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C) Le mythe de l’hyperconsommation responsable

3. La piège de la réconciliation

Les Millennials visent à rétablir l’équilibre environnemental et social produit par la consommation de masse. Les Millennials cherchent un bien-être au sens large au lieu d’un bien-être « vide et matériel » comme celui de la société de consommation. Ils donnent l’impression de vouloir un changement. Cependant, il semble qu’en le faisant par le biais de la consommation responsable, ils sont en train de reproduire le système comme une sorte de mise en abîme. Le système d’hyperconsommation profite du mouvement contestataire, il s’inspire des nouveaux besoins pour se récréer et se démultiplier. La consommation responsable semble annuler les pensés du genre « anti-consommation » et les remplacer par un mieux consommer.

Même sans vouloir tomber dans un scénario trop apocalyptique de la consommation responsable, nous ne pouvons pas éviter de noter que le libre choix des Millennials, le pouvoir qu’apparemment ils exercent, semble continuer d’être régulé par le système économique. Baudrillard nous le dit, « toutes les dysfonctions, les nuisances, les contradictions inhérentes à l’ordre de production sont justifiées, puisqu’elles élargissent le champ où s’exerce la souveraineté du consommateur120 ». Il convient alors à l’hyperconsommation d’élargir l’éventail d’options à travers les outils qu’offre la consommation responsable. Et certains de ces outils sont les labels de certification biologique AB en France et le label Fairtrade Max Havelaar au niveau international. Le sentiment d’exercer le pouvoir, sans beaucoup d’efforts et à travers les multiples choix de consommation, semble nuancer le mécontentement envers les nuisances de l’hyperconsommation.

Les Millennials cherchent à changer les règles du système traditionnel en profitant de l’instant au lieu de se « casser la tête » en suivant un ordre structuré d’après les règles du passé. Néanmoins, à travers la consommation responsable, les Millennials sont toujours « condamnés » à reproduire le cycle qu’ils rejettent : revenu, achat de prestige et surtravail121. Peut-être qu’à l’époque actuelle, la variable « achat de prestige » pourrait être complétée par d’autres motivations comme la recherche des « bonheurs privés » - étudiée dans notre premier chapitre - . Cependant, l’achat demeure dans sa position, au milieu de revenu et surtravail. Les Millennials engagés et avides d’un bien-être au sens large, ne pourraient pas exercer leur facette de « consom’acteurs », prendre soin de leur santé, ni se faire plaisir en profitant de chaque moment de leur vie, sans un travail fructueux. Et certains de nos interviewés semblent être déjà immergés dans ce cycle (Annexe 37) :

« Je pense, qu’une fois que le pouvoir d’achat sera un peu plus élevé, donc, dans quelques années, nous l’espérons… ça va être automatiquement en fait, ça va pas être une idéologie mais ça va être ancré déjà dans leur culture en fait, de consommer plus raisonnablement, d’aller chercher des produits qui ne sont pas

fait n’importe comment, regarder un peu d’où ça vient […] » MF Si tu aurais l’argent tu achèterais plus?

« Non, j’achèterai de meilleure qualité. Tu vois typiquement, j’irai faire mes courses chez Naturalia un truc comme ça, pour avoir les légumes par exemple parce que c’est plus cher » CE

Si la consommation des produits biologiques modifie une partie des modes de production et la consommation équitable modifie une partie du commerce, le statu quo prévaut. La seule chose qui change,

Jean, Baudrillard. La société de consommation. op. cit. p.98

120

Ibid, p.99

c’est que grâce à l’idée de la consommation responsable, l’hyperconsommation n’est plus en contradiction avec les valeurs de l’époque. Selon les mots de Lipovetsky « Moins il y a d’utopie révolutionnaire plus s’accroît la réflexivité de la consommation-monde repeinte en couleur verte122 ». Il suffit de voir les chiffres du marché biologique et équitable qui n’arrêtent pas de croître. En France, les ventes de produits issus de l’agriculture biologique ont dépassé les 7 milliards d’euros fin 2016, ce qui représente une augmentation de 20% par rapport à 2015123. En 2015, l’augmentation avait été de 15% par rapport à 2014. De même, en France en 2015, les ventes de produits équitables tous labels confondus ont été de 664 millions d’euros, soit une augmentation de 17% par rapport à 2014124. De ce chiffre, 442 millions d’euros correspondent aux ventes des produits labellisés Fairtrade Max Havelaar125. Il faut dire que le marché français représente le 10e

marché pour les produits équitables en Europe avec un panier moyen par consommateur de 9.96 € en comparaison avec 58,02 € pour les suisses. Il est important de noter aussi que les gains pour le secteur ne se limitent pas aux ventes, car les pratiques des entreprises engagées en matière environnementale telles que les réductions de matériaux destinés aux packagings, la réduction des coûts de transport ou l’utilisation d’énergies propres et renouvelables peuvent représenter aussi des économies importantes.

En définitive, il s’agit d’un très beau business qui intéresse de plus en plus les grandes entreprises. Ce qui peut-être positif ou négatif selon la perspective. Si nous restons positifs nous pouvons penser que de plus en plus l’offre conventionnelle va être remplacée par une offre plus responsable. Le problème, c’est que parfois les grandes industries de l'alimentaire au lieu de modifier l’offre existante, la conservent et préfèrent acheter d’autres entreprises qui répondent mieux aux attentes des consommateurs engagés ou inquiets pour leur santé. Ainsi, ils obtiennent des gains dans les deux segments du marché. Nous voyons par exemple l’acquisition de Annie’s par General Mills, l’achat de Enjoy Life Foods par Mondelēz, ou l’achat de

The WhiteWave Foods par Danone qui veut devenir leader du bio. En tout cas, d’après Nielsen en 2014,

65% des ventes totales de biens de consommation à l'échelle mondiale ont été générées par des marques dont l’argument marketing incluait un engagement social et/ou environnemental. Ce qui peut représenter un espoir, car il semblerait que de plus en plus il s’agit d’un remplacement de l’offre conventionnelle par une offre plus responsable au lieu d’un segment de plus qui servira seulement à accroître l’hyperconsommation. Ceci résonne avec la pensée de Rochefort qui nous dit : « Les messages, s’ils ont un sens, l’incitation à modifier ses comportements doivent être adressés au plus grand nombre. Sont-ils compromis dès qu'ils s'insèrent dans le jeu capitaliste ? Non s'ils s'inscrivent dans des tendances nouvelles qui s'enracinent au fils du temps ».126

Finalement, il faut surtout éviter de voir les consommateurs comme des victimes du système, ils profitent de cette réconciliation. Rochefort nous dit aussi que « La société de consommation ne crée pas des besoins, elle les marchandise, ce qui n'est pas la même chose […] » pour lui « cette marchandisation

Gilles, Lipovetsky. op. cit. p. 157

122

Agence Bio. (2017) La bio change d’échelle en préservant ses fondamentaux [PDF] Disponible sur : http://

123

www.agencebio.org/sites/default/files/upload/AgoraBIO/dp_bio_barometre_val.pdf

PFCE (2015) Les chiffres clefs du commerce équitable en France en 2015. [PDF] Disponible sur : http://

124

www.commercequitable.org/images/pdf/chiffres%202015%20v2%20version%20longue.pdf

Max Havelaar France (n.d) Le commerce équitable en chiffres. Disponible sur : http://www.maxhavelaarfrance.org/le-

125

commerce-equitable/le-commerce-equitable/en-chiffres.html Robert, Rochefort. op. cit. p. 16

déforme le besoin, elle le sophistique, elle nous rend dépendants127 ». Les besoins ne sont pas des mensonges créés par des entreprises malveillantes afin de tromper le consommateur, bien que parfois cela puisse sembler être le cas. Si la consommation peut générer des nuisances pour les consommateurs ou pour la société, eux-mêmes ont contribué à ce qu’il soit davantage répandu. Si les Millennials veulent changer les choses, ce n’est pas par leur propre sacrifice qu’ils désirent le faire. La consommation responsable par le biais des produits biologiques et équitables s’accorde à la perfection avec leurs désirs et leur valeurs, au moins au niveau symbolique, car si le but ultime était d’inverser la marche du monde, il faudrait beaucoup plus que consommer de façon responsable. Peut-être est-ce comme nous le dit Lipovetsky « L’âge du bonheur paradoxal appelle des solutions elles-mêmes paradoxales128 ».

Conclusion partielle

Ce premier chapitre de notre travail avait pour objectif de valider ou invalider notre deuxième hypothèse. À travers celui-ci nous avons montré en quoi les labels de certification de consommation responsable sont des signes réconciliateurs entre les différentes valeurs Millennials et entre ces valeurs et l’hyperconsommation. Ainsi, nous sommes désormais en mesure de valider notre deuxième hypothèse.

III. Le label comme signe capable d’exercer ou d’assister certaines des fonctions souvent attribuables aux marques.

Nous l’avons vu, dans le contexte actuel, les labels on acquis un rôle de plus en plus important dans la société Millennial. Il nous reste à étudier dans ce troisième chapitre si, dans le cadre des produits de la consommation responsable, les labels sont aussi capables de suppléer ou d’assister certaines fonctions qui sont traditionnellement exercées par les marques. Nous essayerons alors de montrer comment un label pourrait exercer ou assister les fonctions de repérage, confiance et sémantisation, si la marque néglige ces fonctions.

A. Repérer la consommation responsable. Comment fait le consommateur responsable pour