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CHAPITRE 3 : Le Taiping jing fuwen xu ′l眠孺◇伊 (“postface” à CTT 1101)

3.10.2. Éléments de datation

Pour ce qui concerne sa datation, plusieurs auteurs ont suggéré que cette Postface a probablement été composée peu après la réunification de l’Empire par la dynastie des Sui 逼 (en 589) ou au tout début de la dynastie Tang 窄 (618-907) puisque les derniers événements historiques identifiables qu’elle rapporte sont le déclin et l’effondrement des dynasties du Sud — deux allusions (nanchao sangluan 斤陶呈斌 [2a] et nanchao yanmo 斤陶頓姥 [2b]) — et le renouveau de

l’ “Empire du milieu” — une allusion (zhongguo fuxing ―髄堵懆 [2b]) 165

.

Selon les rédacteurs du Daozang tiyao, l’année renchen mentionnée doit correspondre à l’année 632, “sixième année de l’ère zhenguan” (zhenguan liunian 腰笊《ハ) du règne de l’empereur Taizong ′骸 (626-649), mais leur estimation, qui s’appuie sur un rapprochement arbitraire, n’est

pas argumentée de façon satisfaisante 166

.

Au passage, signalons que l’occurrence de spéculations liées à une année renchen recoupe le

164. Cf. ROBINET {311}, vol. 2 : 167, 243. Sur d’autres éléments Shangqing, cf. infra : § 3.11.

165. Cf. FUKUI Kôjun {568} : 250, MANSVELT BECK {275} : 177, REN Jiyu, ZHONG Zhaopeng ed. {491} : 851, datation reprise notamment dans KANDEL {237} : 83 et PETERSEN {300} : 185.

166. Cf. REN Jiyu, ZHONG Zhaopeng ed. {491} : 851. L’année 632 est simplement la première à être marquée du couple renchen après la réunification impériale.

MS S. 4226 de Dunhuang, qui date du second quart du VIIe siècle. Or, l’indication de découpage du TPJ donné dans la Postface recoupe également cet autre “texte Taiping”. Si elles ne permettent pas d’affiner la datation de la Postface, ces affinités mettent néanmoins en lumière le lien existant entre ces deux textes et confirment le regain d’intérêt témoigné pour le TPJ, après la réunification impériale 167

.

Voilà ce que l’on peut dire de la limite inférieure de l’époque probable de sa composition. Pour la limite supérieure, le seul élément disponible réside dans l’énumération des “textes Taiping” que donne Jia Shanxiang 誘賠陪, à la fin du XIe siècle, dans le Youlong zhuan {028} :

[換い眠Y モ孺◇ 蝦¢倆掲命м嚶¢ Γ ッ¢Д奩Μ卿奩¢

Actuellement, hormis le livre orthodoxe (ou “correct”, c’est-à-dire le TPJ proprement dit), il y a aussi 1 juan de “caractères redoublés” qui auraient été composés par le “Seigneur et Saint postérieur”, au total 2123 caractères qui ressemblent (aux caractères) sigillaires mais n’en sont pas 168

.

Cette phrase intègre des éléments relatifs à deux ensembles distincts : (a) la Postface, d’un côté, qui est effectivement “extérieure” (wai Y) au TPJ, consiste bien en un unique rouleau et mentionne le Housheng jun, et (b) de l’autre, les quatre juan de “caractères redoublés”, ces 2133 glyphes qui, effectivement, présentent une certaine ressemblance avec les caractères de style archaïque utilisés notamment pour les sceaux. Elle prouve que, vers la fin du XIe siècle, Jia Shanxiang connaissait la Postface actuelle à CTT 1101, ce qui constitue la limite supérieure.

B. J. Mansvelt Beck, qui propose de dater la Postface en se référant aux caractères interdits liés au nom personnel des empereurs, estime qu’elle remonte au règne de l’empereur Gaozong 娠骸 (649-683) de la dynastie Tang parce que le caractère zhi 既, nom personnel de Gaozong, dont l’usage fut frappé d’interdit sous ce règne, n’y figure pas, tandis que le caractère li 唾, qui lui fut

167. Sur le MS S. 4226, cf. infra : Chapitre 5. 168. Youlong zhuan (CTT 774) {028}, 4 : 18a.

alors substitué, apparaît une fois (2b) 169

. Mais la brièveté du document (seulement deux pages doubles) ainsi que l’unique occurrence du caractère considéré fragilisent cette hypothèse.

3.11. Conclusions

Le principal intérêt de cette Postface actuelle à CTT 1101 est qu’elle propose une réécriture plus ou moins cohérente de l’histoire des “textes Taiping” en s’inspirant de plusieurs traditions distinctes, principalement la tradition Taiping et la tradition Shangqing. Comme l’a bien montré B. J.

Mansvelt Beck, son auteur anonyme a emprunté à au moins six sources distinctes 170

.

Sa nouveauté réside dans l’idée de ces “écrits originels” (benwen), noyau scripturaire d’essence divine à partir duquel aurait été développé le TPJ destiné aux hommes jusqu’à couvrir “170 juan et 360 (ou 362) articles”. Ce découpage idéal constitue certainement la justification a

posteriori de la forme finale du TPJ après les manipulations que suppose son développement

artificiel. Il renvoie aussi à l’image d’un TPJ parvenu à sa pleine maturité textuelle et, c’est

important de le souligner, non encore engagé sur le chemin d’un démembrement irréversible 171

. La chronologie autour de laquelle cette Postface est construite inclut des figures prestigieuses d’origines diverses. Gan Ji, auquel est consacré un bon tiers du texte, se rattache à la tradition Taiping ; Tao Hongjing, appelé ici “Maître Tao”, Tao xiansheng 鳥もげ (2a), renvoie à la tradition Shangqing ; enfin, “le sire immortel Ge”, Ge xiangong 蒙∵「 (2a), alias Ge Xuan 蒙き (?-244), grand-oncle de Ge Hong, qui aurait fréquenté le milieu des fangshi de l’entourage de Cao Cao 遡忖

(155-220), renvoie aux courants regroupés sous le nom de “tradition du Sud” 172

.

169. Cf. MANSVELT BECK {275} : 180. 170. Cf. MANSVELT BECK {275} : 178-180.

171. Bien que le nombre 360, doté d’une valeur symbolique certaine, doive inciter à la prudence quant à l’historicité d’un TPJ correspondant à ce découpage parfait, on verra plus loin qu’un tel ouvrage paraît avoir effectivement existé à partir du début des Tang (cf. infra : Chapitre 5).

172. “Sire immortel Ge” (Ge xiangong) est le nom sous lequel Ge Xuan est désigné par Ge Hong dans le Baopu zi 完 ヤ: et, plus tard, dans le corpus scripturaire du courant Lingbao 窶獸 dont il est supposé avoir reçu les premières révélations. Cf. BOKENKAMP {122} : 437-438.

Dans cette reconstruction historiographique, la révélation du TPJ à Zhang Daoling 積洋超 par Laozi Κ: divinisé, élément qui, on s’en souvient, témoignait de la première récupération des

écrits de la Grande paix opérée par la tradition Zhengyi い du mouvement du Maître céleste, est

totalement abandonnée, ce qui montre que la Postface est postérieure à la victoire finale du courant Shangqing sur les autres courants taoïstes plus anciens dans la lutte d’influence qui les opposa en Chine du Sud 173

.

L’empreinte du courant taoïste du Shangqing transparaît, on l’a vu, dans la présence de trois divinités propres au panthéon de ce courant dans la transmission du noyau scripturaire originel de la Grande paix, notamment le Huangtian jinque housheng taiping dijun dont l’appellation est une variante de celle du Housheng Lijun auquel est consacré un texte du corpus du courant 174

. Cette empreinte est également manifeste dans les spéculations messianiques associées à une année

renchen, un des thèmes récurrents de l’ensemble du corpus de l’école de Maoshan 175

.

Isabelle Robinet avait remarqué que “[la] forme initiale [des ouvrages du courant Shangqing]

et l’essence de leur contenu est un charme ou une incantation” 176

. C’est très précisément ce rôle que jouent, dans la Postface, les “caractères redoublés de la Grande paix”, un document en écriture symbolique indifféremment appelé “texte originel de la grande paix”, objet même de la révélation initiale et destiné, par le jeu de la transmission et des ajouts ultérieurs, à devenir l’ouvrage final en 170 juan et 360 (362) chapitres.

173. L’expression bing xing yu shi 襖η換⇒ (2b) employée pour indiquer que les “écrits originels de la Grande paix” (Taiping benwen) et la version finale de Gan Ji (le TPJ) “circulent ensemble à notre époque” dérive de l’occurrence de

bing 襖 introduisant la description conjointe du contenu d’un Taiping dongji zhi jing en 144 juan (révélé à Zhang

Daoling par Laozi divinisé) et d’un Taiping jing en 170 juan (révélé à Gan Ji par le Très-Haut). Cf. Daojiao yishu 洋 糎娘圜 (CTT 1129) {035}, 2 : 9b, repris par le Yunji qiqian 票⑮ 祗 (CTT 1032) {052}, 6 : 15b.

174. Le Shangqing housheng daojun lieji 藻掲命洋мょ構 (CTT 442) {049}, texte que l’on retrouvera à l’occasion de l’analyse du juan n° 1 du TPJC (cf. infra : IIe partie, Chapitre 8).

175. Cf. Shangqing housheng daojun lieji (CTT 442) {049} : 4a, un passage traduit dans STRICKMANN {367} : 215. Le Zhen’gao 充剽, un des textes majeurs du Shangqing et dont Tao Hongjing assura l’édition, comporte trois mentions de cette année particulière du cycle (CTT 1016 {611}, 2 : 14a et 6 : 7a, 8a) dont une est étroitement associée au thème de la Grande paix dans une phrase contenant une expression que l’on retrouve mot pour mot dans la Postface (2b) : “le tournant de (l’année) renchen”, renchen zhi yun ♂遠\楊 (dans le Zhen’gao, la phrase complète est : “au temps de la Grande paix, le tournant de [l’année] renchen constitue une difficulté”, 才′l♂遠\楊胡犂 ). Second exemple — parmi bien d’autres : le Taishang santian zhengfa jing ′ ♀い基眠 (CTT 1203) {020}, un autre texte du courant, se réfère aussi à une année renchen (2b).

Mes conclusions se ramènent donc principalement aux deux points suivants :

(1) Tout indique que le travail de réécriture dont témoigne la Postface à CTT 1101 fut avant tout destiné à rattacher le TPJ au corpus scripturaire du Shangqing — ou, plus précisément, à le situer, en termes d’authenticité et de prestige, par rapport aux révélations fondatrices de ce corpus — en lui conférant certains des attributs essentiels de ces révélations.

(2) Le fait que ce petit texte composite a été transmis conjointement au TPJ et figure encore aujourd’hui, accolé à celui-ci, dans le Canon taoïste, montre aussi qu’il a été conçu pour fixer définitivement l’ “histoire officielle” du TPJ au sein de la nouvelle orthodoxie taoïste dominante après sa réintégration au sein des ouvrages du taoïsme révélé.