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167 En face, ce sont des Sabre

Dans le document Relations Est-Ouest, 1917-1991 (Les) (Page 166-170)

prospérité sans trop forte inflation aux États-Unis (il y a un contrôle assez strict des prix). Les conséquences sont importantes pour les États-Unis : la guerre de Corée domine la vie politique américaine à partir de juin 1950, elle provoque le triomphe du

réarmement, d’où l’abandon des réformes : le coût total serait énorme et l’exécutif a besoin du Congrès ! La politique étrangère américaine s’oriente dans un sens beaucoup plus militaire, le rapprochement avec la Chine communiste est reporté de plus de vingt ans. Les États-Unis signent un traité de paix, de façon précipitée, avec le Japon.

Autres conséquences de politique extérieure américaine : la création d'une armée atlantique intégrée dans le cadre de l’OTAN, et commandée par Eisenhower (cf. cours REW-3), l’approbation du réarmement allemand (la RDA ne va-t-elle pas imiter la Corée du Nord ?), et le soutien financier à la France pour l’Indochine (voir plus haut). Les États-Unis du temps de la guerre de Corée vivaient sous le régime de la loi sur la conscription de 1948 : l’armée américaine était formée de volontaires, complétés par tirage au sort. De 1,4 millions hommes en 1950 elle était passée à 3,6 millions en 1952. Après la guerre de Corée, les États-Unis continueront à entretenir une armée importante et la conscription ne sera abolie que le 30 juin 1973 (par Nixon, cf. cours REW-5). Bien entendu, la guerre de Corée provoque une augmentation des dépenses militaires américaines, jusqu’à 67 % du budget fédéral et 13 % du PNB en 1953-1954.

Conséquences politiques ? Truman a refusé de demander l’autorisation du Congrès pour défendre la Corée du Sud, arguant du droit du Président de défendre la sécurité nationale). Ce faisant, le pas était de géant vers la « présidence impériale » aux États-Unis (formule d’Arthur Schlesinger 168). Toutefois, la guerre de Corée est la

« guerre de M.Truman » aux yeux du Congrès : les difficultés lui sont systématiquement attribuées. Le pays est perturbé par le décalage entre le coût — en dollars et en hommes — de ce conflit meurtrier et la faiblesse des résultats. Ce sont les frustrations d'un conflit limité, d'autant plus que Truman refuse de suivre McArthur, jugé mythomane, ne

connaissant plus guère les États-Unis (il n’y est pas retourné depuis treize ans), et ne rêvant — en forgeant délibérément sa propre légende — que de la présidence des États-Unis, encouragé par une véritable coterie. Bien sûr, le limogeage de McArthur (en avril 1951) nuit à la popularité de Truman.

Autres éléments du bilan : la guerre se termine par le succès du containment, elle a redoublé l’anxiété que les nouvelles responsabilités mondiales des États-Unis, à l'ère nucléaire, avaient engendrées, elle a montré l’incapacité du pays à supporter, sans de profonds déchirements, les tensions internes exacerbées par son engagement dans un conflit massif, mais non vital pour ses intérêts. Ce n'est donc pas un hasard si le sénateur

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1917-2007, homme de gauche (la New Left) conseiller de Kennedy. Formule appliquée à

Nixon et réutilisée sous Bush. Ne pas confondre avec « république impériale », formule de

Raymond Aron (voir plus haut).

MacCarthy tire parti de l'impatience du pays face à la guerre de Corée et de l'hystérie anticommuniste nourrie par la Guerre froide pour amalgamer, sans scrupules, l'idée de trahison au réformisme de ceux qui, depuis le New Deal, ont cherché à transformer la Nation.

Les conséquences diplomatiques globales sont nombreuses. La Chine, qui a su faire basculer le conflit au détriment de la première armée du monde (le « tigre de papier », la formule resservira), sort grandie du conflit, mais voit ses relations durablement

compromises avec les États-Unis et l’ONU, alors que son indépendance est toute récente. L’URSS, restée en retrait, s’impose comme le seul leader du monde communiste, car la Chine, épuisée, s’aligne sur elle : serait-ce le calcul initial de Staline, guère pressé après 1945 de voir les communistes prendre le pouvoir en Chine ? Le prestige de l’URSS est intact et son aviation a acquis une solide avance. Le nouveau régime chinois hérite du vieux désir — apparu au XIXe siècle — de faire de la Chine une puissance « riche et forte » (fuqiang), il va donner à la Chine un « nouvel état-civil » 169, qui, en matière de politique de politique extérieure, signifie un rêve soviétique de la Chine (1949-1954). Paradoxe : un mouvement communiste national développé de façon quasi autonome pendant plusieurs décennies et qui a triomphé sans le secours du « grand frère » soviétique s’intègre rapidement dans la mouvance soviétique et aligne sa politique sur celle de Moscou. Comment l’expliquer ? Par un désir de se servir du « précédent », particulièrement

prestigieux (révolution d’Octobre, victoire de l’URSS dans la Deuxième Guerre mondiale) 170, par le contexte international (cf. Mao en juin 1949 : « La troisième voie n'existe pas ») : il n’y a pas moyen de faire autrement ! Le 26 mars 1953, l’URSS signe avec la Chine un

important accord de coopération s’engageant à lui fournir une aide substantielle pour la mise en œuvre de près de 150 complexes industriels. En conséquence, la Chine retrouve son « assise » continentale, après un siècle d' « ouverture » sur l'outre-mer. La guerre de Corée s'inscrit dans un repli sur les bases continentales chinoises ; elle accroît la

dépendance stratégique et économique de la Chine vis-à-vis de l'URSS (cf. la présence soviétique en Mandchourie). Même chose dans l’ordre de la dépendance diplomatique : condamnée par l'ONU, la Chine est dans un isolement presque total, d'autant plus que la Corée du Nord, grâce à sa politique de bascule entre l’URSS et la Chine, gardera son

indépendance après 1953. De plus, alors que les volontaires chinois affluaient, Kim Il Sung a

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Titre de la première partie de J.-L.Domenach et Ph.Richer, La Chine. 1949-1985, Imprimerie

nationale, 1987, 501 p., réédition sous le titre La Chine et en deux volumes, Seuil, coll.

« Points », 1995, 727 p.

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Symbole liminaire, l’éditorial de La Pravda du 5 décembre 1949, écrit par l'écrivain

A.Fadeïev (« Dans la Chine libre ») : « Le 1er octobre 1949, à 15 heures, le drapeau rouge de

la République populaire chinoise a été solennellement hissé au centre de Pékin, l'ancienne

capitale de la Chine. »

éliminé toute la génération des résistants coréens réfugiés en Chine, qui menaçaient son pouvoir, son mythe et son culte !

La Chine est donc poussée vers l'URSS, tandis qu’est signé (San Francisco, 1er septembre 1951) le Pacte du Pacifique (ANZUS) États-Unis-Australie-Nouvelle-Zélande. Sur le moment, le pacte est dirigé contre le Japon, qui reste l’ennemi majeur au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Et d’ailleurs, les États-Unis pressent la rédaction et la signature d’un traité de paix avec le Japon (une semaine plus tard, à San Francisco aussi, le 8 septembre 1951). Convoquée par les États-Unis, la conférence de San Francisco reflète les profonds désaccords de la communauté internationale. L’Inde, la Chine et l’URSS refusent le traité, finalement signé par 49 pays. Le Japon renonce à des territoires de fait abandonnés depuis 1945 : la Corée, Formose (Taiwan), les îles Pescadores et les Kouriles, la partie Sud de Sakhaline, ses anciens mandats, l’archipel des Ryukyu au sud du 29e parallèle et toutes les îles au sud de l’archipel. Le Japon accède directement du statut de vaincu occupé à celui d’allié des États-Unis, par un pacte de sécurité nippo-américain signé en 1952 ! Si le traité de paix est avantageux pour le Japon (pas de réparations, notamment), le pacte est léonin : nombreuses bases militaires concédées aux États-Unis en

extraterritorialité ; droit pour les États-Unis d’organiser la lutte contre le communisme dans tout l’Extrême-Orient. Enfin, s’il est laissé au Japon le soin de régler ses relations avec la Chine, Washington fait pression sur le gouvernement pour qu’il négocie un traité bilatéral avec Taiwan, ce qui est fait l’année suivante.

Au même moment — d’autant plus que les Chinois envahissent le Tibet en octobre 1950 (voir plus haut), que le Viêt-minh remporte la victoire de Cao Bang aussi en octobre 1950 — les États-Unis changent de position face à la guerre (française) d’Indochine : ils accélèrent les livraisons de matériel militaire. L’endiguement en Asie du Sud-Est est

commun (les États-Unis paieront les 4/5 des dépenses des années 1953 et 1954), puis une véritable substitution s’opérera. Ajoutons la conclusion de l’OTASE (Manille, 9 septembre 1954, SEATO en anglais), avec les trois pays de l’ANZUS, plus la Grande-Bretagne, la France, le Pakistan, les Philippines et la Thaïlande (ex-Siam) 171.

Quant aux conséquences militaires, il faut ajouter, pour terminer, que, pour la première fois de leur histoire, les États-Unis sortent d’une guerre sans l’avoir gagnée ; mais Truman a réussi à garder les autres fronts de la Guerre froide, dont Staline cherchait à l’éloigner ; il a réussi à éviter la mondialisation de la guerre : refus des volontaires chinois que lui propose Jiang Jieshi [prononcez Chiang Kaishek], refus de protester contre la

présence de pilotes russes, refus de réagir contre la propagande communiste partout dans le

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À la différence de l’OTAN, elle ne compte pas de forces armées propres et est

essentiellement un organe consultatif. De plus le pacte ne réussit pas à obtenir le soutien de

pays asiatiques clés comme l’Inde, la Birmanie ou l’Indonésie, tandis que Hong-Kong et

Taiwan, reflétant en cela leur statut ambigu vis-à-vis de la Chine continentale, n’y sont pas

associés.

monde (cf. l’accusation de « guerre bactériologique »). L’essentiel est que les États-Unis concluent à la nécessité d’un intense effort de réarmement, d’autant plus que l’aviation à réaction n’a pas été décisive dans la guerre et que l’arme atomique na pas été employée, mais elle a fait apercevoir d’autres raisonnements (la dissuasion, la crainte d’une Destruction mutuelle assurée, MAD dans le texte d’origine, etc.). Logiquement le budget de la défense américaine double entre 1951 et 1952, les effectifs en Europe passent de 120 000 h en 1950 à 418 000 h en 1955 (sommet historique). Le monde s’engage donc dans une course aux armements ; le réarmement allemand est poussé, d’abord dans le cadre de la CED, puis par l’intégration de la Bundeswehr (voir plus haut) dans l’OTAN. Les États-Unis n’ont donc pu que lancer un appel aux deux grands vaincus de la Deuxième Guerre mondiale, le Japon et l’Allemagne.

Conclusion générale sur la guerre de Corée. Elle a été une étape essentielle dans l’histoire de la Guerre froide, avec l’idée essentielle : personne ne doit gagner sur toute la ligne dans la Guerre froide. Des escarmouches périodiques se sont produites depuis 1953, une sinistre dictature-dynastie s’est consolidée au Nord, très difficile et long a été

l’établissement de la démocratie au Sud, le Nord a pratiqué l’enlèvement de Japonais, il a connu des famines, il a perpétré dès qu’il a pu et jusqu’à nos jours un chantage nucléaire. Une crise particulièrement grave s’est produite en 1983 : un Boeing sud-coréen a été abattu par les Soviétiques le 1er septembre 1983, puis un attentat nord-coréen a eu lieu contre l’entourage du président de l’autre Corée en visite à Rangoon (Birmanie) le 9 octobre. Mais des tentatives de normalisation des relations nord-sud ont été développées, elles étaient même en bonne voie au tout début du XXIe siècle quand la crise liée à la fabrication de l’arme nucléaire par la Corée du Nord a éclaté. Grâce à une très fragile promesse de gel par la Corée du Nord, un accord de réconciliation entre les deux Corées a été signé en octobre 2007, sous la forme d’un traité de paix. Mais depuis la tension a repris, ainsi que le chantage nord-coréen à l’arme nucléaire.

2°) La guerre froide engendre dans le camp oriental une glaciation

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