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B - Renforcer l’engagement en matière de lutte contre les consommations nocives d’alcool

Dans le document LA POLITIQUE DE PRÉVENTION EN SANTÉ (Page 96-100)

La consommation excessive d’alcool en France ne parvient pas à baisser, alors qu’elle est notamment responsable d’un grand nombre de cancers. Par rapport au tabac, les mesures de lutte s’avèrent très en retrait, faute d’une véritable volonté politique.

1 - Une situation française défavorable

La situation de la France fait apparaître des résultats très inégaux et globalement insuffisants en matière de lutte contre les consommations nocives d’alcool, au regard des données et évaluations disponibles et des comparaisons internationales. En effet, notre pays se situe dans le groupe de tête au sein des états membres de l’OCDE pour la consommation annuelle moyenne par habitant, consommation qui progresse par ailleurs de manière inquiétante chez les jeunes et les femmes. Les dommages sanitaires et sociaux qui en résultent sont particulièrement préoccupants. La place très particulière qu’occupe l’alcool en France dans son histoire, sa culture, son économie et sa vie sociale explique une certaine banalisation de la consommation de boissons alcoolisées, dont les effets négatifs sont largement sous-estimés.

De plus, les autorités sanitaires doivent faire face aux oppositions d’acteurs économiques fortement organisés dans le secteur de la production et de la distribution des boissons alcoolisées.

L’action publique peine dans ce contexte à modifier les comportements et n’utilise pas assez efficacement les leviers qui ont démontré leur utilité dans d’autres pays, qu’il s’agisse des actions de prévention s’appuyant sur des messages ciblés, des incitations fiscales pour réduire les consommations nocives ou des réglementations en matière de publicité ou d’accès au produit. Ainsi l’OMS avait relevé qu’en Lituanie, où le taux d’années de vie perdues à cause de l’alcool était le plus élevé de l’Union européenne en 2010, la mise en œuvre de mesures efficaces, fiscales entre autres, de lutte contre l’alcool, avait permis de réduire ce taux de 20 % en 2016156. Même en matière de sécurité routière, où des résultats probants de baisse de la mortalité ont été obtenus depuis quarante ans, la conduite en état d’alcoolisation n’est pas aujourd’hui réprimée avec la même fermeté que la vitesse excessive, faute d’une chaîne de contrôle-sanction efficace157.

De même, la détection des consommateurs à risque par le médecin généraliste est insuffisante, malgré son efficacité reconnue par l’OCDE158.

156 https://www.euro.who.int/fr/countries/lithuania/news/news/2021/4/reducing-harm-due-to-alcohol-success-stories-from-3-countries.

157 https://www.oecd.org/fr/els/systemes-sante/Note-de-Synthese-Lutter-contre-la-consommation-nocive-d-alcool.pdf : « Les mesures de lutte contre l’alcoolisme devraient cibler en priorité les gros buveurs, mais rares sont les moyens dont on dispose pour y parvenir et ceux-ci sont relativement coûteux. Les médecins de soins primaires peuvent certainement jouer un rôle important dans la lutte contre la surconsommation… ».

158 https://www.oecd.org/fr/els/systemes-sante/Note-de-Synthese-Lutter-contre-la-consommation-nocive-d-alcool.pdf : « Les mesures de lutte contre l’alcoolisme devraient cibler en priorité les gros buveurs, mais rares sont les moyens dont on dispose pour y parvenir et ceux-ci sont relativement coûteux. Les médecins de soins primaires peuvent certainement jouer un rôle important dans la lutte contre la surconsommation… ».

L’OMS Europe avait retenu dans son plan de réduction de l’usage nocif de l’alcool pour 2012-2020 dix domaines privilégiés d’action : la formalisation d’une stratégie nationale engageant les différents acteurs ; les réponses sanitaires adaptées ; la prévention et les interventions sur le lieu de vie ; les politiques de lutte contre l’alcool au volant ; l’accessibilité au produit ; l’encadrement de la publicité et du marketing ; les politiques de prix et de fiscalité ; la réduction des conséquences du mésusage de l’alcool ; la lutte contre la fraude et les produits illicites ; le suivi, le contrôle et l’évaluation.

En mai 2021, l’OCDE a publié de nouvelles données sur l’efficacité de ces cinq politiques de lutte contre la consommation nocive d’alcool : la taxation de l’alcool, la fixation d’un prix plancher par unité d’alcool, le durcissement des règles régissant la conduite sous l’emprise de l’alcool, la délivrance de conseils dans le cadre des soins primaires et le traitement de l’alcoolo-dépendance159.

Selon cette étude, les trois politiques les plus efficaces en termes d’amélioration des résultats sanitaires sont : la mise en place de postes de contrôle routier pour lutter contre l’alcool au volant, l’alourdissement de la fiscalité de l’alcool et la fixation d’un prix plancher par unité d’alcool. Ces interventions touchent l’ensemble de la population et leur montée en puissance permettrait de gagner entre 29 600 et 44 300 années de vie en bonne santé par an, ce qui représente entre 30 % et 50 % des années de vie en bonne santé perdues en 2017 en raison du cancer du foie dans la population française âgée de 50 à 69 ans. Les conseils apportés dans le cadre du système de soins primaires et le traitement de la dépendance sont également des interventions efficaces, qui ont cependant un moindre impact parce qu’elles s’adressent à une partie plus petite de la population.

Toujours selon cette étude, la taxation de l’alcool, la fixation d’un prix plancher, les contrôles routiers d’alcoolémie et la délivrance de conseils dans le cadre des soins primaires permettent de dégager des économies sur les dépenses de santé qui sont supérieures au coût de leur mise en œuvre.

2 - Des recommandations non mises en œuvre

Dans le prolongement de ces analyses, la Cour avait formulé dans un rapport de juin 2016160, onze recommandations concernant les consommations nocives d’alcool. Les plus contraignantes se sont heurtées à un refus formel : il s’agit de l’augmentation de la fiscalité et de l’instauration du prix minimum, de l’interdiction de la consommation sur le lieu de travail et de l’interdiction de la publicité sur internet et les réseaux sociaux.

En juin 2021, l’Inserm a réitéré bon nombre de ces recommandations en réaffirmant scientifiquement leur caractère probant et en appelant de ses vœux un plan d’action urgent.

159 Idem.

160 Cour des comptes, rapport public thématique, « Les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool », juin 2016, disponible sur www.ccomptes.fr.

a) Une stratégie incluse dans la lutte contre les addictions

Parmi les mesures proposées, figurait l’élaboration d’un programme national de réduction des consommations nocives d’alcool assorti des indicateurs adéquats, et évalué de manière périodique, sur le modèle du programme national de réduction du tabagisme (PNRT).

Lui a été préférée l’inclusion de la problématique de l’alcool dans des plans globaux sur les addictions tel que le « plan de lutte contre les drogues et les toxicomanies » (2013-2017), puis le

« plan national de mobilisation contre les addictions » (2018-2022). Ce dernier plan devait être suivi par un « comité permanent » prévu à l’article D. 3411-15 du CSP et réuni chaque année pour apprécier la mise en œuvre par les pilotes désignés des mesures du plan. L’OFDT a en charge de renseigner l’évolution des indicateurs et des cibles du plan. Une évaluation des résultats devait être effectuée par un prestataire externe pour mesurer, à mi étape puis, à échéance, l’efficacité de la politique conduite. Ce comité s’est réuni « sous la forme d’un comité interministériel de lutte contre les stupéfiants », contrairement à sa dénomination officielle, pour la première fois le 28 mai 2021. Des éléments d’évaluations sont annoncés pour 2022.

Faute d’une stratégie volontariste, les autres mesures portant sur l’accessibilité au produit, l’action sur les prix, les restrictions à la publicité, ou l’efficacité de la répression de l’alcoolémie au volant se sont avérées limitées, voire inexistantes, malgré leur impact démontré sur les comportements de consommation.

b) Des actions de promotion collective et individuelle à renforcer.

Le développement de la recherche et de la formation, comme le ciblage des messages de prévention vers les publics les plus à risques, dont les jeunes et les femmes, n’ont été que timidement promus par les pouvoirs publics.

On peut ainsi relever qu’en 2019, Santé publique France a publié de nouveaux repères de consommation : pas plus de dix verres par semaine et pas plus de deux par jour, avec des jours dans la semaine sans consommation ; une campagne de communication a été lancée sur ces nouveaux repères et autour de des risques méconnus de l’alcool (hémorragies cérébrales, cancers, hypertension…) ; un nouvel alcoomètre a été conçu pour estimer sa consommation sur le site Alcool Info Service. Santé publique France a réalisé des campagnes de marketing social en direction des femmes enceintes, de leur entourage et des professionnels de santé. Une campagne spécifique pour les jeunes « Amis même la nuit » a été menée durant l’été 2021.

En ce qui concerne la publicité en faveur de l’alcool, la loi Évin161, qui l’interdit en principe a été assouplie en 2015, pour ce qui concerne les contenus relatifs « au patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson alcoolique » qui ne seront désormais plus considérés comme de la publicité. De manière symétrique à ces allégements du dispositif, tout amendement pour durcir la loi Évin a été formellement écarté pour la durée du présent quinquennat.

161 Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme. Un article L. 3323-3-1 du CSP a été introduit pour atténuer la portée de l’interdiction de la publicité.

S’agissant du repérage précoce par le médecin de ville (repérage précoce et intervention brève – RPIB), quelques avancées sont à noter en revanche : une fiche sur cette procédure a été publiée 162 sur le site de la HAS et la Mildeca a élaboré un guide à destination des élus, décideurs publics et professionnels sur la stratégie de prévention des conduites addictives destinées aux jeunes163.

3 - La question du prix minimal toujours en attente d’une décision des pouvoirs publics

En revanche, l’efficacité de la fixation d’un prix minimum de l’unité d’alcool pur contenu dans chaque boisson164 pour réduire la consommation des personnes les plus dépendantes et en particulier celle des jeunes a été démontrée. Ce dispositif a déjà été mis en place avec succès en Écosse dès 2012, puis au Canada et bientôt en Irlande.

La Cour de justice de l’Union européenne, saisie en 2015 du projet écossais, a renvoyé aux juridictions nationales la question de savoir si le prix minimum est apte à atteindre les objectifs poursuivis en santé publique, et s’il n’existe pas de moyens moins restrictifs sur le commerce et la concurrence, comme la fiscalité, permettant d’atteindre ces objectifs165.

Ainsi, deux conditions cumulatives devraient être remplies, sous le contrôle des juridictions nationales, pour l’instaurer en France :

- d’une part, des objectifs de santé publique visant la consommation excessive d’alcool à bas prix (buveurs réguliers excessifs, malades ou dépendants) doivent être définis ;

- d’autre part, il faudrait démontrer que la baisse de cette consommation excessive ne serait pas atteinte avec les mêmes résultats par des mesures fiscales.

Or, si les taxes contribuent naturellement à la fixation du prix de vente des boissons alcoolisées, leur régime actuel, très contraint par les directives européennes, ne permet pas en France d’agir significativement sur la consommation des boissons les moins chères, en proportion de leur teneur en alcool.

C’est pourquoi, en avril 2019, une trentaine de médecins – addictologues, hépatologues et pneumologues – avaient réclamé que soit mis en place un prix minimum par unité d’alcool (soit 10 g) autour de 50 centimes d’euros, afin de diminuer les consommations excessives d’alcools bradés et de mauvaise qualité, par ailleurs souvent importés (ainsi, une bouteille de vin contenant 7 unités d’alcool atteindrait un prix de 3,50 €).

La même année, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) avait proposé dans un avis d’instaurer un prix minimum dans les lieux festifs, mesure rejetée par le ministère de la santé du fait de la complexité de son application dans certains lieux et pas dans d’autres.

162 https://www.has-sante.fr/jcms/c_1795221/fr/outil-d-aide-au-reperage-precoce-et-intervention-breve-alcool-cannabis-tabac-chez-l-adulte.

163 https://www.drogues.gouv.fr/actualites/lintervention-precoce ;

https://www.drogues.gouv.fr/publication/prevention-conduites-addictives-destinee-aux-jeunes.

164 Sheffield Alcohol policy model élaboré en 2010 et actualisé en 2012 par le Sheffield Alcolhol Research Group.

165 CJUE (2ème chambre), Scotch Whisky Association c/ Lord Advocate et Advocate General of Scotland.

Indépendamment du prix minimum, plusieurs autres mesures sur les prix pourraient être envisagées : l’interdiction des consommations à prix réduits à certaines heures (« happy hours ») dans les débits de boissons, un plus fort encadrement des débits de boissons temporaires, ainsi que celle des ventes à prix coûtant et le plafonnement des rabais promotionnels en grande surface.

4 - Une nécessaire relance

En juin 2021, l’Inserm a publié, à la demande de la DGS et de la Mildeca, une expertise collective166 actualisant les connaissances scientifiques sur l’alcool, ses effets sur la santé, ses niveaux et modalités d’usage ainsi que sur les stratégies de prévention efficaces. Il a appelé de ses vœux « plan d’action à mettre en place de façon urgente », pour offrir un environnement favorable à un changement des comportements à travers une prévention adressée à la population générale, avec aussi la prise en charge des consommateurs à risque et dépendants. Cette « feuille de route nationale » nécessitera « une volonté politique et un minimum de moyens associés », avec notamment des actions sur les prix (taxes ou prix minimum), des messages de prévention adaptés, une lutte contre le marketing (durcissement de la loi Évin et encadrement de la vente d’alcool) ainsi que l’intervention brève des professionnels de soins primaires, toutes mesures en parfaite adéquation avec les recommandations de la Cour de 2016.

Faute d’une relance appropriée des actions reconnues comme les plus efficaces pour diminuer les consommations nocives d’alcool (action sur les prix, la publicité et l’accès au produit, repérage précoce) notre pays risque de subir durablement l’impact de l’alcool sur les maladies chroniques. Dans cette perspective, un programme national interministériel de prévention du risque alcool a été annoncé en février 2021 ; il devrait s’appuyer sur l’expertise de l’Inserm.

Dans le document LA POLITIQUE DE PRÉVENTION EN SANTÉ (Page 96-100)

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