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Le bien-être sans renoncer au plaisir : le cas Bjorg et le cas Tropicana « Récoltes Bio »

B) La réconciliation : la vision des marques

1. Le bien-être sans renoncer au plaisir : le cas Bjorg et le cas Tropicana « Récoltes Bio »

Nous analyserons d’abord le cas de la marque Bjorg (analyse complète Annexe 3). La totalité des produits de la marque Bjorg sont certifiés biologiques, sauf pour deux produits qui sont impossibles à certifier, dans ces cas ils ont d’autres certifications. Nous étudierons leur bouteille de jus biologique de quatre fruits. Pour le faire, nous partirons de l’idée décrite ci-dessus selon laquelle le bien-être au sens large depuis la perspective Millennial trouve dans son essence certaines tensions, entre autres l’incompatibilité parfois présente entre les notions de plaisir et santé. Nous apercevons dans le packaging de Bjorg plusieurs signifiants qui nous amènent à envisager que les stratèges de la marque cherchent à les réconcilier. Globalement nous observons un packaging inscrit dans l’idée du bien-être au sens large ou au moins compatible en toute dimension avec celui-ci. Nous avons divisé les signifiants observés selon trois ensembles, chacun visant la construction d’un axe différent du bien-être. Il faut dire que nous avons classé ces signifiants, néanmoins en aucune manière ils ne sont exclusifs les unes des autres sur le packaging, au contraire ils se complètent dans la construction de chaque axe.

Nous observons un premier axe autour de la santé physique qui est construit par plusieurs signifiants notamment linguistiques. D’abord, nous avons la mention « riche en vitamine C » en bas de l’étiquette qui rend explicite l’argument santé du produit. Ceci, à partir du réseau associatif du mot « vitamine » qui nous 91

amène à penser à la santé. Le mot « riche » nous laisse en plus penser qu’il s’agit d’une quantité non négligeable de vitamines. À partir de la lecture de ce texte, il n’y a plus de doute, il s’agit d’un aliment qui contribue à la santé, cependant l’aspect santé est signifié encore par plusieurs signifiants. D’abord, une liste des ingrédients qui inclut seulement les trois fruits qui sont reconnus pour avoir une grande quantité de vitamine C : les fruits « Orange, mangue, acérola » sont écrits au milieu de la face avant, alors que la pomme n’est pas mentionnée, pourtant elle est le quatrième fruit qui compose le jus. D’ailleurs la quantité de jus de pomme équivaut au 29% de la totalité et le jus d’acérola seulement au 1%. En effet, pour chaque 100 grammes de chaque fruit la quantité en mg de vitamine C est la suivante : Pomme (4,6 mg), mangue (36,4

Marina Cavassilas, Clés et codes du packaging : Sémiotique appliquée, Paris : Lavoisier, 2007, p,100.

mg), orange (53,2 mg), acérola (1677,6 mg). Ces quantités ne sont pas affichées sur le packaging, mais nous les donnons ici pour rendre plus évidente la motivation de privilégier ces 3 fruits par rapport à la pomme dans le cadre d’un argument santé. Nous voyons aussi la volonté de signifier la « santé » à travers le signifiant linguistique « sans sucres ajoutés » que nous pouvons lire sur le facing. En effet, d’après plusieurs sondages, l’absence de sucres ajoutés est une qualité souvent associée par les consommateurs à un aliment « sain » et/ou « naturel ». Nous le voyons aussi d’une manière beaucoup plus directe dans le 92

texte « pour votre santé associer une alimentation variée et équilibrée à un mode de vie sain ». Une proposition qui fait un lien explicite entre alimentation et santé et qui en même temps s’inscrit très bien dans la définition du bien-être au sens large.

Dans le deuxième axe, nous voyons que les experts en marketing de la marque essayent d’aller au- delà de l’argument de rester en bonne santé physique. Le premier signifiant linguistique que nous pouvons lire au-dessous du logo Bjorg est « Pur jus vitalité » qui est également associé à une note de bas de page : « La vitamine C contribue à réduire la fatigue ». Ces mentions évidemment font appel à la « vitalité » comme bénéfice du produit. Un bénéfice entre le fonctionnel et l’émotionnel qui satisfait tout aussi le corps comme l’esprit. Effectivement, d’après les sondages menés par The Hartman Group, pour les consommateurs la vitalité aujourd’hui est un dimension essentielle du bien-être, car elle impacte tous les autres aspects du bien-être . De même, nous observons au niveau global du packaging, une prédominance du signifiant 93

plastique « couleur orange » présent dans plusieurs signifiants tant visuels comme linguistiques (photographie de l’orange et de la mangue, la photographie du verre de jus, le contenant des ingrédients, les textes 100% pur jus de fruits pressés, riche en vitamine C, et le produit en soi, visible à travers le verre transparent). Selon la théorie des couleurs, en occident, la couleur orange est vibrante et énergisante, en plus associée au fruit du même nom, elle peut représenter directement la santé et la vitalité. Ce qui souligne l’intérêt de la marque d’associer son produit à ce signifié.

Finalement, dans le troisième axe nous voyons qu’il y a une vision d’une alimentation saine pourtant bonne dans ce packaging. Il ne s’agit pas de l’obligation de manger 5 fruits et légumes pour être sain, mais du plaisir de consommer un aliment gourmand en mangeant sain. Ici, ce sont les signifiants visuels, tant figuratifs comme plastiques, qui sont privilégiés, en cohérence avec le signifié qu’ils visent à évoquer. En premier nous trouvons sur le facing quatre fruits coupés, prêts à être consommés, une goutte d’eau sur l’orange suggère sa fraîcheur, la mangue se rend appétissante coupée en quadrillage, ce sont des fruits qui essayent de donner envie, qui visent à renvoyer à un signifié sensoriel d’appétit ou de gourmandise. À côté des fruits, le verre de jus et le jet, l’épaisseur des gouttes, sont aussi des signifiants d’aliments gourmands qui incitent à la consommation, donc il y a une volonté de projeter l’hédonisme possible dans l’alimentation saine. Nous observons aussi que l’angle de prise de vue de la photographie du verre est une plongée, ce qui projette le consommateur dans une situation de consommation . De même, l’arrière-plan, qui semble être 94

Par exemple dans cette étude de l’IFIC nous observons la relation perçue par les consommateurs entre peu ou rien de

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sucres ajoutés et les aliments sains, ou au contraire la relation entre sucres ajoutés et des aliments mauvais pour la santé. International Food Information Council -IFIC- (2016) Food and Health Survey, “Food Decision 2016: The Impact of a Growing National Food Dialogue,” Disponible sur : http://www.foodinsight.org/sites/default/files/2016-Food-and-Health- Survey-Report_FINAL1.pdf

Forbes (2015) Consumer Trends in Health and Wellness. Disponible sur : http://www.forbes.com/sites/

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thehartmangroup/2015/11/19/consumer-trends-in-health-and-wellness/#48163b914be7

Marina Cavassilas, op. cit, p,179. Selon l’auteure la plongée est un point de vue subjectif qui « stimule fortement le

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corps du spectateur » […] le consommateur se voit projeté dans un situation de consommation […] se trouve projetée en tant qu’acteur participant à l’action.

une table en bois blanc, signifie un produit « authentique » , ce qui peut-être traduit en termes de bon goût 95

et naturalité dans le secteur alimentaire.

Nous constatons donc sur ce packaging l’harmonisation entre une alimentation saine et une alimentation appétissante. Une réconciliation entre santé et plaisir qui semble en principe possible et cohérente dans le contexte d’une alimentation biologique. Il reste à nous demander si, dans le cas où la marque ne serait pas certifiée biologique, une telle approche serait-elle possible aujourd’hui ? Est-ce qu’une marque plaisir, appartenant à la grande consommation, pourrait facilement entrer dans le territoire santé en restant crédible et légitime, ou vice versa ? Pour une marque de jus de fruits, au premier regard ceci semble simple car les fruits sont fortement associés aux bénéfices santé et il n’y a pas de problèmes majeurs en termes de goût. Néanmoins, les consommateurs sont de plus en plus attentifs, même dans la catégorie des jus de fruits. Désormais, ils se posent des questions concernant les niveaux de sucre, les modes de production, le type de packaging, le rayon où ils sont vendus. Ainsi, nous voyons les tendances s’inverser au fil des années. Par exemple en 2010, la brique de jus d'orange à base de concentré et les nectars étaient en France la catégorie leader avec 56% de parts de marché, tandis que la catégorie de pur jus avait seulement 44%. En 2015, la PDM du jus d'orange à base de concentré et les nectars est de 46% (-10 points) alors que les jus frais représentent quant à eux 54% (+10 points) . Ce changement, reflète l’évolution des perceptions 96

et du niveau d’exigence de la part des consommateurs concernant les bénéfices santé et le goût dans ces deux sous-segments du marché des jus de fruit. De même, selon les derniers chiffres disponibles sur le site de l’Unijus (Union nationale interprofessionnelle des jus de fruit), dans sa globalité le marché de jus de fruits, étant qualifié de mature, ne croit plus sauf dans des segments particuliers comme c’est le cas pour celui des jus biologiques, dont la part de marché a plus que doublé en 5 ans (2010-2014) tandis que les ventes ont augmenté de 63% en volume . Ainsi nous voyons qu’aujourd’hui ce n’est pas n’importe quel jus qui est 97

considéré comme sain et bon. Pour d’autres catégories de produits, c’est parfois encore plus compliqué. Ainsi nous voyons Danone ou encore Nestlé investir des budgets très importants en recherche et développement, en marque et en communications pour soutenir leur positionnements santé et plaisir. Au contraire, nous ne voyons pas de marques bio justifiant leurs bénéfices santé à travers des études de laboratoire et nous avons déjà vu le positionnement de la catégorie biologique à cet égard de même qu’au niveau du goût. Il nous reste à étudier dans le troisième chapitre de notre développement, si c’est la marque, le label, ou une combinaison des deux qui portent les valeurs biologiques dans le cas Bjorg.

Analyse de packaging de jus Tropicana Récoltes Bio :

Nous examinerons maintenant le cas de la marque Tropicana (analyse complète Annexe 4). Il s’agit d’une bouteille plastique de jus de pomme biologique. C’est le seul jus bio de la Marque Tropicana sur le marché Français, car les deux autres références initialement lancées sur la gamme « Récoltes Bio » en 2010 ont déjà disparu. Dans ce packaging, la réconciliation passe par l’harmonisation entre la protection de l’environnement et le plaisir de consommer. Nous pourrions penser aussi à la notion de santé, néanmoins celle-ci n’est pas explicite, elle serait seulement présente grâce au réseau associatif des signifiants bio et

Ibid, p.211.

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Franceinfo (2016) Consommation : les jus de fruits frais en plein essor. Disponible sur : http://www.francetvinfo.fr/

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economie/menages/consommation-les-jus-de-fruits-frais-en-plein-essor_1571317.html

Unijus (2016) Les chiffres clés de la filière. Disponible sur : http://www.unijus.org/1-/514-economie-marche/532-les-

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naturels, tout les deux affichés de façon récurrente dans le packaging. Ceci, serait le cas pour plusieurs produits bio et est parfaitement valide étant donné la très grande association entre ces trois concepts (naturel, bio et sain). Néanmoins nous allons restreindre l’analyse qui suivra à ce qu'apparemment ont choisi de communiquer les responsables marketing de la marque.

Si nous devions donner un titre à cette analyse, nous la baptiserions « un principe idyllique au service du plaisir ». Effectivement, plusieurs signifiants tant linguistiques que visuels dans ce packaging semblent chercher à construire un signifié de perfection. Si nous réfléchissons, par exemple, au traitement des photos des fruits sur la face avant et arrière du packaging, nous apercevons un effort pour idéaliser les fruits à partir des effets esthétiques. Ces effets ne sont pas subtiles, même si ce sont des ressources souvent utilisées dans la catégorie, dans ce packaging il sont flagrants : il n’y a pas une seule goutte d’eau, mais plus d’une vingtaine sur la pomme coupée à la moitié sur la face avant, et sur la face arrière, les petites pommes face au panier ont au moins cinq gouttes chacune. De même, les reflets de lumière sur les fruits sont très intenses et les feuilles de pomme utilisées n‘ont pas un seul défaut. Il ne s’agit pas de fruits disons « normaux » mais de fruits parfaits.

Cet effort pour idéaliser les fruits est aussi présent dans la composition de l’étiquette. La pomme est reluisante, suspendue à une branche, face au titre « envie de nature ? », nous invitant à prendre la pomme. De même, ce signifiant est aussi en lien avec des signifiés de tentation dérivés de l’histoire d’Adam et Ève dans le jardin d’Éden. Cependant, les fruits ne sont pas les seuls à être idéalisés, nous voyons une notion de nature bucolique signifiée notamment par le dessin simple du pré autour de l’étiquette, mais aussi par le très beau panier en osier qui est signifiant d’un univers champêtre.

Nous pouvons apercevoir que la marque est également d’une certaine façon idéalisée. La place prédominante du logo en haut et au milieu de la face avant, sa répétition sur les différentes faces de l’étiquette et en relief sur chaque face de la bouteille, ou la façon de parler d’un « verre de Tropicana » au lieu d’un verre de jus de la marque Tropicana, mettent en évidence une sorte de glorification de la marque.

D’autre part, nous voyons une esthétique de légèreté. Cette esthétique est présente dans cette feuille qui flotte au dessus du logo Tropicana comme si l’air la soutenait. Elle est aussi présente dans la finesse et dans le style décontracté des typographies, qui bougent et qui ne respectent pas les normes. Ces signifiants contribuent à la construction d’un univers parfait où tout se passe légèrement, sans souci, idéalement. Globalement, nous observons dans l’étiquette un style qui rappelle une scène onirique où tout est possible. Les esthétiques se croisent, le terrestre et l’imaginaire, il n’y a pas de limites, tout est simple et léger, les fruits sont là en abondance et parfaits pour être mangés, tout est idéal. De même, le naming Tropicana, et le palmier évoqué par le « T » initial, font revenir une atmosphère tropicale, de nature exotique. Enfin, tout un ensemble des signifiants nous amènent vers un univers idyllique où il ne reste qu’à profiter du plaisir, ressentir et vivre la vie comme nous rappelle le petit claim de la face latérale gauche « Retrouvez dans chaque verre de Tropicana une promesse toute simple, la promesse d’une vie pleine de sensations : profitez, ressentez…savourez la vie ». Un message, d’ailleurs très en accord avec la notion de mindfulness

ou pleine conscience, que nous avons évoquée plus haut. Nous voyons donc des évidentes appellations à

l’hédonisme, des invitations à céder au plaisir. Une promesse de bonheur d’une dimension corporelle, physique, terrestre, par le plaisir gourmand d’un aliment parfait et naturel. Mais, en même temps véhiculé

par un univers imaginaire, mental voire spirituel de réjouissance, conditions indispensables pour atteindre un état complet de bien-être.

Il y a toutefois, comme nous l’avons annoncé, un ensemble des signifiants qui sont orientés vers la protection de l’environnement, mais toujours dans le cadre du plaisir, en faisant un lien direct entre profiter du produit et l’engagement. Le plus explicite de tous est le signifiant linguistique « Les fruits de ce jus ont été cultivés dans le respect de la terre et de son environnement, selon les méthodes de l’agriculture biologique ». Ceci est écrit au-dessous du texte « envie de nature ? » et en face de la pomme de « la tentation ». La connotation du mot « envie » dans ce contexte nous amène à penser à quelque chose que nous désirons vraiment. De plus, la couleur de la question « envie de nature ? » est orange, ainsi que le texte « les méthodes de l’agriculture biologique ». Le texte au milieu est vert, rendant encore plus évidente la volonté de rapprocher les concepts qui sont en couleur orange. De même, nous observons un packaging saturé par les signifiants visuels et linguistiques qui cherchent à évoquer la nature : l’image du fond avec des collines, des arbres, des branches, des pommes, des feuilles sur chaque face de l’étiquette, les tonalités de vert omniprésentes, les textes la mentionnant directement ou la signifiant à maintes occasions. Tout semble chercher à faire penser que le jus Tropicana et la nature seraient la même chose, comme s’il s’agissait d’un cercle vertueux où la nature donne ses fruits, vous vous faites plaisir à travers le jus Tropicana, mais en faisant attention à la nature, qui vous donnera ses fruits encore une fois…« Ensoleillée et généreuse, la nature vous offre ses fruits riches en couleurs et en saveurs ». Bien sûr il y a aussi les signifiants plus conventionnels de la protection de l’environnement : le label AB, le logo du Triman et l’indication du caractère recyclable de la bouteille. Enfin, l’univers idyllique qui semble chercher à rendre le produit appétissant est bien équilibré avec l’idée de protection de la planète pour orchestrer une réconciliation entre le plaisir de consommer et l’engagement.

Nous nous demandons maintenant si cet argument serait possible pour une marque industrielle comme Tropicana si le produit n’était pas certifié Biologique ? Pour faire du jus du fruits, il faut premièrement une quantité très importante de fruits, par exemple dans le cas des oranges de 2 à 3 kg d’oranges par litre de pur jus. Au niveau industriel, pour le leader mondial sur le marché des jus de fruits, ce chiffre devient astronomique. Ceci sans parler des ressources pour les exploitations agricoles industrielles, les litres d’eau qui se comptent en milliers par plantation, les pesticides déversés dans la nature, ou encore le transport dans chaque pays où la marque est présente. Nous ne croyons pas que ce positionnement serait crédible pour cette marque sans se dire biologique ou sans avoir à démontrer d’une autre façon légitime sa démarche environnementale, possiblement en dehors du packaging dont le discours aurait la possibilité d’être plus argumenté et détaillé. Ainsi, dans les conditions actuelles du positionnement de la marque, le label biologique semble devenir une condition indispensable pour que Tropicana puisse se permettre de revendiquer sur son packaging un engagement de type environnemental à côté de sa promesse du plaisir. Il nous reste, dans tous le cas, à étudier la légitimité de la marque Tropicana dans le segment biologique dans le troisième chapitre.

2. Faire le bien sans effort : le cas Entr’aide