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1. LES ORIGINES

1.1. Dans le point ayant trait aux origines historiques de la pratique du crédit documentaire, il a été question de la nécessité qui se fit sentir au début de ce siècle de parvenir à une uniformité de conduite dans les échan-ges commerciaux financés au travers des banques. Les premières régle-mentations en la matière furent élaborées par des organismes bancaires nationaux, avec les désavantages déjà mentionnés1

Des efforts d'internationalisation de ces règles, empruntées à la pratique développée jusqu'alors, furent l'objet des travaux de la Chambre de Com-merce Internationale qui, lors de son VIIe Congrès tenu à Vienne en 1933, adopta les premières Règles et Usances Uniformes en matière de crédit documentaire, appelées Règles de Vienne2, sur la base d'un premier projet issu de la Conférence d'Amsterdam de la CCI en 1929.

1 Supra chapitre premier 1.4.2.

2 Au sujet des Règles de Vienne, Publication no. 82 de la CCI, cf. Balossini p. 110-119 (texte publié par le même auteur, Tome I, Appendice, p. 497-507);

Bonell p. 961-962; Bontoux «Validità» p. 288; Hartmann p. 2; Molle p. 476;

Schnitzer 1 p. 3; Schonle «Remarques» p. 9; Stoufflet p. 102 s.; Wheble, Préface à la publication no. 400 de la CCI, p. 5.

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Le succès des Règles de Vienne, mesuré en nombre d'adhésions, fut assez modeste3En particulier, les banques britanniques et des dominions anglais refusèrent de s'écarter de leur pratique nationale en matière d'ac-créditif pour adopter les «Règles Uniformes» arrêtées par la CCI.

1.2. Après la Deuxième Guerre mondiale, les modifications des techniques dans les transactions commerciales internationales4 rendirent nécessaire la réélaboration des Règles de 1933. Les travaux commencèrent dès la fin de la guerre et aboutirent à l'adoption par le Congrès de Lisbonne de la CCI, en 1951, d'une nouvelle édition des Règles, connues sous le nom de Règles de Lisbonne, adoptées par les associations bancaires - voire les banques à titre individuel - de cinquante et un pays et, par la suite, d'environ quatre-vingts Etats5.

Les banques anglaises et du Commonwealth britannique persistèrent dans leur attitude sécessionniste, bien que les Règles de Lisbonne ne dif-féraient pas sensiblement de la pratique anglaise; au contraire, les principes fondamentaux concordaient et les normes étaient en partie identiques6 1.3. C'est ainsi que les Règles Uniformes furent ultérieurement modifiées en 19627, pour permettre l'adhésion des banques anglaises et des autres pays d'influence britannique. Les modifications, d'après des critères inspi-rés par la pratique des banques du Royaume-Uni, tendaient surtout à restreindre le pouvoir d'appréciation que l'édition précédente déléguait aux banques8, ainsi qu'à introduire la pratique de laisser au donneur d'ordre le soin (et la responsabilité) de déterminer les conditions d'exécution du crédit9.

3 Cf. Bonell p. 961, Zahn p. 4: seulement les associations bancaires de Belgique, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Roumanie, Etats-Unis et Suisse avaient adhéré à cette première édition des Règles et Usances Uniformes.

4 Cf. Molle p. 477, qui rappelle en particulier les changements intervenus dans le système monétaire international, soit l'abandon de l'étalon-or et l'introduc-tion du contrôle des changes.

5 Au sujet des Règles de Lisbonne, et des modifications apportées au texte précédent, cf. notamment Balossini p. 119 ss (texte reproduit aux p. 507-519), ainsi que Bonell p. 961, Hartmann p. 2, Molle p. 477, Stoufflet p. 103 ss.

6 Cf. à ce sujet Molle p. 477 et références citées à la note no. 20.

7 Publication no. 222 de la CCI, approuvée par le Conseil de la CCI en 1962 et ratifiée par le Congrès de Mexico City de la CCI en 1963. Au sujet des RUU 1962, cf. Balossini p. 126 ss, Gautschi no. 8 g ad art. 407 CO.

8 Cf. à ce propos Balossini p. 85 ss, Eisemann p. 18, Molle p. 477-478. Une telle restriction était tout à l'avantage des banques mêmes, qui pouvaient ainsi plus facilement exclure leur responsabilité. Le principe est resté de mode, cf. les art. 15, 17, 18, 20 RUU ( 1983), et infra chapitre cinquième 3.

9 Molle p. 478; Wheble, Préface à la publication no. 400 de la CCI, p. 6; cf.

aussi les art. 5, 7 b, 11, 14, 22 RUU 1983, et infra chapitre cinquième 2.2.

Par l'adhésion du Commonwealth britannique les Règles Uniformes avaient été «universellement acceptée[s]», pour le dire avec les termes non pessimistes de l'actuel président de la Commission de Technique et Prati-ques Bancaires de la CCI10

1.4. L'avant-dernière révision datait de 1974; elle s'appliquait à partir du 1er octobre 197511La révision avait été rendue nécessaire aux fins de réglementer les usages dans le commerce avec le Moyen et Extrême-Orient12, ainsi que pour tenir compte des nouvelles techniques s'étant développées dans le domaine des transports, notamment des transports par container et des transports combinés13 .

2. LES NORMES ACTUELLES: LES REGLES ET USANCES UNIFORMES DE 1983

2.1. Ce qui a changé

La toute dernière révision des Règles date de juin 1983 ; elle est applicable à partir du 1er octobre 198414 .

«Tout en veillant aux intérêts de l'acheteur et du vendeur»15 - ainsi commence la présentation du texte revisé - les nouvelles Règles tiennent

10 Wheble, Préface à la publication no. 400 de la CCI, p. 6, cité entre guillemets dans le texte. En 1968, les associations bancaires ou banques de 175 pays avaient adhéré aux Règles Uniformes 1962; cf. Balossini (Tome 1, Appendice) p. 623-624.

11 Publication no. 290 de la CCI. Le 25 janvier 1977, les associations bancaires de 137 pays y avaient adhéré, cf. Document no. 470/303 de la CCI, avec l'exception notable de la République Populaire Chinoise; cf. Rowe «ICC Revises the Rules» p. 17 note no. 4.

12 Molle p. 478.

13 Wheble, Préface à la publication no. 400 de la CCI, p. 6; cf. également infra 2.1 note no. 16. A propos de la révision de 1974, cf. notamment Balossini «Il credito» p. 995 ss, Bontoux «A propos du projet» p. 419, Molle p. 478.

14 Publication no. 400 de la CCI, texte original en anglais. Pour les modalités d'entrée en vigueur, cf. Nielsen p. 230 note no. 2.

15 Wheble, Préface à la publication no. 400 de la CCI, p. 6.

avant tout compte «de la révolution qui se poursuit dans la technologie des transports» 16.

Des nouveaux moyens de transport appellent l'émission de nouveaux documents certifiant l'expédition, la mise à bord ou la prise en charge de la marchandise17Les principales innovations introduites par la nouvelle réglementation en matière de crédits documentaires ont trait à ces docu-ments18.

Les nouvelles normes prennent aussi acte du rôle croissant de l'infor-matique dans la transmission des informations19 ainsi que du développe-ment de nouveaux types de crédit, tel l'accréditif à paiedéveloppe-ment différé20 et le crédit stand-by21

Une comparaison minutieuse des nouvelles Règles et de celles qui les ont précédées sortirait de l'objet de ce travail22; on se limitera ici à mettre en évidence deux points de la nouvelle réglementation par lesquels aucun progrès n'a été fait par rapport à l'ancienne édition.

16 Wheble foc. cit. supra note no. 15. Cf. également Publication no. 411 de la CCI p. 5.

Il s'agit notamment des transports par container, cf. les art. 25 b iv et 26 b iv RUU; ainsi que les art. 29 c iii nouveau (transport par LASH barge) et 29 c iv nouveau RUU (introduisant la container fret station - «CFS» - et la container yard - «CY» - comme lieu de réception et/ou destination finale des marchan-dises). Les nouvelles RUU mettent aussi l'accent sur les transports combinés, cf. les art. 25 b i et 26 b i RUU en comparaison avec l'art. 23 RUU 1974.

Par transports combinés ou multimodaux, on entend les transports effectués par des moyens de différente nature, par avion, chemin de fer, mer, route ou voie fluviale. Le transport combiné implique un mouvement de marchandises d'un point de départ à un point de destination utilisant plus qu'un moyen de transport, Wheble «Multimodal Sales» p. 103. Il doit comprendre au moins deux types de transport différents, cf. Publication no. 298 de la CCI «Uniform Rules for a Combined Transport Document», ainsi que l'art. 8 de la Convention des Nations Unies «Ün International Multi-Modal Transport of Goods» (1980), repris par l'art. 25 RUU 1974.

17 Section Dl RUU: art. 25 à 34 RUU.

18 Cf. en détail Nielsen p. 241 ss. Cf. également Schmitthoff «The New UCP»

p. 193 SS.

19 Cf. Publication no. 411 de la CCI p. 5. Cf. l'art. 12 a et b nouveau RUU en comparaison avec l'art. 4 RUU 1974, et l'art. 22 c nouveau RUU.

20 Cf. les art. 10, 11 a, 16 a, 41 b RUU, et en détail infra chapitre troisième 2.4;

cf. également Publication no. 411 de la CCI pp. 5, 10.

21 Cf. l'art. 1 RUU en comparaison avec la litt. a des Dispositions Générales RUU 1974; cf. également Publication no. 411 de la CCI pp. 5, 10, 11.

22 Pour une étude détaillée en ce sens, cf. Publication no. 411 de la CCI, «Do-cumentary Credits - UCP 1974/1983 Revisions Compared and Explained», ainsi que Nielsen p. 230 ss.

2.2. Ce qui n'a pas changé

2.2.1. L'exclusion de la responsabilité des banques

Même si les nouvelles RUU sont théoriquement éditées en tenant compte des intérêts des acheteurs et des vendeurs, le nouveau texte, comme l'ancien, paraît néanmoins se concentrer sur l'intérêt des banques. Celles-ci, d'après les Règles de la CCI, n'assument que des obligations très res-treintes envers le donneur d'ordre23, et peuvent de plus exclure leur res-ponsabilité dans toutes sortes de situations24

La question de savoir si, et dans quelle mesure, les dispositions relatives à l'exclusion des responsabilités des banques lient les autres parties à l'opé-ration d'accréditif s'inscrit avant tout dans le problème plus vaste de la détermination de la nature juridique des Règles25C'est dans ce cadre que s'analyse la question de savoir si, comme le dit l'art. 1 RUU, ces règles sont applicables à toutes les parties de toutes opérations de crédit docu-mentaire.

Deuxièmement, il s'agit de définir le rapport entre les Règles et le droit national applicable à la relation en cause. On peut déjà avancer que les dispositions des RUU qui sont contraires au droit impératif national ne sauraient avoir en Suisse force obligatoire inter partes26Ainsi, les nouvelles Règles, en tant qu'elles excluent la responsabilité contractuelle des banques contrairement aux principes impératifs posés par le droit suisse des obliga-tions, demeurent inapplicables, comme c'était déjà le cas pour les normes correspondantes de l'édition 197427

2.2.2. A propos de la fraude

Même si l'introduction du texte révisé affirme qu' «il a été tenu compte du 23 Cf. l'art. 15 RUU (art. 7 RUU 1974) et infra chapitre cinquième 2.3.1.

24 Cf. les art. 17 à 19 RUU (art. 9 à 11 RUU 1974) et infra chapitre cinquième 3.1.1.

25 Cf. infra 3.

26 Cf. en particulier infra chapitre cinquième 3.1.2, 3.1.3.

27 Cf. en particulier l'art. 7 RUU 1974. «Despite considerable discussion during the work of revision, it was decided to let the article [art. 7 RUU 1974) stand unchanged», Publication no. 411 de la CCI p. 30.

28 Wheble, Préface à la publication no. 400 de la CCI, p. 6-7.

29 Wheble, Préface à la publication no. 400 de la CCI, p. 7. Cf. dans le même sens Rowe «ICC Revises the Rules» p. 20: «It is difficult to see how fraud can be avoided by new provisions in the UCP.» La CCI propose néanmoins une recette à sa façon afin d'éviter les risques de la fraude: «The way to avoid fraud is to avoid dealing with a rogue [ ... ],» Publication no. 411 de la CCI p. 15.

Malheureusement, il n'est pas toujours donné de savoir par avance que son cocontractant n'est qu'un coquin.

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grand problème actuel de la fraude»28, on n'en arrive pas moins à la con-clusion que les Règles ne sauraient «en faire la police»29Des cas assez spectaculaires de fraude dans l'utilisation de l'accréditif, consistant notam-ment en la présentation de faux docunotam-ments à la banque, ont troublé l'ap-plication des Règles de 197430, «même si les banques insistent sur le fait que de tels incidents n'affectent qu'une petite proportion du total des transactions»31.

Pendant les travaux préparatoires des RUU il a été débattu s'il conve-nait d'introduire dans les nouvelles Règles une obligation d'examen des documents qui aille au-delà du «soin raisonnable» postulé par l'art. 7 RUU 197432Une telle obligation d'examen plus approfondie a été écartée, «prin-cipalement parce que» ceci aurait pu «encourager une prudence excessive [des banquiers] au détriment de l'efficacité de la procédure des crédits»33 Les banques continuent donc, au sens des RUU, à examiner (avec un soin raisonnable) la conformité formelle des documents présentés. Les Règles laissent au droit national le soin de prévoir une plus ample obligation de diligence34, ainsi que les moyens pour obvier aux risques de fraude35

3. LA NATURE JURIDIQUE DES REGLES ET

USANCES UNIFORMES: LA PORTEE DE L'ART. 1