• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 : Le Taiping jing ′l眠 (CTT 1101, juan n° 35 à 119)

2.4. Historique

2.10.7. Remarque concernant le champ lexical du TPJ

Un des apports remarquables de la série des concordances publiées par The Chinese

University of Hong Kong est l’inventaire des caractères de chaque texte classés selon leur occurrence

qui est inclus en annexe à ces volumes sous le titre de quanshu yongzi pinshu biao ゃ七こッ搶圄 拠. Pour chaque titre de la série, cet inventaire indique le nombre total de caractères du texte considéré (quanshu zong zishu ゃ七栞ッ圄) puis propose l’éventail des caractères singuliers

utilisés (table intitulée danzi zishu 廷ッッ圄), autrement dit son champ lexical 149

.

Le tableau figurant à la page suivante regroupe ces deux données pour une vingtaine de titres de la série. Dans les colonnes [A] et [B], le chiffre entre parenthèse indique le rang, par ordre décroissant de valeur. Le classement adopté est celui déterminé par le quotient [A/B] (c’est-à-dire l’occurrence moyenne ou l’ “indice de répétition”) indiqué par la troisième colonne, selon l’ordre décroissant. En vertu des lois numériques, les progressions exprimées dans les colonnes [A] et [B]

impliquent une progression de la colonne [A/B] suivant globalement celle de la colonne [A] 150

. Le tableau montre que le Huainan zi, par exemple, malgré sa longueur, jouit d’un coefficient de

147. Ce passage figure dans le paragraphe final du chapitre n° 103/168 du TPJ [472.1-3] et dans le TPJC, avec quelques variantes (CTT 1101 {033}, 7 : 2a). Wu en tire aussi argument pour souligner l’ancienneté du schème prosodique en sept caractères.

148. YU Liming ed. {542} signale systématiquement tous les passages obéissant à une métrique régulière — par exemple, huit phrases heptasyllabes, p. 156 — et indique également les rimes.

149. Puisqu’en langue chinoise classique, bien sûr, l’unité lexicale de base est le “caractère” (zi ッ) bien plus que le “composé” (ci 汎) auquel renvoie la terminologie de la langue moderne (“lexique” se dit cihui 汎斧).

150. Progression de 6 692 à 216 119 pour la colonne [A] (soit un coefficient d’environ 32,3) et de 776 à 4 208 pour la colonne [B] (soit un coefficient d’environ 5,4 seulement). Les textes qui n’apparaissent pas à leur place dans la colonne [A] constituent donc des cas remarquables : les n° 3, 10 et 16 (indice de répétition “plutôt bas”), et les n° 9, 13 et 17 (“indice de répétition plutôt élevé”) ; les autres cas (décalage d’un rang) ne sont pas significatifs.

répétition relativement bas témoignant d’un “vocabulaire varié”, ce que confirme par ailleurs le

champ lexical indiqué par la colonne [B], 4 208 caractères, le plus riche de la sélection 151

.

ゃ七栞ッ圄 廷ッッ圄

texte [A] [B] [A/B]

TPJC-TPJ (CTT 1101) 216 119 (1) 2 127 (15) 101,6 Chunqiu Zuozhuan 倹控i賓 195 792 (2) 3 290 (2) 59,5 Zhanguo ce 很髄芭 122 529 (4) 2 774 (6) 44,2 Lüshi chunqiu л〓倹控 101 411 (5) 3 115 (3) 32,6 Huainan zi 捉斤: 133 827 (3) 4 208 (1) 31,8 Xunzi 消: 75 815 (6) 2 726 (7) 27,8 Chunqiu fanlu 倹控桀皰 61 753 (9) 2 248 (12) 27,5 Guoyu 髄剞 70 472 (7) 2 643 (8) 26,7 Zhuangzi 蛋: 65 406 (8) 2 937 (5) 22,3 Baihu tong ず居貯 49 564 (11) 2 231 (13) 22,2 Mengzi 街: 35 417 (13) 1 913 (17) 18,5 Da Dai liji .斫麾蕉 38 597 (12) 2 259 (11) 17,1 Yantie lun 站皃寶 50 155 (10) 2 995 (4) 16,7 Zhouyi 塊桓 21 055 (17) 1 363 (18) 15,4 Shanhai jing `錫眠 31 395 (14) 2 061 (16) 15,2 Liezi ょ: 30 900 (15) 2 329 (10) 13,3 Lunyu 寶剞 15 935 (18) 1 355 (19) 11,8 Taixuan jing ′き眠 24 252 (16) 2 166 (14) 11,2 Sunzi 暫: 6 692 (20) 776 (20) 8,6 Chuci 慕燵 15 207 (19) 2 376 (9) 6,4

151. Cette approche statistique ne permet évidemment pas de savoir si cette richesse reflète une certaine recherche stylistique, ou bien un vocabulaire technique très spécialisé, etc.

Encore faut-il interpréter ces données correctement, en fonction du renseignement que l’on recherche. Pour ce qui concerne le champ lexical indiqué par la colonne [B], la place du Huainan zi en tête du classement ne surprend pas quand on sait que cet ouvrage collectif a été conçu comme une somme de savoir éclectique. Par contre, la seconde place du Chunqiu Zuozhuan (3 290) provient, au moins en partie, de la multitude de noms de personnages et de toponymes que mentionne cette chronique, son champ lexical réellement significatif étant certainement plus proche des chiffres des textes classés immédiatement après lui.

À l’autre bout du classement selon cette colonne [B], la dernière place du Sunzi (776 caractères différents) ne s’explique pas uniquement par un vocabulaire sans doute réduit — après tout, il s’agit d’une monographie — mais aussi par un nombre total de caractères assez restreint ; un texte de moins de sept mille mots peut difficilement revendiquer un champ lexical comparable à celui d’un texte de plus de cent mille mots, pour des raisons évidentes : tous les termes du langage courant (particules, etc.), mots qui sont communs à toute la production littéraire d’une période et d’une famille stylistique données, “consomment” nécessairement une proportion élevée du nombre total de caractères 152

.

Il n’est pas non plus inutile de rappeler que ces statistiques ne distinguent pas, dans plusieurs cas, le “texte maître” des gloses qui lui sont traditionnellement associées 153

; elles sont donc sans valeur du point de vue de l’histoire littéraire.

Pour ce qui concerne le TPJ, ces données sont basées sur l’édition établie spécialement pour cette concordance : elles tiennent donc compte du TPJC pour les cinq sections manquantes et intègrent les corrections effectuées par les auteurs, mais ignorent les citations réunies par Wang Ming dans le TPJHJ. Le tableau montre que le TPJ totalise le plus grand nombre de caractères de l’échantillon, 216 119 (colonne [A]), mais ne se classe qu’en quinzième position pour le champ lexical avec seulement 2 127 caractères différents (colonne [B]), présentant logiquement le

152. Un discours (oral ou écrit) ne saurait être entièrement composé de mots à occurrence unique — sauf dans le cas d’exercices de style spécialement conçus à cet effet ou de pièces de vers. Ceci est d’autant plus évident concernant un texte extrêmement long comme le TPJ, dont le caractère le plus fréquent (zhi \) totalise 7 152 occurrences.

coefficient de répétition [A/B] le plus élevé (101,6). Peut-on tenir cette donnée pour représentative ? Si oui, que peut-on en conclure ?

CTT 1101 ne traite pas de géographie réelle ou mythique ni d’histoire ou de mythes, à l’exception du juan n° 1 (TPJC) qui, on le sait, est étranger au reste du texte : nulle abondance de noms propres n’est susceptible de fausser cette donnée. Attendu la longueur du texte et la multiplicité des ensembles thématiques qui y sont représentés, il est clair que cette multiplicité n’est pas répercutée au niveau du champ lexical — contrairement au Huainan zi, par exemple, pourtant bien plus concis (133 827 mots contre 216 119) mais dont le champ lexical est presque deux fois plus étendu (4 208 contre 2 127) !

Sans pousser plus loin l’analyse, on peut dire trivialement que le TPJ parle de beaucoup de

choses mais avec relativement peu de mots. Or, il se trouve que cette conclusion recoupe l’opinion

de B. Hendrischke (basée sur l’analyse stylistique des différentes “strates” textuelles du TPJ et non sur des données numériques du type de celle exploitées ici) : B. Hendrischke estime que, dans la strate dominante du texte (c’est-à-dire “layer-A” dans sa nomenclature), “il est seulement fait usage

d’une gamme limitée de caractères” 154

.

2.11. Conclusions

Qui fut responsable de la composition du Livre de la Grande paix, et à quelle date ? Il est absolument impossible de répondre à cette question double qui a passionné des générations de savants, avant tout parce qu’elle n’a pas de sens. Les pistes déjà ténues, brouillées par la pluralité des récits anhistoriques de révélation et la multiplicité des personnages qui y sont mis en scène, finissent par se perdre au milieu de variations stylistiques laissant supposer autant de couches littéraires et d’époques différentes. Cette complexité inhérente au TPJ et l’état actuel du document

154. Cf. HENDRISCHKE {210} : 145 (“[…] only a limited range of characters is put to use […]”). Mais R. A. STEIN {359} ne disait pas autre chose : “La valeur magico-religieuse de la récitation des textes sacrés n’est pas

douteuse (…). La conduite morale qu’on y prêche prépare à la carrière religieuse et mène jusqu’à l’immortalité. (…) Le niveau intellectuel de ces prêches et explications était assez bas. Il suffit, pour s’en convaincre, (…) de lire le T’ai-

en font un terrain particulièrement difficile à fouiller.

On peut tenir pour acquis que l’édition du TPJ qui subsiste aujourd’hui dans le Canon taoïste s’est constituée vers la fin de l’époque des Six dynasties, vraisemblablement autour d’un noyau scripturaire plus ancien, et atteignit sa configuration “parfaite” (170 juan, 366 chapitres) vers le milieu du VIIe siècle, sous les Tang — mais sans perdre de vue que le matériau actuel, avant sa fixation définitive dans le Canon des Ming au milieu du XVe siècle, a traversé un processus de démembrement qui s’est poursuivi au moins jusqu’à la fin du XIIe siècle. Le TPJ a ainsi beaucoup souffert d’une transmission pour le moins tumultueuse et dont les effets perceptibles (pertes de sections entières, corruptions graphiques, lacunes et mutilations occasionnelles, contenu sibyllin) — privent le chercheur de l’exploitation d’une bonne partie de son contenu. Parmi les pertes les plus fâcheuses, on déplore cinq sections entières (soit cinq “paquets” de dix-sept juan chacun) situées au début et à la fin de l’ouvrage, un peu comme un épais volume qui, dévêtu de sa reliure et fragilisé, se dépouillerait à l’usage de ses premiers et derniers feuillets.

À la seule lumière d’une lecture scientifique des matériaux disponibles et en dehors de tout parti pris idéologique contraignant, on est en définitive bien loin du postulat réducteur et confortable d’un “document intégralement d’époque Han” sur lequel tant d’études, notamment chinoises, ont pourtant été échafaudées tout au long du siècle écoulé. Il n’empêche que l’analyse interne pourra mettre en lumière la présence, dans le matériau transmis, d’éléments — “archaïques” ou “archaïsants” — renvoyant à la vision du monde propre à l’époque des Han. La date d’un document et celle des idées qu’il véhicule ne se confondent pas nécessairement.

J’ai dit que, pour les compilateurs du Canon taoïste, la distinction entre le TPJ et le TPJC paraissait déjà passablement floue. En intégrant à l’un de larges extraits de l’autre, le TPJHJ, à l’insu de son auteur, a certainement contribué à accentuer la confusion, simplifiant, certes, le travail de renvoi au contenu textuel dans le cadre d’une citation ponctuelle, mais nuisant considérablement à sa juste appréhension 155

.

155. C’est notamment pour cette raison que, dans le résumé du texte présenté dans la seconde partie de ce travail, l’indication de la “strate” littéraire, en tête de chaque passage, précise systématiquement la provenance de ce passage.

Pour finir, comme l’a récemment souligné Ge Zhaoguang 蒙めみ au cours d’une conférence réunissant des chercheurs Taïwanais et certains de leurs homologues de Chine continentale, le TPJ transmis contient de précieux éléments qui n’ont jamais été pris en compte pour estimer sa datation : les illustrations. Selon Ge Zhaoguang, deux d’entre elles témoigneraient d’ajouts postérieurs sans

doute perpétrés sous les Song ou les Yuan 156

:

(1) L’Illustration du mur occidental, Xibi tu ι弩隣 (CTT 1101 {015}, 101 : 1a-7a), qui

semble extraite du roman d’aventures intitulé Shuihu zhuan ∈ 賓.

(2) L’Illustration du mur oriental, Dongbi tu 緩弩隣 (CTT 1101 {015}, 100 : 1a-3b), dont les éléments picturaux trahissent une facture tardive.

On souhaite que des historiens de l’art chinois poursuivent cette investigation.