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2.3  La troisième étape : lecture et analyse par les gestionnaires des récits de

2.3.2  La rencontre de partage et de dialogue pour construire un sens collectif au

La première activité de lecture, d’analyse et d’interprétation de récits d’autres col- lègues et du sien étant vécue dans un dialogue virtuel, une seconde activité de la démarche réflexive conviait tous les gestionnaires à vivre un dialogue interactif face à face pour par- tager et approfondir leurs réflexions.

Cette deuxième activité de coconstruction d’un sens collectif axé sur le savoir-être humaniste enraciné dans la pratique d’un leadership démocratique s’est échelonnée sur une période de près de 48 heures, du 26 au 28 février 2010. Elle avait pour premier objectif de

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permettre aux membres des trois équipes, formées lors de la première activité, de partager verbalement leur analyse et interprétation des récits de pratique de leurs collègues. Le deu- xième objectif consistait à mettre en commun ce travail et de tenter une première identifica- tion collective des composantes d’un savoir-être humaniste enraciné dans l’exercice d’un leadership démocratique. Un troisième objectif avait comme finalité de consolider la com- munauté d’apprentissage. Il ne faut pas oublier que le processus d’apprentissage d’une dé- marche réflexive vécue par les gestionnaires est aussi important que le résultat de cocons- truire un modèle du savoir-être humaniste. En effet, non seulement les gestionnaires contri- buaient à cette coconstruction, mais ils auront appris à continuer dans leur vie profession- nelle à se donner du temps pour réfléchir sur leur pratique.

Puisqu’il s’agissait de la première rencontre en personne de l’ensemble des partici- pants à la recherche, il nous est apparu important de prendre le temps et le soin de créer une atmosphère propice au partage et à l’ouverture. Nous avons choisi de tenir cette rencontre sur un site de villégiature situé en pleine nature où nous nous sommes retrouvés du vendre- di soir au dimanche midi. Après un repas à discuter de façon informelle, les gens ont été invités à une prise de contact plus structurée. Chacun devait résumer son cheminement pro- fessionnel, de ses études universitaires à l’emploi actuel. Ils complétaient leur présentation en décrivant leur motivation à participer à cette recherche. Suite à cela, nous avons présenté le déroulement du weekend et nous leur avons rappelé quelques éléments importants : le respect de la confidentialité, leur rôle à titre de cochercheur et les objectifs visés. À cause d’une panne d’électricité, la discussion du vendredi soir s’est terminée à la chandelle. Un

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participant avait apporté des fromages et du vin, ce qui a également contribué à la construc- tion d’un bon esprit d’équipe et d’un climat d’échange chaleureux et détendu, ce qu’il nous semblait important d’obtenir pour amorcer cette rencontre d’échange sur les récits.

La journée du samedi a été consacrée à l’analyse et l’interprétation des récits de pra- tique en compagnie de leurs coéquipiers. Dans l’intention de permettre aux gestionnaires de bien situer le but des discussions qui auraient lieu dans la journée, de saisir le contexte plus global dans lequel ces échanges s’inscrivaient et de bien comprendre leur contribution à titre de cochercheur, nous avons fait une présentation de ce qu’était l’exploration réflexive et le concept de la science action. Nous avons enchaîné avec une autre courte présentation théorique qui portait sur le groupe de dialogue : ses origines et sa nature, les habiletés et les activités qui en favorisent la richesse ainsi que les règles de fonctionnement. Pour assurer un bon transfert de ces notions dans l’action, nous avons ensuite mis en pratique, lors d’un deuxième moment de l’avant-midi, la technique du cercle de dialogue, en faisant usage d’un bâton de parole déposé au centre du cercle, autour de la question suivante : comment décririez-vous votre expérience d’écriture de votre récit et de lecture de celui de vos col- lègues ? Il nous apparaissait important de leur permettre d’échanger sur ce sujet, avant de les lancer dans la discussion sur les récits de pratique, puisqu’ils avaient chacun vécu de façon intensive ce travail de réflexion et d’analyse.

Un troisième moment de l’avant-midi a porté sur un travail collectif d’analyse et d’interprétation effectué par les trois équipes de gestionnaires pour approfondir les récits de

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chacun. Nous avons alors attribué à chaque équipe (triade ou dyade) un local où les ges- tionnaires pouvaient discuter en toute confidentialité sur leur travail d’analyse et d’interprétation des récits accompli lors de la première activité. Nous les avons invités à dialoguer autour d’un récit à la fois, donnant d’abord successivement la parole aux deux partenaires avant que l’auteur du récit présente à son tour sa propre analyse et interprétation de son récit. Nous avons également suggéré aux gestionnaires d’échanger en suivant les trois pistes de discussion qui avaient guidé leur travail lors de la première activité : 1) indi- quez les passages qui font du sens pour vous, livrez vos réflexions, partagez votre compré- hension du récit en question ; 2) nommez les valeurs humanistes qui ressortent de ce récit selon vous ; 3) communiquez le titre que vous avez attribué à ce récit et le pourquoi. Après ce premier dialogue sur le récit du membre #1, chaque cellule devait ensuite procéder de la même façon avec les deux autres coéquipiers. Dans le cas de la dyade, nous avons agi comme troisième membre en livrant notre analyse et notre interprétation sur les deux récits. Pour les fins de la recherche, les discussions qui se sont déroulées dans les trois équipes ont été enregistrées dans leur intégralité sur support audio afin d’en faire une analyse de conte- nu qui fera l’objet de notre quatrième chapitre.

Après le dîner, tout le groupe fut réuni pour recevoir de nouvelles instructions de notre part. Après s’être assuré que les trois périodes de dialogue s’étaient bien déroulées, nous avons proposé aux gestionnaires de vivre en solitaire une période d’incubation afin de décanter tout le matériel qui avait fait l’objet de discussions en avant-midi, laissant ainsi l’inconscient faire son travail (Barker 1999). Nous leur avons rappelé que l’exercice qu’ils

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venaient de vivre, soit d’être en contact avec la perception des autres à son égard, était une activité très riche, mais également susceptible de faire naître de fortes émotions et des ré- flexions profondes. Nous les avons invités à prendre deux heures pour eux-mêmes en fai- sant une activité physique à l’extérieur. Nous les avons informés qu’au retour ils auraient l’occasion de faire un bilan plus approfondi de la matinée.

De retour à l’intérieur, les gestionnaires ont été conviés à une activité synthèse axée sur leur créativité. Chacun a eu pour tâche de monter une affiche présentant les principales valeurs humanistes extraites de leur récit de pratique suite à l’échange du matin avec leurs partenaires. Sur un grand carton, ils devaient inscrire le titre donné à leur récit et illustrer chacune de leurs valeurs par une image, un dessin ou un mot en lettrage stylisé. De nom- breux magazines et tout un attirail d’équipement de bricolage ont été mis à leur disposition. Cette technique de bricolage en silence permet de faire appel à l’hémisphère droit, qui est le siège de la synthèse (Demory, 1990). Une bonne partie des activités de l’avant-midi avait particulièrement recours au cerveau gauche : s’intéresser aux composantes ; analyser les parties ; traiter en séquences ; faire appel à la logique et au verbal (William, 1986). Pour sa part, l’activité de création de l’affiche reposait sur les caractéristiques de l’hémisphère droit : intégrer les parties en un tout, organiser dans des ensembles ; rechercher les struc- tures et les relations ; traiter simultanément et par analogie (William, 1986). En faisant ainsi plus spécifiquement appel à la créativité et à la synthèse en après-midi, nous cherchions à créer une expérience plus holistique, ce qui est l’une des caractéristiques de l’exploration réflexive selon Marchand (2000). Nous voulions ainsi favoriser chez les gestionnaires une

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exploration plus complète de leur monde intérieur, peu importe la dominante (hémisphère gauche ou droit).

La présentation des affiches a eu lieu après le souper. À tour de rôle, chacun des gestionnaires devait présenter sa création à tout le groupe et en expliquer les différentes composantes. Suite à cela, on se gardait une minute de silence afin de mieux s’imprégner du contenu de l’affiche. Les cochercheurs (nous incluant) étaient ensuite invités à question- ner, commenter, réagir à la présentation de leur collègue. Nous avions prévu 15 à 20 mi- nutes par personne, mais les échanges ont été si riches et tellement intéressants que nous avons plutôt pris le double du temps. D’un commun accord, nous avons repoussé au len- demain matin les trois dernières présentations d’affiche. Tous ces échanges ont été enregis- trés sur support sonore pour une analyse de contenu ultérieure et les affiches ont été prises en photos et feront l’objet d’une présentation au quatrième chapitre.

Comme prévu, la première moitié de la matinée du dimanche a permis de compléter la présentation des affiches. Par la suite, nous avons tenu un cercle de dialogue sur la ques- tion suivante : « À quels signes peut-on reconnaître un savoir-être humaniste dans la pra- tique d’un leadership démocratique ? ». Ce fut un dialogue des plus intéressants qui nous aura permis de compléter nos échanges sur le sujet et de faire en quelque sorte un bilan de cette rencontre de deux jours. La fin de l’avant-midi a été réservée à la présentation et la mise en place du journal de bord, dont il est question dans la section suivante, ainsi qu’à l’évaluation de cette rencontre de partage et de dialogue.

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Au terme de ce weekend de réflexion et de partage en groupe, nous avons senti qu’une communauté d’apprentissage était née. D’un rassemblement d’individus qui se con- naissaient à peine, sinon virtuellement, nous étions maintenant face à un groupe de per- sonnes qui avaient eu l’occasion d’échanger et d’apprendre sur leur savoir pratiqué dans un esprit de concertation, de recherche de points en commun mais aussi de confrontation cons- tructive. Appuyé par notre expérience d’accompagnement d’un bon nombre d’équipes en mode de communauté d’apprentissage, nous avions dès lors le sentiment que ce groupe était particulièrement doué pour l’apprentissage collaboratif, de par sa façon de développer, partager et construire un savoir collectif. Ce sentiment était partagé par l’ensemble des ges- tionnaires comme en témoignent les propos tenus lors de la période de feed-back sur ces deux jours. Certains ont même explicitement dit qu’ils avaient l’impression de dire au re- voir à des collègues de longue date.