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Quelques dynamiques sont pourtant en cours, lié au dynamisme de certains préfets et entrepreneurs. En 1990, les préfets du territoire fondent une association (AMCAP : Association des Municipalités du Cariri de la Paraíba) pour défendre ensemble leurs intérêts. A partir de 2002, l’AMCAP soutient notamment un projet proposé par le SEBRAE, dans le cadre des projets DLIS (voir 1.1.3) : le Pacto Novo Cariri, qui visait à stimuler l’élevage caprin, au travers de la mise en place d’usine à lait et d’artisanat de cuir.

Ces dynamiques territoriales intéressent le SDT qui sélectionne le Cariri pour faire partie de son programme de territoires pilotes (parmi trois sélectionnés dans la Paraíba). Un Forum de Développement Durable du Cariri est mis en place en 2003, définissant une arène où se rencontrent gouvernants politiques et société civile.

A partir de 2005, différents axes prioritaires ont été définis : élevage caprin, fournitures et assistance technique, éducation en milieu rural, artisanat et commercialisation, environnement, sécurité hydrique.

D’abord intéressés, les préfets se sont rapidement désistés quand ils se sont rendus compte qu’il s’agissait d’une vraie arène de discussion où ils ne pourraient pas imposer leurs vues. Les discussions ont donc continué sans eux, mais les budgets alloués ne pouvant être

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Les Syndicats de Travailleurs Ruraux (STR) de chaque municipalité choisissent un syndicat auquel s’affilier. La règle dans les municipalités rurales est de s’affilier à la FETAG, qui elle-même se rallie à la CUT. Cependant, dans la Paraíba, la FETAG appuie le gouvernement de droite, le PSDB, alors que la CUT est plutôt liée au PT (le

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dépensés que par l’intermédiaire d’un partenariat municipal, les plus ouverts d’entre eux ont progressivement accepté de mettre en place des partenariats. Cependant, peu sont ceux qui jouent vraiment la carte territoriale. Lorsqu’ils financent la moitié d’un projet, ils continuent à le présenter comme un projet de leur municipalité uniquement.

Malgré tout, plusieurs actions ont déjà été menées par le biais du Forum : construction d’un centre de documentation, mise en place d’une pépinière, marché bio, projet de construction d’un centre de formation pour les agriculteurs familiaux. Nous reviendrons sur ces investissements dans la partie 3, ces choix ayant été en grande partie orientée par l’Université Paysanne et ses étudiants.

A la demande des assentados, un Forum dos Assentados a aussi été mis en place, permettant aux habitants des périmètres de réforme agraire de discuter directement avec les institutions gouvernementales, comme l’INCRA, ou avec les banques. Nous développerons cet exemple dans le Chapitre 9 car l’association des étudiants de l’UniCampo a eu une grande influence dans ce processus.

Ainsi, bien que le Cariri ait pu être considéré il y a quelques années encore comme un territoire manquant de capital social et de dynamisme interne, une évolution positive des dynamiques est en cours, suite à l’expérimentation de politiques publiques. La Figure 1.2 présente les différentes organisations présentes dans le territoire, montrant bien la complexification du paysage institutionnel, avec l’espace donné aux entreprises de service et aux mouvements sociaux, la prise en compte des communautés rurales et l’apparition d’arènes de négociation et de gouvernance.

parti des travailleurs de Lula). De nombreux STR de la Paraíba sont donc affiliés directement à la CUT, ne voulant pas appuyer la FETAG.

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Figure 1.2. Paysage institutionnel et dispositifs de gouvernance dans le territoire du Cariri

Administration et organismes gouvernementaux présents dans le territoire

Régulation Type PDHC INCRA Université fédérale EMATER EMBRAPA Technique Social Politique Education Ecole technique Economique Préfectures Représentation du gvt fédéral Députés d’état

Députés fédéraux Université d’état

Offre Société Civile Technique Organisation sociale Education Besoins Groupes cibles Assentamentos Communautés rurales Finances, marchés Secteur Professionnel Offre Assistance technique Mobilisation sociale Marchés Organismes Type Crédits Formations Cariri Leite BNB CUT FETAG Coopagel Holos Amas Entreprises Coopératives Syndicats ONG Arribaçã

Arènes de négociations, de gouvernance

Forum dos assentados Forum de développement durable STR Sebrae Cendov Coopercou Politiques publiques Supervision des contrats Conseils municipaux de

développement rural Pacto Novo Cariri Associação de municipios do cariri occidental SUDENE Vinculus UniCampo AAUC

En 2008, les participants du Forum ont négocié une redéfinition du territoire fixé par le SDT, pour revenir à deux territoires : le Cariri Occidental et le Cariri Oriental. Andrade et Yamamoto (2006) considèrent qu’il ne s’agit pas d’une motivation identitaire, mais de raisons opérationnelles et financières : les distances sont importantes, les routes mauvaises, rendant difficile l’accès des participants aux forums. Les participants du Cariri Oriental participaient assez peu et la majeure partie du budget était allouée au Cariri Occidental, dont les représentants relayaient mieux les projets auprès des municipalités. D’ailleurs, l’argent attribué par le MDA à un territoire est le même quelle que soit la taille du territoire, donc un grand territoire comme le Cariri est défavorisé. Ces considérations confirment que pour porter des projets de développement, un territoire doit présenter une perspective opérationnelle. Selon Rochman (2008), les dynamiques territoriales ont été réellement appropriées par les acteurs, même ceux des catégories sociales les moins favorisées. Elle attribue cette motivation au fait qu’il y avait très peu de structures préexistantes au Forum du Territoire. Celui-ci a donc ouvert un espace important, face aux élites politiques. Une des hypothèses que nous avançons est que ces dynamiques ont été possibles en partie grâce à la mise en place de l’UniCampo. Dans la Partie 3. Résultats, nous analyserons quel a été le rôle des étudiants dans ces dynamiques.

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1.2.3 Interactions entre dynamiques agricoles et sociales

Après avoir présenté l’évolution de manière chronologique, nous cherchons à comprendre comment l’arrivée des différentes institutions s’est réalisée dans le territoire, notamment pour voir les différentes dynamiques agricoles et sociales qu’elles ont provoquées.

Pour préciser les dynamiques institutionnelles au sein du territoire, nous nous appuyons sur les résultats d’un zonage réalisé par Piraux et Coudel (2007), à partir de l’étude de documents (Bazin et Cardim, 2003; IBGE, 2000; Sayago, 2006; SDT/MDA, 2007) et d’entretiens avec différents acteurs ayant une expertise sur le territoire11. A partir de ce zonage, nous avons réalisé deux cartes pour illustrer les dynamiques territoriales. La Figure 1.3 présente la répartition des activités agricoles dans le Cariri, mettant notamment en avant les bassins laitiers et les zones de production maraichère. La Figure 1.4 montre comment l’arrivée des différents mouvements sociaux s’est faite et leurs zones d’action.

Au-delà des simples facteurs démographiques (attraction par les pôles urbains de Campina Grande et Monteiro, et développement le long des routes nationales), les dynamiques territoriales sont marquées par des zones de production agricole spécialisée, déterminées par des facteurs topographiques (Figure 1.3). Dans les zones plus en altitude, des micro-bassins de production se sont développés : au nord, autour de Taperoa, à l’est, autour de Boqueirão et à l’ouest, autour de Prata. A Boqueirão et Taperoa, c’est surtout de l’élevage laitier. Celui-ci est stimulé par la présence de deux usines privées de stérilisation de lait. Autour de Prata, c’est de l’élevage mixte bovin-caprin. Traditionnellement, l’élevage caprin est plutôt destiné à la viande. Le Pacto Novo Cariri a encouragé la mise en place d’élevage caprin pour le lait, avec la création de petites unités de stérilisation, gérées par les associations d’agriculteurs. Quelques autres usines de transformation ont été mise en place dans le cadre du programme Fome Zero, de manière privée : le gouvernement assure l’achat du lait pour la distribution dans des programmes sociaux. Les agriculteurs ne peuvent pas livrer plus de 50 litres de lait par personne, ce qui favorise la petite production. Ainsi, entre Sumé, Prata et Monteiro un pôle de lait de chèvre se met progressivement en place.

11 Nous avons réalisé un entretien avec Auxiliadora , ex-articulatrice du territoire, et avec Alexandre Eduardo de Araujo, qui a rédigé le Plan de Développement Territorial du Cariri.

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Figure 1.3. Structure productive du territoire du Cariri12

Sumé Monteiro São Sebastião de Umbuzeiro Serra Branca Camalau Campina Grande Légende: Micro-bassin laitier Zone d’irrigation

Confection d’habits Influence de l’industrie textile Usine du Programme Lait Usine de lait privée Pôle urbain attractif

Taperoa Soledade Boqueirão Cabaceiras São João do Cariri

Figure 1.4. Mouvements sociaux dans le territoire du Cariri

Sumé Monteiro São Sebastião de Umbuzeiro Igreja, CPT, CUT, AMAS Serra Branca ASA, PATAC, ASPTA Camalau Polo sindical Borborema Campina Grande STR Légende:

Mouvements sociaux Influence des mouvements Assentamento (périmètre de réforme agraire)

Pôle urbain attractif

MST FETAG Igreja, PATAC Taperoa Soledade Boqueirão Cabaceiras São João do Cariri 12

Cartes réalisées par l’auteur à partir de l’étude réalisée par Piraux et Coudel (2007).

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L’autre activité importante du territoire est la production de légumes dans des zones irriguées le long du Rio Paraiba, où plusieurs grands açudes13 ont été construits depuis les années 1960, à Sumé, Congo, et Boqueirão. Cette activité a été très importante pendant les années 1960 et 1970, mais l’intensification excessive a mené à la salinisation des sols et à des problèmes de nématodes ; la majorité des exploitations ont fait faillite. Quelques grands exploitants sont encore installés, mais globalement, il s’agit surtout de petits et moyens producteurs. Par ailleurs, cette production pose des problèmes de pollution des eaux en raison de l’utilisation intensive de produits phytosanitaires et de fertilisants. C’est pourquoi des projets pour encourager l’agroécologie sont discutés au sein du Forum du Territoire.

Les dynamiques sociales sont déterminées à la fois par cette spécialisation agricole et par l’influence de dynamiques extérieures au territoire (Figure 1.4). Les syndicats sont notamment implantés dans les zones de production laitière. La région de Boqueirão, où se superposent l’activité laitière et le maraîchage, est sous l’influence grandissante du Pôle Syndical de la Borborema, une région située au nord-ouest où il existe une petite agriculture très dynamique. Au nord, autour de Taperoa, c’est la FETAG, très ancrée dans le Medio Sertão qui étend sa présence. A l’ouest, c’est le MST qui arrive depuis la région du Pajeu dans le Pernambouco, région où il existe un fort dynamisme social. Seule la CUT, au sud, est implantée depuis longtemps, en raison d’un leader revenu de São Paulo au début des années 1980 après avoir côtoyé les syndicats ouvriers. Les ONG (dont les mouvements liés à l’Eglise Catholique) sont encore assez localisées, mais commencent à se diffuser. Le PATAC qui est fortement implanté à Soledade se développe vers São João et Serra Branca. L’AMAS, une ONG américaine, est implanté uniquement à Camalau, même si elle a des actions ponctuelles vers les municipalités au sud.

Le Cariri, longtemps « oublié », commence donc à susciter l’intérêt de différents mouvements sociaux des régions voisines. Ceci place le Cariri comme terrain d’affrontement entre mouvements, ce qui débouche sur des relations assez tendues au sein du Forum du Territoire, ou bien au sein du programme de mobilisation sociale du Projet Dom Helder Camara, notamment entre syndicats opposés.

Les dynamiques sociales sont particulièrement développées au sud-ouest du territoire, probablement dues à la conjonction de trois facteurs :

- La présence des villes pôles de Monteiro et Sumé, où s’installent les organismes gouvernementaux (SEBRAE, PDHC),

- Les mouvements sociaux sont les plus forts (MST, CUT, ONG),

- Les préfets sont plus ouverts, car ils gouvernent des villes plus grandes et subissent

13 ‘açude’ est le nom générique donné à un bassin artificiel de rétention d’eau (grâce à un barrage) : il peut s’agir d’un étang sur une propriété ou bien d’un grand lac artificiel capable de fournir toute une région en eau potable.

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l’influence des mouvements sociaux.

L’effet visible de ces dynamiques sociales est la présence de périmètres de réforme agraire. Entre 1996 et 2000, 14 périmètres de réforme agraire ont été créés. D’autres sont en cours de création. Environ 30 000 ha ont été appropriés et plus de 1000 familles installées. L’implantation des petites usines de lait (en principe autogérée, même si il y a souvent récupération politique) montre aussi le dynamisme des mouvements.

Ces mouvements sociaux participent également activement aux Forums qui se développent dans le territoire car ceux-ci leur offre des opportunités d’action. Syndicats et ONG se posent comme la voix d’une grande majorité de la population, la population rurale. Les populations rurales ont également le droit d’être présentes dans les Forums, grâce à des places pour les associations de communautés. Cependant, il est souvent intimidant pour un représentant d’une communauté rurale de parler dans ces Forums. Qu’ils soient représentants d’ONG, représentants de communautés rurales ou élus locaux, les différents acteurs ont besoin d’apprendre à négocier ensemble dans ces arènes, à échanger leur point de vue, à construire des projets pour le territoire. Il s’agit d’un défi de taille, notamment dans un territoire où le niveau d’éducation est faible et les asymétries de pouvoir importantes.

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Le Cariri hérite d’une situation difficile, où crises sociales, économiques et environnementales se combinent. Il doit relever les défis de lutter contre la désertification rampante, tout en dynamisant l’économie. C’est un territoire en marge, partagé entre différentes influences extérieures, avec peu de dynamiques endogènes. Cependant, l’arrivée du Projet Dom Helder Camara et les dynamiques insufflées par la mise en place du Forum du Territoire tirent progressivement le Cariri de l’ « oubli ». Pour que ces dynamiques mènent à un développement territorial, il est nécessaire que tous les acteurs du territoire se sentent concernés par ce projet et soient à même d’y prendre part. Comment mobiliser les populations rurales autour d’un projet ? Comment leur permettre d’avoir les capacités nécessaires à leur insertion économique, tout en ayant conscience de la nécessité de préserver l’environnement ?

Nous verrons dans le prochain chapitre comment de nouvelles politiques d’éducation rurale, impulsées par les mouvements sociaux, cherchent à repenser la manière d’accompagner les acteurs ruraux.

Chapitre 2

Education rurale au Brésil : un