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Il est délicat d’élaborer une synthèse des données qui ont été ici présentées tout en gardant à l’esprit l’arrière-plan historique, politique et social des époques traversées et sans sombrer dans des simplifications extrêmes comme celle-ci : “[le TPJ] fut soumis au Trône au second siècle (de notre

71. L’expression figure aussi dans le Baopu zi neipian 完ヤ:〉奸 {059}, 12 : 56, dans un contexte analogue : selon Zhong Ni ぷf (Confucius), Yu le Grand .恒 “scella (les recettes du Lingbao, Lingbao zhi fang 窶獸\■) dans un

écrin de pierre (sur) une montagne célèbre”, feng zhi mingshan shihan zhi zhong 薫\エ`だ果\―.

72. Ainsi Yu le Grand dissimule à nouveau sur une montagne les talismans du Lingbao qui viennent de lui être révélés — sa propre retranscription, “scellée dans un écrin (han) orné d’or et cacheté du sceau de la Capitale sombre” (feng yi

jinying zhi han, yin yi xuandu zhi zhang 薫∇亨鴻\果¢ゐ∇き朝\珍), est également déposée sur une montagne en

attendant que soit venue l’heure de sa révélation aux hommes (cf. Taishang Lingbao wufu xu ′ 窶獸‘滝伊 [CTT 388] {019}, 1 : 6b, texte généralement daté du début du IIIe siècle. Un synopsis de ce passage figure dans BOKENKAMP {123} : 65-66, étude où sont cités plusieurs récits voisins associant les thèmes de la montagne-grotte et de la révélation).

73. Les recueils de biographies de taoïstes les plus fournis tels que le Lishi zhenxian tidao tongjian (CTT 296) {054} et ses divers suppléments, le Xuanpin lu き銀掎 (CTT 781) {053} ou encore le Daoxue zhuan — dont ne subsistent, on l’a vu, que quelques citations — l’ignorent, tout comme la monographie consacrée à Maoshan et à l’école qui s’y est développée, le Maoshan zhi 郊`易 (CTT 304) {032}. L’Histoire des dynasties du Sud {073} et l’Histoire des

dynasties du Nord {072} ne le mentionnent pas non plus, de sorte que son historicité même paraît douteuse : il

pourrait bien s’agir d’un personnage fictif, stéréotype héroïque créé à seule fin de donner une figure centrale à la fable de la redécouverte supposée du TPJ.

ère), puis détruit durant la révolte des Turbans jaunes et reconstitué en 572 par Zhou Zhixiang” 74

. Pour beaucoup, le lien entre les divers textes dont il a été question dans cette introduction ne fait aucun doute, et les affirmations abondent selon lesquelles le TPJ actuel est un hybride du “Taiping qingling shu de Gan Ji” et du “Taiping dongji zhi jing de Zhang Daoling” provenant à l’origine du “Tianguan li baoyuan taiping jing de Gan Zhongke” nourri d’ajouts successifs au cours

de sa longue transmission 75

.

L’idéal de la Grande paix est, au départ, un thème confucéen qui gagna en audience sous la dynastie Han 76

. Mais si l’on en croit les divers récits mentionnés dans ces pages, les écrits relatifs à la Grande paix qui émergèrent sous la dynastie des Han antérieurs se caractérisaient davantage par la variété de leurs thèmes et la diversité de leurs origines — milieu marginal des spécialistes culturels

(fangshi et chamans, wu 杏, xi ), sphère ésotérique d’ouvrages apocryphes (weishu 姆七) et

prophétiques (chen) alors en vogue — que par leur rattachement à une “école” ou un “courant de pensée” cloisonné — école des lettrés (rujia 廐伺) ou taoïsme “philosophique” (daojia 洋伺) — et l’on se souvient que l’objectif recherché par leurs premiers promoteurs était avant tout de permettre

au souverain du moment, à proprement parler en déshérence, de se donner une descendance 77

. L’héritage confucéen étant devenu l’orthodoxie d’État, les promoteurs de la Grande paix, suspects d’hétérodoxie, durent quitter les milieux officiels et se rapprochèrent tout naturellement de courants d’inspiration (entre autre) “taoïste” mêlés à divers cultes populaires plus ou moins tolérés

74. Cf. KOHN {245} : 297, n. 8 (“[…] the text itself was submitted to the throne in the second century, then

destroyed during the Yellow Turban rebellion and reconstituted in 572 by Zhou Zhixiang”). Or, nulle source ne

rapporte la destruction d’un “TPJ” au cours du soulèvement des Turbans jaunes, ni que Zhou Zhixiang l’a ensuite “reconstitué” précisément à cette date.

75. C’est, entre autres, l’opinion du lettré CHEN Yingning {407} : 51.

76. Sur les thèmes, apparus à l’époque dite des Royaumes combattants, Zhanguo 很髄 (Ve-IIIe siècle av. J.-C.), de la Grande paix (taiping, qui admet les variantes taiping 勺l et daping .l) et de la “Grande concorde” (datong .ァ, un proche synonyme), cf. les études de FUNG Yu-lan {187} : 81-87, Werner EICHHORN {174} : 113-126, Timoteus POKORA {305} : 448-452, Joseph NEEDHAM {283} : 253-267, Jean LEVI {254} : 73-77, Maxime KALTENMARK {233} : 21-22, Anna K. SEIDEL {342} : 162-164 et Anne CHENG {138} : 207-266.

77. Cf. supra : § A.1 et A.2. L’empereur Cheng des Han Antérieurs, à qui Gan Zhongke soumit le Tianguan li

baoyuan taiping jing, et l’empereur Huan des Han postérieurs, à qui Xiang Kai soumit le Taiping qingling shu de Gan

Ji, furent tous deux sans descendance à leur mort. L’empereur Shun, porté au pouvoir par la faction des eunuques et qui rejeta le Taiping qingling shu présenté par Gong Chong, eut un seul fils (qu’il s’empressa de désigner comme son héritier), mais ce fils n’était pas de l’Impératrice en titre. Cf. DUBS {163} : 356-372 et BIELENSTEIN {119} : 285- 287.

par le pouvoir et présents en milieu rural aussi bien qu’à la Cour, jusque dans le gynécée même. La grande proscription des lettrés opérée par les eunuques (en 165 puis en 169) rejeta vers le monde rural de nombreux serviteurs de l’État opposés à la scandaleuse domination de leur faction, et c’est probablement dans ces échanges de “propos des campagnes” (xianglun 簸寶) et ces “discussions pures” (qingtan 藻寉) des lettrés en exil et à l’écoute des revendications naissantes d’une paysannerie souvent en butte au pouvoir autocratique des grands propriétaires terriens que se radicalisa l’idéal de la Grande paix. Loin de la capitale, l’espérance de jours meilleurs acquit une coloration religieuse au contact des divers cultes populaires tendant à s’organiser en contre-pouvoirs forts et destinés, désormais à court terme, à prendre part activement, à partir de 184, à l’effondrement de la dynastie.

Chamans et fangshi, écrits apocryphes et prophéties ésotériques, religion populaire — autant de sources auxquelles s’abreuvèrent les écrits relatifs à la Grande paix tout au long des deux

dynasties Han — préfigurent tous, selon les travaux de A. Seidel 78

, les premiers mouvements du taoïsme révélé. Il semble indiscutable que les écrits de la Grande paix figurent au cœur du processus

de formation de ces mouvements, dont celui du Maître céleste (tianshi dao) 79

, même si leur influence sur ce processus et sur le développement ultérieur du taoïsme en général demeura limitée, peut-être du fait de la chute de la dynastie Han 80

.

La question des rapports, du point de vue historique, entre les Turbans jaunes ou taiping

dao ′l洋, le mouvement du Maître céleste et les écrits de la Grande paix ayant déjà été débattue

abondamment 81

, elle ne sera pas davantage l’objet de mon propos. Je m’en tiendrai ici à deux points qui ont déjà fait l’objet d’études très convaincantes :

78. Cf. SEIDEL {336} : 110-120, {344} : 28-46.

79. Pour RAO Zongyi 畫骸搏 {487} : 89, le fait que le TPJ actuel contient l’expression tianshi ♀施 prouve le lien entre ce texte et le mouvement se réclamant de Zhang Daoling (tianshi dao), mais Rao oublie que l’expression tianshi a été couramment employée comme titre pendant toute la période des Six dynasties.

80. B. HENDRISCHKE {211} suggère que le thème de la Grande paix perdit tout impact auprès des mouvements taoïstes des IIIe et IVe siècles du fait de l’échec de l’insurrection des Turbans jaunes, lancée en 184.

81. Longtemps controversée (cf. MICHAUD {280} : 88, pour qui les Turbans jaunes n’ont rien de “taoïstes”), la question a été traitée de façon satisfaisante par R. A. STEIN {359} qui a dressé un tableau des affinités idéologiques existant entre les deux organisations (p. 6).

(1) Selon Lin Fushi 観轍。, les conceptions thérapeutiques que reflète le TPJ transmis correspondraient autant à celles du tianshi dao qu’à celles du taiping dao 82

. À défaut de liens historiques solidement attestés par les sources, les deux groupes auraient partagé un même univers mental, du moins pour ce qui concerne certains domaines.

(2) Les affinités entre le TPJ transmis et le commentaire de Xiang’er 併侘 au Daode jing

(une sorte de “catéchisme” 83

qui révèle l’interprétation du Laozi Κ: par le mouvement du Maître céleste à ses débuts) ne fait aucun doute. Les deux ouvrages partagent les mêmes thèmes —

notamment les méthodes du type de “garder l’Un” (shouyi テ ) et la notion d’Harmonie centrale

(zhonghe ―会) — ou témoignent d’idées voisines, à tel point que pour Rao Zongyi, le commentaire

de Xiang’er explique le Daode jing en se basant sur le TPJ 84

.

Par la suite, à l’époque des Six dynasties, le rattachement des écrits de la Grande paix aux principaux courants organisés du taoïsme révélé s’inscrit essentiellement dans une quête de prestige. D’une part, si l’on en croit le Livre de l’Un orthodoxe, cet ouvrage perdu impossible à dater avec certitude et dont ne subsistent que des citations, les adeptes du mouvement du Maître céleste amalgamèrent ces écrits, sous le titre de Taiping dongji zhi jing qui trouve un écho au sein même du matériau transmis, au corpus des révélations reçues de Laozi divinisé par Zhang Daoling, le Maître céleste, fondateur mythique du mouvement. Par ailleurs, une autre source de ce courant, les Cent

quatre-vingt préceptes exposés par le Seigneur Lao, accrédite la révélation d’un Taiping jing à un

Gan Ji dès la fin de l’époque des Zhou. C’est pourtant le Shangqing qui finit par s’imposer en associant aux récits de la réapparition des écrits de la Grande paix le nom prestigieux de Tao Hongjing. Au final, les divers récits de l’époque des Six dynasties concernant l’émergence, la disparition puis la redécouverte supposées des écrits de la Grande paix ne témoignent guère que de la récupération par ces courants d’un texte prestigieux revendiqué comme fondateur mais dont

82. Cf. LIN Fushi {463} : 256-258.

83. L’expression provient de BOKENKAMP {125} : 29.

84. Cf. RAO Zongyi {487} : 89-90. Le commentaire de Xiang’er a notamment été étudié par LI Fengmao {442} et Stephen BOKENKAMP {124}. Une introduction très détaillée suivie d’une traduction intégrale en a été donnée dans BOKENKAMP {125} : 29-148.

l’origine historique précède d’assez loin l’apparition même de ces courants.

Sur le plan de l’histoire littéraire, cette seconde vague de récits coïncide avec l’intégration du

corpus Zhengyi い (“Un orthodoxe”) du mouvement du Maître céleste au Canon taoïste comme

l’un des Quatre suppléments (sifu W勞) aux Trois grottes (sandong 個) originelles, l’ensemble

constituant Sept sections (qibu 挑) 85

.

Admis au sein du vaste corpus des écritures taoïstes révélées, les écrits de la Grande paix, à défaut d’avoir jamais intégré le canon des “Classiques” (jing) officiels, acquirent du moins la respectabilité d’une religion reconnue par l’État et favorisée occasionnellement par l’Empereur en personne — on a vu que ces écrits, indésirables sous les Han, devinrent pourtant l’objet d’une quête ordonnée par l’empereur Xuan des Chen à la fin de la période des Six dynasties — au détriment du bouddhisme, grand rival du taoïsme dans la conversion des masses. Les bouddhistes succédèrent ainsi logiquement et durablement aux lettrés proches du pouvoir dans le dénigrement polémique des ces écrits, soupçonnés de plagiat et d’inauthenticité. Ainsi le Fayuan zhulin 基合修観 (T 53 [n° 2122]), ouvrage bouddhiste daté de 668 qui admet seulement l’authenticité du Daode jing 洋嗤 眠 86

, présente une véritable chronique de “la fabrication de plus de mille rouleaux de textes taoïstes

à partir d’extraits mélangés de sûtras bouddhistes” 87

dans laquelle la fabrication du TPJ est attribuée

à des faussaires actifs au cours de l’ère Daye .墓 (605-616) de la dynastie Sui 逼 (581-618) 88

. Sous les Tang, le thème de la Grande paix est pourtant loin d’avoir perdu de sa force symbolique puisqu’un établissement religieux du nom de Monastère de la Grande paix (Taiping guan ′l笊) fut érigé en 635 sur le site de Maoshan 郊`, pour saluer l’accession au trône de la famille Li 姻, les empereurs Gaozu 娠熟 (r. 618-626) et Taizong ′骸 (r. 626-649) s’étant laissés

85. Cf. CHEN Guofu {399} : 1-7, 101-104. Selon KOBAYASHI Masayoshi ゛観い甲 {241}, l’ajout des Quatre suppléments proviendrait du mouvement du Maître céleste car le supplément intitulé Zhengyi い ne renvoie pas à une “grotte” en particulier, comme chacun des trois autres, mais à l’ensemble des Trois grottes (p. 31-33).

86. Cf. T 53 (n° 2122) {062}, 55 : 703a.

87. 潔礙τ眠¢庁洋伺新眠 帚蝦¢ (T 53 [n° 2122] {062}, 55 : 703b).

88. Cf. T 53 (n° 2122) {062}, 55 : 703c. En réalité, la chronique du Fayuan zhulin se ramène à un inventaire de tous les textes de base du taoïsme révélé ! Le caractère radical de cette dénonciation, l’absence de tout argument réel et le cadre polémique des rapports entre les deux religions dans lequel elle s’inscrit ne plaident pas en faveur de son authenticité.

convaincre par les taoïstes que leur lignée remontait jusqu’à Laozi 89

, et sous le règne suivant, celui de Gaozong 娠骸 (649-683), un prince de la famille impériale, Li Xian, cite le TPJ à cinq reprises

dans son sous-commentaire au Hou Han shu 90

.

Les sources survolées dans cette introduction suggèrent que la transmission des écrits de la Grande paix fut assurée par divers acteurs : on peut citer la lignée méridionale dont Zheng Yin et Ge Hong ne furent que des maillons, le mouvement du Maître céleste, et le courant Shangqing enfin, qui joua aussi, on le verra tout au long de ce travail, un rôle de premier plan dans la fixation de leur titre, de leur longueur et de leur découpage. Mais cette histoire lacunaire des écrits de la Grande paix pose aussi la question de la nature de l’objet même de cette transmission, a fortiori quand on constate l’absence de toute citation du contenu de ces premiers écrits. Certes, l’existence d’un “lien”, d’une affinité entre les différents titres évoqués ici est généralement admise sur la foi des rapprochements opérés par les commentateurs, mais s’agit-il d’un lien de filiation directe entre les états successifs d’un fonds scripturaire plus ou moins stable, ou d’un simple lien de parenté entre des œuvres concurrentes se rattachant seulement à une souche thématique commune ? Si l’histoire purement littéraire du Livre de la Grande paix ne permet pas d’apporter une réponse satisfaisante à cette question, l’analyse du corpus actuel, d’abord, ensuite la plongée dans son contenu textuel, devraient du moins fournir quelques éléments de réponse.

89. SCHAFER {327} : 21, 24, 46.

90. Hou Han shu {071}, 30B : 1081, 1081-1082, 1084, 1084-1085 et 1085. Seules trois de ces citations recoupent le TPJ canonique (cf. infra : Annexe, “Concordance du TPJHJ”) mais les deux autres peuvent s’insérer dans la structure du texte (cf. infra : Chapitre 7, § IV.8.1). On a vu (cf. supra : § A.2) que l’identification des shenshu de l’époque des Han au TPJ proprement dit provient d’une phrase de ce sous-commentaire de Li Xian.

Première Partie

Analyse du corpus