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Chapitre I.2 ÉLÉMENTS CONTEXTUELS

I.2.2 Relations professionnelles et conventions collectives de la propreté

Pour que l'on puisse appréhender pleinement les dynamiques qui sont au cœur de cette recherche, il s'avère fondamental de mettre à jour les principaux éléments du texte qui définit les principales normes en termes de conditions d'emploi des travailleurs dans le secteur de la propreté. Cette partie est donc consacrée à l'analyse comparée de la convention collective française et du contratto collettivo nazionale di lavoro italien (que dorénavant nous nommerons respectivement CCN et CCNL) du secteur de la propreté. Cette démarche est nécessaire pour comprendre dans quel contexte juridique les syndicalistes et les salariés, protagonistes de notre étude, se trouvent à agir et interagir. Très concrètement, le « degré de protection » défini par la convention collective, bien que faiblement appliqué dans les faits, contribue fortement à la définition du champ des possibilités de la stratégie syndicale. Toutefois, avant de procéder dans ce sens, il est nécessaire de fournir un aperçu du système de relations professionnelles et de ses évolutions récentes aussi bien dans le contexte sociétal français qu'italien.

56 D'après les données de la CGIL, 3,2 millions sont les personnes qui se sont rendues en 2012 aux CAAF CGIL pour des dossiers liés à la déclaration des revenus. Il est intéressant de souligner que pour obtenir ce service, l'adhérent à la CGIL paye moins qu'une personne qui n'est pas adhérente. Ce qui contribue à expliquer le taux d'adhésion élevée d'une confédération comme la CGIL par rapport à la CGT française.

I.2.2.1 Panorama du système de relations professionnelles dans le contexte sociétal français57

Les relations professionnelles peuvent être définies comme l'ensemble des règles et pratiques qui, au niveau de l'entreprise, de la branche d'activité ou de la région, structurent les rapports entre les salariés, les employeurs et l'État (Lallement 2008). En France, c'est la loi de 1884 sur la liberté syndicale qui reconnaît aux syndicats professionnels le droit de rassembler des personnes exerçant la même profession ou un même métier. Le pluralisme syndical est une spécificité du système de relations professionnelles français, qui est fondé sur la garantie donnée aux salariés de pouvoir adhérer (ou ne pas adhérer) au syndicat de leur choix. Le fait que le bénéfice des droits attachés au contrat de travail soit garanti par l’État et non par l’adhésion syndicale, participe notamment à expliquer la faiblesse du taux de syndicalisation.

Dans un tel contexte, l'un des éléments clés pour la compréhension du système de relations professionnelles se trouve dans les règles qui définissent la représentativité syndicale. Par le terme de représentativité syndicale, on fait référence à la capacité, pour des organisations syndicales de salariés, de parler au nom de ces derniers. La reconnaissance de cette capacité permet en particulier aux organisations de négocier et de signer, avec l'employeur ou les représentants du patronat, des accords s'appliquant à l'ensemble des salariés d'une entreprise, d'une branche d'activité au niveau local ou national, ou encore à tous les salariés de l'ensemble des secteurs d'activité. Sur la représentativité syndicale, deux types de systèmes étaient en vigueur jusqu'à la réforme de 2008. Un régime dit de « représentativité présumée » pour les organisations adhérentes à la CGT, CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail), CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens), CGT-FO (Confédération Générale du Travail – Force Ouvrière) et CFECGC (Confédération Française de l'Encadrement -Confédération Générale des Cadres) et un régime de « représentativité prouvée » pour les autres.

Par le biais de la représentativité présumée, chaque syndicat adhérent à l'une des 57 Pour rédiger cette partie, nous nous sommes appuyées sur les travaux suivants : Béroud, Sophie, Karel Yon, Cécile Guillaume, Marnix Dressen, Donna Kesselman, et Mälys Gantois. 2011. « La loi du 20 août 2008 et ses implications sur les pratiques syndicales en entreprise : sociologie des

appropriations pratiques d’un nouveau dispositif juridique ».

http://halshs.archives-ouvertes.fr/SHS/halshs-00597480/fr/; Béroud, Sophie, Jean-Pierre Le Crom, et Karel Yon. 2012. « Représentativités syndicales, représentativités patronales. Règles juridiques et pratiques sociales. Introduction ». Travail et Emploi (131) (septembre 15) : 5-22.

cinq confédérations bénéficiait de la représentativité, qui était en revanche niée aux autres organisations qui restaient ainsi exclues de diverses instances où ne pouvaient siéger que les syndicats « représentatifs ». La réforme de 2008 intervient en bouleversant ce système par l'abrogation du principe de « présomption irréfragable » de représentativité, qui avait été la spécificité du système de relations professionnelles à la française jusqu'à ce jour. Dès lors, il est mis fin à la règle qui interdisait aux syndicats non affiliés aux cinq confédérations « les plus représentatives » de se présenter au premier tour des élections professionnelles58. Par ailleurs, les critères contribuant à définir la représentativité syndicale changent et l’audience enregistrée lors des élections professionnelles devient le critère le plus important pour établir la représentativité, devenant ainsi le levier majeur permettant aux syndicats de salariés de peser dans les négociations avec leurs employeurs.

On assiste alors à la mise en place d'une représentativité à deux niveaux. D'un côté la « représentativité pleine » qui donne droit aux prérogatives antérieures (notamment le droit de négocier et signer des accords) via la désignation des délégués syndicaux (avec un seuil électoral de 10 %) ; de l'autre une représentativité que l'on pourrait qualifier de simple reconnaissance, symbolisée par la création d'un nouveau mandat sur le lieu de travail, celui de représentant de la section syndicale (RSS). Ce dernier est une sorte de délégué syndical – qui bénéficie du statut de « salarié protégé » – à qui n'est pas attribuée la possibilité de négocier.

À la différence des conditions d’accès à la représentativité, les règles de validité des accords collectifs avaient évolué peu de temps avant la loi de 2008, à travers l’émergence de la notion d' « accord majoritaire ». La loi du 4 mai 2004 « relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social » avait transcrit ce principe dans le droit, ainsi que deux autres innovations : la possibilité de conclure, à un niveau donné, des accords dérogatoires aux normes conventionnelles de niveau supérieur, et la pratique du mandatement. Dans ce prolongement, le texte de 2008 pose l’accord majoritaire en règle générale et le définit en termes électoraux (l'accord d’entreprise pour qu'il soit valide doit être signé par les délégués syndicaux représentant une ou plusieurs organisations totalisant au moins 30 % des suffrages exprimés au 58 Même s'il ne faut pas oublier que dans certains secteurs ou entreprises où ils avaient fourni la preuve de leur représentativité, des syndicats comme SUD ou des syndicats « autonomes » pouvaient déjà se présenter.

premier tour des élections professionnelles).

I.2.2.2 Panorama des relations professionnelles dans le contexte sociétal italien59

Le système des relations professionnelles italiennes présente jusqu'en 1993 un faible degré d'institutionnalisation en raison de l'absence de règles stables gouvernant la structure de représentation, la négociation collective, les relations entres les acteurs (syndicats, patronat et État) et les conflits. Traditionnellement très centralisée au niveau des branches professionnelles, la négociation collective s'était progressivement développée dans les grandes entreprises. La particularité du système italien de relations professionnelles tient au vide législatif dû à la non-application de l’article de la Constitution sur la représentation syndicale et la négociation (art. 39), vide qui a été partiellement comblé par des accords tels que l’accord tripartite de juillet 1993.

« Ce qui, au fil du temps, a semblé le caractériser, soit un mélange presque unique en son genre de grande autonomie collective et d'abstention du législateur, s’écroule à présent avec l’évanouissement des conditions politiques qui en avaient permis longtemps le fonctionnement. » (Carrieri et Leonardi 2013, 21).

La résistance de la convention nationale a jusqu’ici empêché que les tendances décentralisatrices en matière de négociations collectives puissent éroder de manière significative la couverture contractuelle globale, qui reste élevée60.

L’une des conséquences de cette dérive a été la mise en place de l’accord-cadre pour la réforme du système contractuel, conclu sans la CGIL, le 22 janvier 2009, qui a été suivi, par la signature d’un accord entre confédérations le 15 avril 2009 afin de permettre son application dans le secteur de la Confindustria (notamment dans les entreprises FIAT). Il s'agit du premier accord séparé portant sur les règles générales de

59 Pour rédiger cette partie, nous nous sommes appuyées sur les articles suivants : Carrieri, Mimmo, et Salvo Leonardi. 2013. « Italie, des turbulences sans atterrissage certain : l’évolution récente des relations professionnelles italiennes ». Chronique internationale de l’IRES (139) (janvier): 18-34 ; Carrieri, Mimmo. 2010. « Italie, la difficile recherche d’une décentralisation vertueuse de la négociation collective ». Chronique internationale de l’IRES (123) ; Romagnoli, Umberto. 2011. « Dalla cancellazione dell’art. 8 alla ricostruzione del diritto del lavoro ». « Associazione per i diritti sociali e di cittadinanza » affiliata alla Fondazione Centro di studi e iniziative per la riforma dello Stato (Crs). http://www.dirittisocialiecittadinanza.org/Documenti/Dalla%20cancellazione%20dell %27art.8%20alla%20ricostruzione%20del%20diritto%20del%20lavoro.pdf; Hege, Adelheid. 2009. « Italie : une réforme du système de la négociation collective sans unité syndicale ». Chronique

internationale de l’IRES (117): 37-46.

60 On estime à environ 80 % la couverture contractuelle, en l’absence de procédures administratives d’extension erga omnes.

fonctionnement des relations professionnelles en Italie. La réforme du système contractuel lancée par ces accords séparés vise à favoriser la négociation décentralisée.

Le 28 juin 2011, un nouveau cadre de règles générales sur la représentation et la négociation est mis en place par un nouvel accord intersyndical, cette fois-ci unitaire. L’accord établit un lien entre le système de négociation et le système de représentation, jamais encore vraiment réglementé en Italie (sauf pour le secteur public). Il est basé sur la reconnaissance de la représentativité des personnes ayant compétence pour négocier. Le critère de représentativité est le résultat de la pondération de l’élément syndical par l’élément électif. Le principe d’auto-certification disparaît et des tierces personnes faisant autorité – l’Institut national de sécurité sociale (Istituto Nazionale Previdenza

Sociale, INPS) côté syndical et le Conseil national de l’économie et du travail

(Consiglio Nazionale dell’Economia e del Lavoro, CNEL) côté électif – se voient assigner la tâche d’obtenir et de certifier les données sur la représentativité effective des organisations syndicales qui ambitionnent de participer au processus de négociation du secteur. L’accord, qui n'aborde guère la réglementation liée au CCNL, confirme qu'il existe un double niveau contractuel et que la primauté hiérarchique revient au niveau sectoriel national, afin de garantir la « certitude de traitements économiques et réglementaires communs pour tous les travailleurs du secteur sur le territoire national ». Le problème de l’extension erga omnes des conventions collectives nationales, qui conservent le caractère du contrat de droit commun, demeure donc inchangé et non résolu.

Un obstacle survient cependant un mois à peine après la signature unitaire de l’accord. Il s'agit de la loi sur les Finances de la mi-août 2011 (impulsée par la Banque Centrale Européenne) et promulguée par le gouvernement Monti, qui contredit le contenu de l'accord unitaire du mois de juin. Cette loi renverse la hiérarchie des normes en allant jusqu’à affecter la primauté et l’indérogeabilité in pejus de la loi, en ôtant à la CCNL tout rôle d’orientation. Cette architecture contribue à bousculer les principes constitutionnels d’égalité par un éclatement particulariste des régimes réglementaires qui sont susceptibles de varier d’une entreprise à l’autre du même secteur d’activité et/ou du même territoire (Romagnoli 2011).

Les différences entre l’accord unitaire de juin et la loi d'août se révèlent importants. En particulier, alors que l'accord unitaire ne prévoit aucune possibilité de déroger à la

loi en vigueur en matière de négociation et réaffirme la primauté hiérarchique du CCNL sur le second niveau de négociation, la loi le rend possible. C'est ainsi que la recommandation présentée dans le Protocole de juillet 1993 concernant une intervention législative visant à généraliser l’efficacité des accords est restée lettre morte.

Après avoir été un pilier majeur du système de relations professionnelles italiennes dans les années 1990, la concertation est à présent fortement remise en cause. Le point culminant de signification des accords tripartites est symbolisé par l’accord sur la politique des revenus de 1993, considéré comme un pacte de portée quasi constitutionnelle. À partir des années 2000, l’utilité et l’efficacité de la concertation se sont vues contestées sur la base d’une orientation visant à réévaluer le rôle de décideurs des syndicats et à privilégier le marché et le « décret », présentés comme plus rapides et plus en phase avec les dynamiques de l’économie globale.

I.2.3 Aspects clés des conventions collectives de la propreté en