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L’affirmation de soi à travers la consommation : l’identité à l’ère de la société de consommation

C) L’identité à l’ère des Millennials

2. L’affirmation de soi à travers la consommation : l’identité à l’ère de la société de consommation

En 1970, dans La Société de consommation, Jean Baudrillard avance l’idée selon laquelle l’individu postmoderne consomme comme un moyen de différenciation. Selon l’auteur le besoin sous-jacent des objets est celui de se différencier : « le désir du sens social ». En ce sens, il formule une profonde critique 67

sur le fait que les gens n’ont plus une identité en fonction de leurs métiers et leurs origines mais en fonction de ce qu’ils consomment. Selon son argument, dû à l’aliénation résultant du mode de production industrialisé, les individus ont perdu les traits qui jadis étaient définis par leur spécialisation dans un mode de production et d'autres caractéristiques immuables. C’est pourquoi les individus se voient dans le besoin de reconstruire leur personnalité à partir de la consommation : « C’est cet être perdu qui va se reconstruire in

abstracto, par la force des signes, dans l’éventail démultiplié de différences […] 68 ». C’est l’auteur qui souligne.

Concrètement, Baudrillard affirmait que « le système de la consommation n’est pas fondé en dernière instance sur le besoin et la jouissance, mais sur un code de signes (objets/signes) et de différences ». En fait pour lui, la jouissance n’est que la rationalisation faite par l’individu du procès de la consommation. De 69

ce fait, nous pourrions penser que par exemple si la consommation des aliments labellisés AB avait eu lieu à l’époque de la société de consommation, d’après Baudrillard la revendication d’une motivation basée sur le besoin de rester en bonne santé n’aurait été qu’une rationalisation d’un « vrai besoin » de différenciation. Conséquemment, il explique plus tard dans son livre Pour une critique de l’économie politique du signe que

« loin que le statut primaire de l’objet soit un statut pragmatique qui viendrait surdéterminer par la suite une

valeur sociale de signe, c’est la valeur d’échange “symbolique” qui est fondamentale » . Dans cette 70

perspective, il argumente que c’est à travers des objets/signes différenciés que la société se communique. La consommation est alors l’équivalent d’un « langage » un « système de communication » constitué d’échanges d’objets/signes que les individus font le choix de consommer.

Nous voyons dans cette logique une similitude avec la pensée que Roland Barthes partageait quelques années plus tôt. Pour lui, le monde est plein de signes constitués de différences. Barthes affirmait qu’il était possible, à travers de la lecture de ces signes d’identifier, entre autres, le statut social, le style de vie ou la personnalité d’un individu. Il appelait cette deuxième signification des signes « le sens connoté ». Dans La Cuisine du sens, il l’expliquait comme suit :

« Un vêtement, une automobile, un plat cuisiné, un geste, un film, une musique, une image publicitaire, un

ameublement, un titre de journal, voilà en apparence des objets bien hétéroclites. Que peuvent-ils avoir de commun? Au moins ceci : ce sont tous des signes. Lorsque je me déplace dans la rue – ou dans la vie – et que je rencontre ces objets, je leur applique à tous, au besoin sans m’en rendre compte, une même activité, qui est celle d’une certaine lecture : l’homme moderne, l’homme des villes passe son temps à lire : cette auto me dit le statut social de son propriétaire, ce vêtement me dit avec exactitude la dose de conformisme

Jean, Baudrillard. La société de consommation. Paris : Gallimard, 1970 p.108

67

ibid p. 125

68

ibid p.110

69

Jean, Baudrillard. Pour Une Critique de l’économie politique du signe, Paris : Gallimard, 1977, p. 8

ou d’excentricité de son porteur, cet apéritif (whisky, pernod ou vin-blanc-cassis) le style de vie de mon hôte. ». 71

Ainsi l’objet/signe, dans notre cas le produit labellisé comme biologique ou équitable, porterait en lui l’idée du bien-être ou de la responsabilité soit envers l’environnement ou envers autrui et serait capable de communiquer les caractéristiques de son consommateur à la société.

Selon Baudrillard ce « langage » qu’est la consommation a certaines fonctions au-delà de la simple communication. L’auteur prend l’exemple de la kula et du gimwali et les compare à nos sociétés. Dans le premier cas (la kula et le gimwali) les deux systèmes sont indépendants. La kula correspond à un système d’échange symbolique fondé sur la circulation (le don en chaîne de bracelets, colliers, etc.) autour duquel s’organise le système social de valeurs et de statut, et le gimwali à un système de commerce des biens primaires. Alors que dans nos sociétés les deux systèmes sont intégrés : c’est toujours le mécanisme de la prestation sociale qui est derrière toutes les superstructures de l’achat, du marché et de la propriété privée . 72

Ainsi, d’après Baudrillard la consommation a la fonction sociale de hiérarchiser les individus, structurant les relations sociales et conférant un statut à chaque personne. C’est la consommation qui fait exister le sujet dans la société.

En effet, dès les années 1960, la segmentation des marchés est devenue de plus en plus prononcée. Une quantité chaque fois plus large d’options est présentée aux consommateurs qui s’intéressent beaucoup plus aux produits et services en raison de leur fonction identitaire au-delà de la dimension fonctionnelle. Certes, ce que les gens consomment a été depuis toujours un symbole social, cependant, c’est à ce moment-là que commence à s’exprimer l’ « individualité » à travers les objets de consommation en tenant compte de la diversité des biens qui répondent aux caractéristiques « personnelles » de chaque consommateur. Néanmoins, pour Baudrillard la personnalité construite autour de la consommation est superficielle, elle n’est pas constituée des « différences réelles » car jadis ces dernières rendaient les être contradictoires et en relation conflictuelle avec les autres et avec le monde. Tandis que sous la « production industrielle des différences » les individus ont tendance plutôt à l’homogénéisation. En d’autres mots, les 73

individus s’affilient aux modèles de personnalité produits artificiellement par l’industrie, perdant ainsi toute vrai singularité, « le contenu propre » et donnant lieu à ce que Baudrillard appelle la « concentration monopolistique de la production des différences ». 74

En s’affiliant à ces modèles de personnalité, l’individu essaye de se distinguer en s’affiliant aux groupes de référence (soit le sien propre, soit un groupe de statut supérieur), il partage avec ce groupe les mêmes signes qui rendent l’ensemble des membres du groupe différents des autres groupes. Pour Baudrillard celui-ci est un processus d’ « homogénéisation consciente du groupe ». 75

En tout cas, si Baudrillard est très critique de cette « fausse » procédure de différenciation par la consommation, les systèmes précédents ont été abolis et le système de « production industrielle des

Roland, Barthes. L’Aventure sémiologique, Paris : Points essais, Seuil, 1985, p. 227

71

ibid p. 9

72

Jean, Baudrillard. La société de consommation.op. cit. p. 126

73

ibid

74

ibid. p. 133

différences » est profondément ancré dans la culture de la société de consommation. De ce fait, nous pouvons penser qu’à l’époque de la société de consommation, les objets/signes correspondants à la consommation responsable serviraient à différencier l’individu - ou plutôt le groupe auquel il appartient -, des autres groupes qui ne partagent pas le même code. Voyons maintenant, en quoi le système a évolué - ou s’est transformé - dans la société d’hyperconsommation et si la consommation resterait capable de contribuer à la construction de l’identité des Millennials.

3. L’affirmation de soi à travers la consommation : l’identité à l’ère de la société de