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Vers le milieu des années 1920, apparaît un mouvement réformateur et modernisateur, entraîné par les actions des « pionniers de l’éducation » (Moraes de Souza, 2006). Ceux-ci écrivent en 1932 le « Manifeste des pionniers de l’éducation nouvelle ». Devenant par la suite un des textes fondateurs de l’enseignement public brésilien, ce manifeste demandait l’adoption d’un système d’instruction publique, gratuit, obligatoire et laïque.

CHAPITRE 2. EDUCATION RURALE AU BRESIL

Avec l’arrivée au pouvoir de Getulio Vargas16, à la tête d’une république populiste, un ensemble de politiques publiques convergentes a permis la configuration de ce qui peut être considéré comme le premier système d’éducation nationale (Moraes de Souza, 2006). Notamment, la Charte Constitutionnelle de 1937 décrète que le premier devoir de l’Etat est d’assurer l’enseignement pré-professionnel et professionnel destiné aux classes sociales les moins privilégiées, au travers de la création d’institutions spécialisées ou en soutenant les initiatives des états, des communes et des associations privées. En milieu rural, ce sont les entreprises rurales (fazendas) et les syndicaux ruraux qui doivent prendre en charge cette formation (Mota, 2006).

L’intervention de l’Etat doit être comprise dans la perspective urbaine et industrialisante de l’Ere Vargas, la main-d’œuvre migrante (depuis le Nordeste notamment) devant posséder un minimum de qualification pour lui permettre de travailler dans les industries en plein développement (Moraes de Souza, 2006). Le concept d’éducation populaire apparaît, dans le sens de l’extension des écoles pour les fils de travailleurs. De grandes campagnes d’alphabétisation d’adolescents et d’adultes sont lancées, touchant presque 80% de la population adulte. Le discours ruraliste (entendu comme le discours des élites urbaines s’intéressant au milieu rural) défend entre autres la nécessité de préserver l’environnement : « Ces pauvres travailleurs ne se rendent pas compte du mal qu’ils se font à eux et à leur

descendants. Le Nordeste a eu ses forêts, et à cause de ses habitants, il est, aujourd’hui, désert » (Corrêa, 1936, apud Mota, 2006).

Les critiques envers ce modèle autoritariste, modernisateur et urbano-centré s’élèvent peu à peu, suggérant qu’il faudrait plutôt chercher à améliorer les conditions de vie des ruraux. Pour illustrer cette évolution, Pires de Oliveira (2006) reprend les termes de Fontoura qui propose en 1945 de transformer l’école dite traditionnelle en lieu d’activités diversifiées, pour répondre aux demandes des propres habitants du milieu rural : « Il est donc incontournable

de créer une nouvelle école rurale pour le Brésil, qui, tant par son organisation que par son fonctionnement, soit capable d’atteindre la noble finalité qui lui est inéluctablement fixée. Non seulement instruire le paysan, mais aussi lui donner une éducation, des habitudes hygiéniques, des connaissances sur les moyens et les formes de travail. L’école rurale doit apporter au petit paysan une nouvelle mentalité et ainsi contribuer de manière décisive à l’élévation du niveau de vie du milieu rural. La nouvelle école rurale doit être organisée comme noyau actif de vie et de travail intelligent » (Fontoura, 1945) (p 97).

16Getulio Vargas arriva au pouvoir en 1930 par coup d’état, il est ensuite resté au pouvoir par changement de la Constitution jusqu’en 1945, puis fut réélu en 1951.

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Institutionnalisation de politiques d’éducation rurale (1946-1960)

L’après-guerre a été surtout marqué par la coopération internationale, qui apparut comme le nouveau paradigme central des nations pour combattre ensemble le «sous-développement». Sous l’impulsion du Projet Principal pour l’Amérique Latine et des Séminaires Interaméricains d’Education (notamment promus par l’UNESCO, fondée en 1945), les systèmes nationaux d’éducation se réorganisent progressivement. Au Brésil, la Constitution de 1946 institue l’éducation gratuite et laïque pour tous. En 1949, le Brésil est choisi comme lieu de rencontre pour le Séminaire Interaméricain d’Education, grâce au grand nombre d’initiatives d’éducation pour adultes. Notamment, suite à la Campagne Nationale d’Education pour Adultes et Adolescents de 1947, le pays devient une référence internationale en matière d’alphabétisation. Ce Séminaire de 1949 a permis de discuter, planifier et systématiser les premières orientations pour des pratiques d’educação rural. Notamment, des principes communs sont fixés pour l’éducation des populations rurales et indiennes (Moraes de Souza, 2006). Ces orientations allaient être prédominantes tout au long des années 1950 : une Campagne Nationale d’Education Rurale est lancée en 1952, avec des « missions rurales » pour créer des Centres Sociaux Communautaires et développer une pédagogie de l’éducation (Silva, 2000).

L’alphabétisation devient une fin politique, lié à un modèle de développement (Prebisch, 1963). L’analphabétisme des populations indigènes et paysannes de l’Amérique Latine est vu comme un obstacle à la réalisation de la mission historique du continent, celle de la construction d’une « culture américaine » et de l’amplification de la coopération panaméricaine. L’objectif de l’educação rural et de l’alphabétisation est alors d’intégrer l’homme rural à la société au travers d’actions solidaires, de coopération et par la division du travail. Les relations sociales devaient être encouragées par l’étude des langues, des lois économiques et sociales (coopérativisme), par l’éducation civique (comportements sociaux à adopter au travail, au syndicat, dans la famille), par l’éducation « récréative » (contre l’ « oisiveté ») et par une formation technique pour donner à l’individu un statut constructif dans la société, par l’adaptation aux techniques agricoles modernes (Moraes de Souza, 2006). Damasceno et Beserra (2004) font remarquer que paradoxalement, l’Etat commence à vraiment s’intéresser à l’éducation rurale au moment où tous les espoirs étaient placés dans le développement industriel. Le rural était considéré comme une catégorie qui allait disparaître avec le développement industriel, « le campo est une division socioculturelle qu’il faut dépasser, et non maintenir » (Abraão, 1989).

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La coopération internationale a aussi impulsé le début des grands programmes de vulgarisation rurale (extensão rural17). Par exemple, l’Association Brésilienne d’Assistance Technique et d’Extension Rurale (ABCAR), créée en 1956 dans le but de coordonner les différents programmes d’extension et de capter des ressources techniques et financières, était subventionnée par des organisations de « coopération technique » directement liées au gouvernement américain (IIAA, ICA, AID, Alliance for Progress18, etc.) ou à des grandes entreprises américaines (Fondation Ford, Rockefeller, Kellogg, etc.). Cette stratégie permettait, suite à la deuxième guerre mondiale, d’assurer un approvisionnement sûr en aliments et matières premières. Certains auteurs considèrent que l’extensão rural, tirée par des intérêts de marché, était beaucoup plus efficacement organisée que l’éducation scolaire (Damasceno et Beserra, 2004).

Cependant, les réactions se font sentir : face à cette modernisation capitaliste accélérée, on assiste à l’irruption, en milieu rural, d’un ensemble de manifestations et actions collectives de contestation dues à l’expulsion de terre et à la perte de droits des travailleurs ruraux (Moraes de Souza, 2006). Presque simultanément, à différents endroits du Brésil, apparaissent des mouvements paysans organisés : en 1950, le MASTER (Movimento dos Agricultores Sem Terra – Mouvement des Agriculteurs Sans Terre), dans le Rio Grande do Sul (région Sud) ; en 1954, l’ULTAB (União dos Lavradores e Trabalhadores Agricolas do Brasil – Union des Ouvriers et Travailleurs Agricoles du Brésil) à Rio de Janeiro et São Paulo (région Centre) ; et en 1955, les LIGAS CAMPONESAS (Ligues Paysannes) dans le Pernambouco et la Paraiba (région Nordeste)19 (Silva, 2000). Dès leur début, ces organisations ont été dénoncées et combattues par les programmes officiels d’extensão rural et d’educação rural (Moraes de Souza, 2006), mais elles allaient profondément modifier le paysage de l’éducation rurale dans les décennies suivantes.

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Les brésiliens ont directement importé « extensão » de l’anglais “extension”, textuellement “prolongement”, qui désigne la diffusion de savoirs par des universités ou agences de développement. En français, c’est le terme vulgarisation qui était le plus communément utilisé à la même époque.

18 IIAA : Institute of Inter-American Affairs ICA : International Cooperation Agency AID : Agency for International Development

Alliance for Progress : programme de coopération mis en place par Kennedy en 1961 pour rapprocher Amérique du Nord et Amérique du Sud. Elle fut abandonnée en 1973 par Nixon.

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Notons cependant que de nombreux auteurs des années 1960 (Juarez Brandão Lopes, Alain Tourraine, Fernando Henrique Cardoso et Azis Simão) ont suggéré que la forte présence rurale au sein du prolétariat émergent fragilisait son organisation et sa conscience de classe, facilitant le contrôle des syndicats par l’Etat (Ricci, 2004).

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2.1.2 Bipolarité (années 1960-1980) : éducation officielle versus éducation

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