de 1928, Herbert Hoover est le candidat des classes moyennes protestantes, Al Smith (un vieux briscard catholique) celui des immigrés

catholiques.

Un cas particulier du repli américain fut la conférence de Washington (voir plus haut). Le secrétaire d'État Charles Evans Hughes 41, avec habileté, profita de la situation

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Juge à la Cour suprême, Hughes avait été désigné comme secrétaire d’État par le président

Harding le 10 décembre 1920. Conservant son poste sous Calvin Coolidge, il devait

démissionner en 1925. Jusqu’à cette date, il tient en mains les rênes de la politique étrangère

américaine avec compétence et talent, au point que les historiens ont parlé d’ « ère Hughes ».

C’est lui qui négocia la paix avec l’Allemagne, insista pour envoyer des « observateurs »

solide des États-Unis, banquiers du monde, pour résoudre à l'avantage de son pays certains problèmes pendants. Il convoqua à Washington, en novembre 1921, une conférence

internationale sur le désarmement naval et l'Extrême-Orient, qui aboutit à plusieurs traités après avoir duré jusqu’en février 1922. Pressé par l'opinion publique, lasse des gros budgets navals, Hughes préférait un accord sur le désarmement à une course aux armements que les États-Unis étaient en mesure de gagner. La conférence de Washington est une preuve de l’activité mondiale des États-Unis, pour atteindre des buts résolument américains.

Finalement, l'ère républicaine fut essentiellement opportuniste en politique

extérieure : rien de comparable à l'attitude de Wilson, lequel avait su se forger un système de pensée cohérent, une doctrine, la New Diplomacy ; le « retour à la normale » , c'est ici… l'absence de doctrine ! La fondation du FBI (Federal Bureau of Investigation) fut elle aussi très opportuniste. Il fut créé en 1924 dans le contexte d’une vague de criminalité ; il dépend du Ministère de la Justice ; ses buts sont la recherche des criminels et le maintien de la sécurité à l'intérieur des États-Unis. Ce fut longtemps un petit service, mais qui accrut petit à petit ses effectifs et ses compétences. Surtout, en 1939 il se verra confier la lutte contre l’espionnage 42 et la subversion ; l’action politique passera alors au premier plan (chasse aux communistes, à la New Left, espionnage de la classe politique, des écrivains — Sinclair Lewis, dont le dossier note comme élément subversif son soutien à la candidature Roosevelt en 1944 !, Pearl Buck, John Steinbeck, qui était un des rares à se savoir surveillé —, idem à l'étranger…). Le FBI fut dirigé de 1924 à sa mort (1972) par John Edgar Hoover (1895-1972), ultra-conservateur, anticommuniste viscéral (et il aura des liens avec le

maccarthysme), raciste, ulcéré par la création sous Truman de la CIA. Ajoutons que c’était un homosexuel défendant ouvertement l'orthodoxie et la morale traditionnelles, mais la mafia le « tenait » grâce à cela !

Dans le document Relations Est-Ouest, 1917-1991 (Les) (Page 50-53)