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B) La réconciliation : la vision des marques

2. Faire le bien sans effort : le cas Entr’aide

C’est le moment d’étudier le cas de la marque Entr’aide, (analyse complète Annexe 1). C’est une brique de jus, de la gamme équitable de la marque de distributeur E-Leclerc. Cette gamme conserve l’identité de marque Entr’aide (logo et packaging) mais tout en utilisant aussi le logo de Marque Repère légèrement au-dessous de son propre logo. La gamme Entr’aide propose des produits dans diverses catégories au-delà des jus. Dans ce cas, la réconciliation est l’essence du message ouvertement exprimé sur le packaging. Cette réconciliation passe principalement par le rééquilibrage entre la notion de plaisir de consommer et l’engagement social, mais aussi par beaucoup d’autres facteurs que nous allons expliquer par la suite. Premièrement, nous observons dans l’identité de la marque l’intention d’équilibrer la notion de bénéfice construit habituellement autour de la consommation équitable, tout en soulignant aussi les avantages pour le consommateur. La marque s’engage dans une promesse de bénéfice mutuel, elle offre une transaction où le consommateur gagne aussi en achetant équitable. Examinons le naming de la marque. « Entraide » signifie « aide qu'on se porte mutuellement ». Curieusement, le mot « entraide » est 98

divisé dans ce cas par une apostrophe. Cette apostrophe modifie le mot et crée une pause, transformant ainsi le mot en une espèce de mot-valise. Une séparation qui paradoxalement semble renforcer le signifié en générant une sorte de conscience sur chaque mot « entre » et « aide ». Nous avons l’impression qu’en divisant le mot il y a plus d’accent mis sur le fait que cette action de s’entraider passe par une interaction mutuellement bénéfique pour le deux parties. Une notion qui dépasse la simple philanthropie d’un acte désintéressé et la remplace par une récompense partagée.

Considérons aussi l’identité visuelle de la marque. En premier lieu, l’élément iconique du logo Entr’aide est très riche en signifiés. Il s’agit d’un cercle composé par des mains, c’est un signifiant qui, en occident, représente la coopération par sémiosis symbolique. Cette coopération grâce à son propre réseau associatif implique l’idée de s’entraider. D’autre part, l’union de ces mains qui créent une forme, transmet le concept que le « tout est plus grand que la somme de ses parties ». Par conséquent, ce symbole est utilisé occasionnellement dans le contexte du commerce équitable et des coopératives. D’autant plus que ce cercle crée l’effet visuel du sens cyclique grâce aux mains qui pointent vers la même direction, et semble évoquer la planète qui tourne. Une planète composée par des mains, signifiants des continents. Nous notons d’ailleurs que la main placée dans le sud ouest est vert estragon. La même couleur verte dans laquelle le Brésil est représenté sur la carte placé sur une des faces latérales. Par opposition, la main placée dans la partie supérieure représenterait les pays ou continents du nord. Elle semble couvrir ou même protéger les deux autres au sud. Cependant, l’effet de dynamisme ne permet pas de se limiter à l’idée d’un sud statique qui attend en se laissant protéger. Au contraire, il s'agit d’un sud qui bouge, qui agit et donne quelque chose en retour. Donc nous avons comme résultat une entr’aide continue entre les pays du nord et du sud.

Cette volonté de mettre en avant le bénéfice mutuel plutôt qu’une transaction philanthropique, s'avère être beaucoup plus explicite dans le texte « ces produits Entr’aide permettent de concilier plaisir de consommer et aide aux petites producteurs ». Cela rend évident ce que reçoit la contrepartie du nord en donnant sa main au sud : « Le plaisir de consommer ». Consommer un jus fait d’oranges du Brésil, le

Entraider - Entraide (s.d.) Dans Dictionnaire Larousse en ligne disponible sur : http://www.larousse.fr/dictionnaires/

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premier producteur d’oranges du monde. Des oranges qui grâce au réseau associatif du Brésil pourraient avoir une origine tropicale, naturelle ou peut-être plus artisanale. Le consommateur est donc libre de ressentir du plaisir en consommant des oranges récoltées peut-être à la main par des petits producteurs du Brésil tandis que sa conscience est tranquille car, en achetant ce produit plutôt qu’un autre, il les aide. C’est un packaging qui vise évidemment à réconcilier la conscience des consommateurs avec la consommation.

Mais les avantages que le consommateur obtient ne s’arrêtent pas là. Nous observons dans ce packaging la notion d’accessibilité qui vise à récompenser le consommateur et, ultérieurement, à augmenter la valeur perçue du produit en optimisant le rapport coût / avantage. Sur une des faces latérales, nous observons un message émis par Marque Repère « Avec sa gamme Entr’aide Marque Repère affirme sa volonté de rendre accessible à tous la consommation des produits issus du Commerce Équitable ». Ce message est fort et clair, à partir de maintenant la consommation équitable ne demande plus de gros efforts économiques. Le prix de ce produit s’adapte à tous types de foyers. L’aspect recyclé du packaging vient soutenir de façon cohérente l’image d’un produit accessible économiquement parlant. Ce n’est pas un packaging somptueux, même la qualité de l’impression des images rend compte d’une marque qui n’a pas investi beaucoup dans l’élaboration du pack, afin peut-être d’investir d’avantage dans les bénéfices pour les producteurs et l’accessibilité pour tous ses clients. C’est une déclaration où la marque montre sa focalisation plutôt dans la cause et le contenu que dans le contenant.

Effectivement, la qualité est une autre dimension très importante pour Marque Repère. Ainsi, la marque exprime « soigneusement sélectionnés pour vous ». C’est un produit à prix bas, avec l’apparence d’un produit à prix bas, pourtant de bonne qualité. Ce rôle de « sélectionneur » est bien évidemment aussi signifié par son nom « Repère». Un nom qui nous indique la volonté de la marque de constituer un repère d’un certain nombre de critères pour le consommateur. De même, Marque Repère présente Entr’aide comme sa gamme sur le packaging. C’est marque Repère qui signe le contrat avec le consommateur. Comme nous l’avons dit le logo-symbole de Marque Repère - qui évoque un symbole de géolocalisation - est placé sur le logo Entr’aide. Tout en indiquant que c’est un produit « découvert » et sélectionné par Marque Repère. Partant de ce fait nous induisons que la crédibilité du produit est confiée à cette dernière.

Une réconciliation facilitée par un principe d’empathie

Pour compléter l’équation, la stratégie choisie par la marque a été de rapprocher le consommateur du producteur par le biais de l’empathie. En effet, plusieurs signifiants dans ce packaging viennent soutenir un tel signifié. Commençons par le signifiant figuratif de la femme qui incarne les petits producteurs d’oranges du Brésil. Représenter l’origine et le producteur par l’image d’une personne permet de rendre visible le bénéficiaire du côté sud. Ce n’est pas une petite entreprise, ce n’est pas un pays, c’est une personne réelle. Comme l’explique Marina Cavassilas dans son livre Clés et codes du packaging : sémiotique appliquée, le choix de l’humain comme signifiant présente l’intérêt de générer des contenus émotionnels de sympathie . 99

Ce n’est pas pareil de sympathiser avec une notion abstraite d’un groupe de paysans ou d’une petite entreprise qu’avec un humain concret.

Ce n’est pas non plus pareil de sympathiser avec un humain vulnérable. Nous croyons qu’un consommateur peut partager moralement la peine plus facilement s’il s'agit de personnes éprouvées. Ainsi,

Marina Cavassilas, op. cit., p,237.

la sélection d’une personne à peau noire pour représenter les petits producteurs ne tiendrait pas du hasard. À peu près la moitié de la population Brésilienne est noire ou métisse. C’est aussi la partie de la population la plus défavorisée en termes de répartition de richesses. Ce petit producteur du Brésil est aussi une femme. Elle est probablement capable de générer encore plus de sympathie chez le consommateur. Il pourrait être plus choquant de concevoir que c’est une femme qui est derrière la production à la campagne car c’est un travail qui demande de la force et de la résistance physique. De même, dans ce contexte le fait de présenter une femme plutôt âgée permet de l’envisager comme une mère de famille, et d’assumer que ses conditions de travail auraient un impact sur les membres de sa famille.

Cependant, malgré sa condition vulnérable, cette femme n’a pas l'air malheureuse ou alourdie par ses obligations quotidiennes. Le sourire de la femme signifie par métonymie un état de joie. Un bonheur qui, dans ce contexte, pourrait être interprété comme le résultat des conditions de travail décentes qui lui permettent de mener une vie digne. Sa posture devant la caméra transmet une attitude réceptive. C’est une gestuelle qui invite à l’interaction. Cette travailleuse n’est pas non plus en train de cultiver ou cueillir des oranges. Elle n’est pas habillée avec des vêtements de travail mais avec un tenue presque festive. Ceci permet d’atténuer les idées négatives et d’équilibrer les sentiments culpabilisants qui pourraient faire fuir le consommateur. Au contraire, le petit producteur du Brésil est déjà satisfait par l’achat équitable. La marque récompense l’achat des consommateurs avec le bonheur du producteur instantanément, bien avant que le producteur reçoive les bénéfices de cet achat spécifique.

Pour continuer avec les signifiants qui font appel à l’humanité, prenons le texte « jus d’orange » écrit à la main à côté de la femme avec une ligne en-dessous comme celles des signatures. Nous observons aussi que le texte est légèrement incliné vers la femme, même la couleur du texte est accordée avec sa tenue. La proximité de la lettre « d » (d’orange) avec la bouche de la femme semble indiquer que c’est elle qui parle. Ces signifiants consolident l’idée qu’il y a des humains derrière ce produit, il n’y a pas que des machines chargées de la production. De plus, nous reviendrons un moment sur le logo et plus précisément sur l’élément iconique conformé par les mains. Ce sont précisément des mains qui représentent les continents, ce ne sont pas des superficies de terre, des drapeaux ou des formes géométriques. C’est précisément la collaboration entre humains qui est mise en valeur pas seulement celle entre des pays, des continents ou des entreprises. Ce sont des humains issus de diverses origines, représentés par des mains de différentes couleurs. Néanmoins, cette « humanisation » ne sert pas seulement à mettre en évidence les bénéfices pour les producteurs. Marque et consommateur bénéficient également de ce choix. Le choix d’humaniser est aussi signifiant d’un produit fait par des gens et permet à la marque de s’éloigner du signifié industriel qui d’habitude ternit l’image des MDDs. Pour le consommateur, cela pourrait se traduire par un produit plus naturel et même de meilleur goût. Il semble aussi que la marque a essayé de soutenir cette idée en donnant au packaging l’apparence d’une brique faite à partir de carton recyclé.

Essentiellement, les stratèges de la marque semblent essayer de séduire le consommateur en offrant un produit de bonne qualité et équitable qui ne demande pas de grands efforts. C’est un acte simple de réconciliation entre les achats quotidiens et les valeurs d’engagement. Dans l’ensemble, nous avons une réconciliation entre la consommation et la responsabilité, - et pas seulement socialement, mais aussi avec l’environnement -, entre la consommation responsable et les moyens économiques des consommateurs, entre le consommateur et les producteurs du Brésil, entre le nord et le sud. C’est une réconciliation qui convient à tous. Une vrai promesse d’« Entr’aide ».

Comme pour tous les autres cas, c’est le moment de nous demander si ce positionnement serait crédible pour une marque de distributeur comme Marque Repère d’E-Leclerc sans porter le label Fairtrade Max Havelaar. D’abord, ce n'est un secret pour personne que globalement la grande distribution ne jouit pas d’une bonne image vis-à-vis des consommateurs. D’après les sondages, en France elle figure en bas de tableau, presque au même niveau que les banques, les assurances, et l’industrie chimique. Selon les professionnels, cette mauvaise image est due à « sa réputation de faire mourir le petit commerce, l’agriculture familiale, la petite industrie et les PME tout en étant considérée comme sur-rémunérée par rapport aux autres maillons de la chaîne de valeur »100. Certes, E-Leclerc a axé son positionnement sur une thématique sociale en faveur de leurs consommateurs - concrètement sur la défense du pouvoir d’achat des Français - ce qui est apprécié par un bon nombre des consommateurs. Néanmoins, pour soutenir sa promesse de prix bas, il lui faut mettre en place une stratégie agressive en termes de négociation avec ses fournisseurs. Une stratégie qui peut aller jusqu’au boycott pendant quelques semaines, comme ça a été le cas en 2013 pour certaines références de marques comme L’Oréal, La Vache qui rit, Ajax ou même Coca- Cola au début des années 2000. À l’égard des consommateurs, cela peut paraître juste face aux grandes multinationales, mais il faut se demander comment les petits producteurs pourraient-ils se défendre dans ces mêmes conditions, comment une PME pourrait-elle résister à la menace de voir diminuer la quantité de produits commandés, ou même de les voir déréférencés ? Voilà pourquoi la centrale d’achat d’E-Leclerc est considérée parmi les plus injustes du marché vis-à-vis des fournisseurs. En effet, en 2015 E-Leclerc a été condamné à rembourser 61,3 millions d’euros, perçus apparemment de manière abusive, à 48 de ses fournisseurs. Cela a été le cas plusieurs fois, mais ce n’est pas du tout l’apanage d’E-Leclerc, c’est une problématique qui concerne, comme nous l’avons dit, l’ensemble du secteur de la grande distribution. Nous pensons qu’il ne serait pas possible pour une MDD de soutenir avec crédibilité le positionnement d’une marque, bâtie sur une relation équitable et équilibrée avec ses fournisseurs sans porter le label Fairtrade Max Havelaar, encore moins avec un positionnement de prix bas.

3. Le bon consommateur et le bon citoyen : le cas ethiquable