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c) La naissance du Komintern (1919-1920) 27

Dans le document Relations Est-Ouest, 1917-1991 (Les) (Page 30-33)

Au lendemain de la guerre mondiale, la situation semble propice au

développement de l'offensive révolutionnaire. Économiquement, l'Europe sort de la

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Karl Sobelsohn de son vrai nom (1885-1939 ?). Il avait participé aux négociations de

Brest-Litovsk, avait été envoyé en Allemagne où il contribua à l’organisation du parti communiste et

assista à l’insurrection spartakiste. Arrêté à Berlin en février 1919, il avait fait pendant ses onze

mois de prison figure de représentant officieux du gouvernement bolchevik.

27 Les archives du Komintern sont, bien entendu, à Moscou, mais une copie est au Conseil de l’Europe, à Strasbourg.

guerre ruinée, endettée, en proie à l'inflation. L'effondrement de la production a entraîné une pénurie et un renchérissement des produits de consommation. Socialement, le conflit a aggravé certaines inégalités ou en a créé de nouvelles, tandis qu'un puissant brassage s'opérait dans les tranchées, favorisant les aspirations égalitaires des masses.

Psychologiquement, la guerre a suscité une hostilité très vive pour les forces de conservation (dynasties, haute bourgeoisie, élites traditionnelles, armée), jugées

responsables du massacre, et un climat d'exaltation héroïque favorable à l'épanouissement des mystiques révolutionnaires. La première phase — les années d'après guerre — est donc caractérisée par la conviction que le capitalisme est entré en agonie et que la révolution prolétarienne va s'étendre. Mais, bientôt l'échec des révolutionnaires en Allemagne et en Hongrie (où le pouvoir communiste tient 133 jours) conduit à une politique de « Front unique » avec les socialistes. En même temps s'accentue l'appui accordé aux mouvements nationaux des peuples colonisés. Ceux-ci sont en effet des victimes de l'oppression et leur combat, qui affaiblit l'impérialisme, en fait des alliés du mouvement révolutionnaire. L'Internationale suscite le développement de partis communistes dans ces pays et soutient les mouvements nationaux même s'ils ne sont pas dirigés par des

communistes, ce qui est généralement le cas (cf. l'exemple de la Chine).

Quelle a été la formation de la nouvelle Internationale ? La guerre a consacré la faillite de la IIe Internationale (1889-1914) 28. Elle a également réveillé, au sein des partis socialistes, l'opposition entre adversaires et partisans d'une révolution immédiate, suivie de la dictature du prolétariat. Ce sont des représentants de cette seconde tendance,

appartenant à la « gauche zimmerwaldienne » (fraction du socialisme européen ayant opté pour une stratégie révolutionnaire lors de la conférence réunie en septembre 1915 à

Zimmerwald, en Suisse), qui, répondant à l'appel des dirigeants bolcheviks, se réunissent à Moscou en mars 1919. Il n'est pas certain qu'ils aient eu, au départ, l'intention de fonder immédiatement une nouvelle Internationale. Lénine et Trotski étaient eux-mêmes très hésitants, car ils étaient mal renseignés sur le rapport des forces dans les pays en proie à des troubles révolutionnaires. Néanmoins, après trois jours de débats, la décision est prise. Menacés par les armées blanches et par l'intervention des puissances capitalistes,

persuadés d'autre part que la révolution se prépare à embraser l'ensemble du vieux continent, les Bolcheviks optent pour une « stratégie à court terme », fondée sur l'idée offensive de la révolution mondiale et s'appuyant sur de petits noyaux de militants prêts à engager l'action contre les « ennemis de classe » de la Russie des soviets et du prolétariat mondial. Les bolcheviks ne conçoivent pas que leur mouvement puisse rester isolé : par principe internationaliste — la solidarité des opprimés s'exerce sans frontières — ; par

28 Cf. la contribution de J.-J. Becker, "La IIe Internationale et la guerre", pp. 9-25 de Les Internationales et le

problème de la guerre au XXe siècle, École française de Rome-Université de Milan, 1987, 371 p., actes d'un

réalisme — le socialisme ne peut triompher dans un seul pays — , il doit être international. À cela, deux conditions : une situation révolutionnaire (elle existe effectivement en Europe, surtout en Allemagne) ; une force politique capable de prendre la direction du mouvement révolutionnaire pour le faire aboutir. Cette force ne peut être qu'un parti de type bolchevique, un parti communiste, discipliné, centralisé, attaché aux principes fondamentaux du marxisme enrichi par Lénine. Les communistes doivent partout rompre avec les vieux partis socialistes, qui ont trahi la révolution en s'associant à la guerre, et qui trompent les ouvriers en

prétendant parvenir au socialisme par une série de réformes du capitalisme (réformisme). Telle est la stratégie de Lénine, reprise par les militants qui fondent à Moscou (mars 1919) l'Internationale communiste ou Komintern, acronyme russe (la IIe

Internationale, fondée en 1889, continue à rassembler les partis socialistes réformistes). Cette fondation marque le retour à l'action idéologique, à cause du contexte (agitation révolutionnaire en Allemagne et Hongrie…).

Congrès de fondation de l'IC (Komintern) 6-9 mars 1919 : élection d'un exécutif, qui marque prédominance des Russes, des Ukrainiens, des Lettons

* retour à l'action idéologique, à cause du contexte (agitation rév. Allemagne et Hongrie…) * IIIe Internat., dirigée par Zinoviev

d) L’organisation

Chargé de préparer la révolution dans tous les pays, le Komintern se trouve étroitement lié aux dirigeants soviétiques. Au Congrès de fondation avait été élu un exécutif, qui marque la prédominance des Russes, des Ukrainiens, des Lettons, le président étant le Russe Grégoire Zinoviev (pseudonyme de Grigori Ievseïevitch Radomylski, né en 1883). Les partis communistes, qui vont se développer un peu partout, devront tenir compte dans leur propre stratégie des intérêts de la Russie, devenue « patrie des prolétaires », et ce fait pèsera lourdement sur l'évolution du mouvement ouvrier. C'est ce qu'avait prévu Rosa Luxemburg lorsque, s'opposant à Lénine, elle s'était déclarée hostile à la création « à chaud » d'une nouvelle Internationale.

À la réunion constitutive de l'Internationale communiste (mars 1919) sont représentés, outre les dirigeants bolcheviks, nombre de militants étrangers exilés en Russie depuis 1917, et seulement quelques représentants des partis socialistes d'Europe centrale et occidentale, dûment mandatés par leurs organisations (tel l’Allemand Eberlein). Cette absence de représentativité hypothèque gravement l'avenir de la IIIe Internationale qui demeure cependant jusqu'à la mort de Lénine, et même un peu au-delà, un organisme vivant, largement ouvert à la discussion et fondamentalement différent de ce que deviendra le Komintern à l'époque stalinienne.

Le Comité exécutif, mené par Zinoviev, exerce la direction et contrôle les partis nationaux ; il veille à ce que leurs dirigeants soient de véritables bolcheviks, à ce que les

directives de l'Internationale soit appliquées, chaque parti étant suivi par un responsable clandestin qui assure la liaison avec Moscou, c’est l’ « œil de Moscou » dans les partis communistes étrangers, qui sont incités à devenir des partis de masse, destinés à faire pression sur les états capitalistes. Le Komintern est une énorme machine administrative siégeant à Moscou avec huit bureaux géographiques et des départements par actions (Agit-Prop, Orgburo, presse, etc.), des internationales de la jeunesse, des femmes, des paysans, des syndicats…

Ainsi, l'Internationale peut définir une stratégie unique qui sera appliquée par tous les partis communistes. La guerre est donc vue comme un « accélérateur de l’histoire », un élément essentiel pour hâter la décomposition du régime tsariste, puis faciliter la victoire de Lénine et des bolcheviks. Pour le socialisme, c’est un tournant décisif. Programme

revendicatif ou rêve en 1914, il devient réalité tangible après 1917. L'expérience soviétique est le point d'aspiration pour les prolétaires et les peuples dominés.

Dans le document Relations Est-Ouest, 1917-1991 (Les) (Page 30-33)