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Chapitre I.1 ÉTUDIER LE SYNDICALISME PAR LES PRATIQUES

I.1.1 Un objet construit à la croisée de plusieurs champs disciplinaires

phase qui précède la construction de la problématique, de questionner le processus qui nous a amenées à définir notre objet de recherche (voir l'introduction générale), ce qui a comporté la prise en compte à la fois des facteurs explicatifs externes (les transformations du système productif), et internes (la composition de la main-d’œuvre). Nous avons alors vu comment d'un objet centré sur la relation entre syndicalismes et travailleurs immigrés, on est passé à un objet qui se construit sur la relation entre syndicalismes et travailleurs du nettoyage industriel.

En effet, le syndicalisme, bien qu'affaibli et en partie transformé par rapport à l'époque keynésienne, n'a pas disparu de nos sociétés actuelles. Consacrer une étude au syndicalisme dans la deuxième décennie des années 2000 n'est pas sans signification,

car cela implique de lui accorder de l'importance en tant qu'acteur fondamental dans nos contextes sociétaux, mais aussi de se poser de manière claire la question des conditions de son renouvellement (Turner 2004).

Sur ce dernier plan, la sociologie anglo-saxonne a fortement contribué à enrichir le cadre d'analyse sur le syndicalisme. Sans reproduire le clivage entre étude du syndicalisme et des mouvements sociaux, ce courant discute depuis maintenant plus d’une décennie des stratégies de « revitalisation » (revitalization) syndicale. Les stratégies syndicales visant la création de nouvelles implantations, le renouvellement des pratiques et la mise en œuvre de campagnes s'adressant à des catégories spécifiques de travailleurs telles que les femmes ou les Noirs (Moore 2011; Guillaume et Pochic 2009b; Voss 2010; Heery et Adler 2004; Voss et Sherman 2000) constituent ainsi le cœur de nombreuses recherches qui parviennent, par ailleurs, à se focaliser sur les effets et les impacts de ces stratégies sur les travailleurs mêmes.

I.1.1.1 Les apports d'une approche basée sur les stratégies syndicales

La question de la « revitalisation » (revitalization) est abordée par les auteurs de l'ouvrage collectif Varieties of unionism. Strategies for union revitalization in a

globalizing economy, qui proposent une analyse de six types de stratégies (organizing, labour-management partnership, political action, reform of union structures, coalition-building et international solidarity). Ces stratégies sont appréhendées sur la

base des modalités par lesquelles elles s'expriment sur le plan des pratiques syndicales, au sein de cinq pays différents.

Pour expliquer ces différentes stratégies de « revitalisation » les auteurs appuient leur démarche sur quatre critères qu'ils considèrent comme autant de leviers permettant la « revitalisation » du syndicalisme. Ces quatre dimensions (membership dimension,

economic dimension, political dimension et institutional dimension) participent ainsi à

baliser l'espace dans lequel s'inscrivent les stratégies de « revitalisation ». Les trois premières dimensions visent tant les facteurs pour l'appréhension de la crise du syndicalisme que les facteurs susceptibles d'en renouveler les formes et les pratiques. La quatrième dimension en revanche, (qu'ils nomment institutionnelle) prend en compte la structure du syndicat, les dynamiques internes à l'organisation et les facteurs qui contribuent à forger l'identité syndicale. Se focaliser sur ces dimensions implique la

prise en compte de leur imbrication et, tout particulièrement, de l’interaction qui se développe entre la première, la troisième et la quatrième.

Ainsi, alors que dans les deux contextes localisés du secteur du nettoyage que nous avons étudiés, aucune stratégie visant de manière explicite la « revitalisation » du syndicat n'a été constatée, cette approche s'est néanmoins révélée comme étant une source d'inspiration importante pour notre démarche scientifique.

Mobiliser les éléments d'une approche fondée sur les stratégies syndicales nous a donc incitées à aller au-delà des approches visant les causes et la mesure de la crise du syndicalisme. Ces dernières nous avaient pourtant, dans un premier temps, paru suffire pour déchiffrer la situation du syndicalisme dans le nettoyage industriel, secteur qui constitue un quasi-désert syndical aussi bien en France qu'en Italie. Ainsi, notre démarche s'est construite autour de plusieurs éléments issus de l'interaction entre ces différentes dimensions.

Plus précisément, nous avons retenu d'une part les dimensions inhérentes à la structure du système productif (dimension économique) et à la production législative en matière de droit du travail et d'autre part, la structure de l'organisation syndicale et les dynamiques internes qui traversent les relations au sein du syndicat.

Se pencher sur ce dernier volet en particulier a impliqué d'accorder beaucoup d'importance aux dynamiques les plus subtiles qui se déploient dans la sphère du syndicalisme. Toutefois, pour pouvoir saisir et appréhender ces dynamiques, le chercheur doit se montrer capable de prêter l'oreille à « ce qui se passe », de manière concrète, au sein du syndicat. Pour cette raison, mobiliser le concept de stratégie syndicale s'est révélé fécond pour notre démarche de recherche en nous permettant notamment de cibler de manière concrète les interactions entre les différents acteurs. Dévoiler et analyser les éléments qui sont à la base des interactions pour tenter d'appréhender les dynamiques qui participent à façonner le syndicalisme dans son fonctionnement concret a constitué notre tâche principale.

Toutefois, le concept de stratégie syndicale assume, pour nous, une signification large. Ce concept se doit d’être suffisamment souple pour être en mesure d'appréhender les éléments qui vont au-delà des stratégies « intentionnelles » des acteurs syndicaux. La stratégie syndicale n'est donc pas à concevoir sur la base d'une directionnalité (syndicat vers salariés), mais plutôt comme une imbrication de facteurs qui déterminent des

formes différenciées de stratégies concrètes.

Saisir les actions des acteurs sur la base de leurs interactions constitue la démarche fondamentale pour situer et appréhender les stratégies syndicales. Dans un tel contexte, les salariés ne doivent pas être saisis comme les objets des stratégies « abstraites » des syndicalistes, mais comme des acteurs qui, dans l'interaction avec les acteurs syndicaux, participent au déroulement de la pratique syndicale en contribuant à la façonner.

Par une démarche visant les interactions entre les acteurs et l'articulation des différentes dimensions dans lesquelles l'objet a été déconstruit, nous avons entrepris un travail visant, d'un côté, les discours des acteurs syndicaux et donc les stratégies « affichées », et de l'autre, les pratiques syndicales « en train de se faire » (suivis individuels lors des permanences, actions collectives et assemblées).

Au travers de l’analyse des stratégies « affichées » ou « abstraites » des syndicalistes, nous avons pu nous focaliser sur la vision que les acteurs ont du rôle de l'organisation syndicale dans le secteur du nettoyage, ce qui a conduit à l'introduction du concept de référentiel idéologique de R. Hyman.

R. Hyman (Hyman 2001), qui fait la distinction entre l'« idéologie proclamée » et ce qu'il appelle les « croyances réelles » (c'est à dire celles qui guident concrètement l'action), structure son analyse sur la base de trois modèles de référence. Ils prennent appui sur les trois facteurs que sont le « marché », la « classe » et la « société ». Les idéologies syndicales constituent, pour cet auteur, le lieu de tension entre trois principes concurrents – le syndicalisme d'affaires, l'opposition de classe et l'intégration sociale – qui participent à la construction de trois types de syndicalisme. Le rapport à l'idéologie est ainsi le facteur mobilisé pour construire une typologie du syndicalisme qui demeure strictement liée au référentiel idéologique.

Le premier type de syndicalisme est le business unionism qui est caractérisé par un syndicat opérant presque exclusivement en lien avec la situation du marché du travail et ses changements (« marché »). Le deuxième type de syndicalisme vise une progression du statut des travailleurs dans la société en aspirant à une forme de justice sociale (integrative unionism), alors que le dernier type pur, le radical-oppositional unionism, s'exprime à travers un registre basé sur l'opposition radicale et sur l'opposition constante avec le patronat, en mobilisant un référentiel idéologique lié à l'idée de « classe ».

syndicales, cette typologie se révèle intéressante dans la mesure où elle permet de situer les discours des syndicalistes et leur vision du syndicat par le biais d'un référentiel idéologique. Ainsi, par une démarche inductive, nous avons contribué à intégrer des éléments propres à nos terrains d'enquête dans un raisonnement visant l'articulation des facteurs issus de l'analyse du discours et des pratiques concrètes. Par exemple, à côté des facteurs tels que le discours tenu sur les « immigrés » ou sur le phénomène d'externalisation de certaines activités, nous avons retenu les éléments qui marquent le rapport à l'action collective (construction du rapport de force par une confrontation directe avec l'employeur ou pas) ainsi que la manière dont ce rapport à l’action collective est développé dans les pratiques « en train de se faire » telles que nous les avons observées.

C'est véritablement sur les pratiques que nous nous sommes le plus penchées au cours de cette thèse. Notre démarche a consisté à cerner les éléments qui façonnent les interactions entre les acteurs au moment du déroulement des pratiques. L'étude attentive des pratiques permet de dévoiler les spécificités des stratégies syndicales qui sont susceptibles de changer selon le profil et le statut à la fois des syndicalistes et des travailleurs.

Les pratiques syndicales constituent alors le « lieu »11 privilégié de l'expression de ces stratégies. Le syndicalisme n'apparaît pas comme un objet figé monolithique, ce sont les interactions entre syndicalistes et travailleurs qui contribuent à le faire vivre, à le façonner et à le transformer. Cette approche permet par ailleurs de rendre compte de la relation qui se développe entre les pratiques « en train de se faire » et des éléments relevant plutôt des niveaux meso et macro, tels que la structure du syndicat, le droit du travail, la configuration du marché du travail, ainsi que les relations entretenues par toutes ces dimensions. C’est pourquoi il demeure fondamental d'appréhender ce processus à partir des interactions entre les éléments qui s'expriment dans les pratiques concrètes et ceux qu'on a appelé plus haut les facteurs externes.

Le pouvoir heuristique de l'approche par les pratiques réside dans l'ouverture à des questions qui restaient à l'écart des approches plus traditionnelles du syndicalisme12, 11 On préfère le mot « lieu » à celui de « champ » au sens de Pierre Bourdieu, dont la connotation ne

convient pas à ce contexte.

12 L'approche par les pratiques nous a par ailleurs encouragées à élargir notre champ de référence à la sociologie des mobilisations et aux théories de la science politique (Benford et Snow 2012 ; Offerlé 2008 ;Gaxie 2005 ; Siméant 1994), notamment pour ce qui concerne l'analyse de l'activité des

comme par exemple les questions visant la prise en compte d’autres formes de domination sociale que celle qui est directement liée au conflit entre capital et travail. En effet, d'autres formes de domination, qui s'expriment toujours aussi dans la sphère du travail, se reflètent de manière plus ou moins directe dans le rapport entre travailleurs et acteurs syndicaux (Mélis 2011). C'est pourquoi on ne pouvait se dispenser de la prise en compte de ces facteurs relevants de formes de domination notamment liées au statut d'immigré, à l'ethnie – et plus largement à la racisation des identités sociales – et aux rapports sociaux de sexe (Dorlin 2009). Saisir et appréhender ces phénomènes revient à considérer la composition sociale de la main-d'œuvre comme une dimension fondamentale pour l'explication du syndicalisme, ce qui est aussi pointé par les auteurs dont l'approche vise les questions de renouvellement syndical (C. Frege et Kelly 2004). I.1.1.2 La composition du salariat comme dimension fondamentale

Nous avons déjà traité dans l'introduction générale à ce travail de recherche de la place qui y est consacrée aux questions concernant l'immigration. La segmentation du marché du travail et les transformations du système productif dans des pays comme la France et l'Italie ont conduit à l'externalisation des activités de nettoyage, qui ont formé un secteur identifié comme tel, lequel recourt aujourd'hui largement à une main-d'œuvre d’origine immigrée (de première et de deuxième génération). De ce fait, pour être en mesure d'appréhender les enjeux liés à la présence de travailleurs immigrés dans cette branche d'activité et les inscrire, par la suite, dans l'étude des pratiques, il se révèle fondamental d'opérer une contextualisation d'ordre socio-historique du lien entre phénomène migratoire et structure du système productif.

I.1.1.2.1 Des travailleurs immigrés

La question de la relation entre système productif et immigration a acquis de plus en plus d'importance depuis les premières phases du développement du système capitaliste. Pour I. Wallerstein par exemple, les migrations s'inscrivent dans un cycle historique long, qui les lie indissolublement à la structure du marché mondial et cela depuis le XVème siècle (I. M. Wallerstein 2006). En ce qui concerne l'Europe, le phénomène de l'immigration se trouve fortement lié aux phases du processus d'industrialisation. Pour

ce qui est du contexte français, G. Noiriel souligne l’importance exceptionnelle de l'immigration étrangère qu'il rapporte au retard relatif de la révolution industrielle en France et à la difficulté de déraciner des paysans, petits propriétaires terriens, qui, avaient ailleurs (en Angleterre par exemple) fortement contribué à former les premiers réservoirs de main-d’œuvre industrielle (Noiriel 2002). Par la suite, dans la phase du capitalisme fordiste, les immigrés, principalement « de l’extérieur » en France et principalement « de l'intérieur » en Italie, ont permis une production au moindre coût en salaire, en prestations sociales et en investissement technologique. En France comme en Allemagne, l'incorporation de ces nouveaux ouvriers dans la classe laborieuse devient bientôt un enjeu politique. La principale figure du travailleur immigré est, à l'époque, celle du Gastarbeiter, l'ouvrier salarié temporaire dans l'industrie (Rea et Tripier 2008b). Toutefois, le travailleur immigré est inscrit dans le rapport social fordiste qui implique qu'il soit bénéficiaire de la protection sociale, tout en étant racisé, infériorisé et bénéficiant d'une citoyenneté partielle. À propos de l'immigration algérienne en France, A. Sayad a désigné la particularité de l'expérience immigrée qui consiste dans l'articulation à la fois de l'exploitation et de la domination (Sayad 1999). La présence devenue durable de l'immigré travailleur, alors qu’elle est initialement perçue comme temporaire, conduit à interpréter la présence des immigrés comme stable et à poser la question de leur insertion permanente dans la structure sociale des pays d'accueil (Rea et Tripier 2008a).

En Italie, les transformations qui ont touché le système économique ainsi que le processus d'urbanisation ont fortement contribué aux phénomènes à la fois d'émigration et d'immigration. Émigration massive vers des pays étrangers – dont la France et les Amériques – au cours de la première moitié du XXème siècle. Émigration massive vers l’Italie du nord à partir des zones rurales du Mezzogiorno après la Seconde Guerre mondiale. Cette main-d’œuvre d’origine paysanne s'installe dans les zones nouvellement urbanisées du « triangle industriel » (Turin, Gênes et Milan) et contribue à la constitution de la main-d’œuvre des usines situées dans l'Italie du Nord. Il faudra attendre les années 1980 pour que l'Italie commence à connaître un véritable mouvement d'immigration d’étrangers qui vont trouver leur place, au sein du marché du travail italien, dans l'économie informelle (Noin, Guillon, et Ambrosini 1999), dans les moyennes et petites entreprises et dans le secteur, en croissance, de la production de

services (Ambrosini 1999). Néanmoins, l'immigration interne des Italiens n'a jamais complètement disparu, ce qui conduit à parler d'une dualité du phénomène d'immigration qui est la fois externe (les étrangers immigrés en Italie) et interne (les Italiens qui immigrent à l’intérieur de la péninsule) (Pugliese 2006).

Aujourd'hui, l'Italie et la France – en raison notamment de leur appartenance à l'Union Européenne – sont caractérisées par des phénomènes similaires en matière d'immigration internationale. Par ailleurs, les politiques forgées sur la pensée néolibérale s’imbriquant avec les questions migratoires incitent à lire les transformations du système productif et des formes d'immigration à partir de la mondialisation économique. Pour Castels, la mondialisation économique conduit à faire appel de manière massive à l'immigration pour les « 3 D jobs » (dirty, demanding et

dangerous) (Castles 2002). Les secteurs qui ont massivement recours à une

main-d'œuvre immigrée sont majoritairement ceux qui – comme le nettoyage, la restauration, le bâtiment, l'aide à domicile etc. – n'ont pas pu être délocalisés. À cet égard, C.-V. Marie a forgé le concept de « salarié néolibéral » (Marie 1999) par lequel il désigne les « nouveaux » immigrés qui se trouvent confrontés aux transformations des systèmes managériaux et d'organisation du travail fondés sur l'externalisation des coûts salariaux, l'utilisation de la sous-traitance, du temps partiel et des formes d'emploi les plus précaires. Dans ce contexte, on assiste à la tentative constante de réduction du coût du travail et de démantèlement du droit du travail. Dans ce contexte, le recours aux travailleurs immigrés doit être appréhendé à la lumière de leur statut juridique d’étranger, qui les place dans une position d’infériorité, laquelle se traduit, dans la sphère du rapport salarial, par un contrôle spécifique auquel ne sont pas soumis les travailleurs nationaux. Ainsi, dans la propreté, l'encadrement de la main-d’œuvre qui s'opère dans un système de sous-traitance a pour effet la mise en œuvre d'un contrôle qui se révèle plus sévère dans le cas où les travailleurs sont des non-citoyens. C'est pourquoi mobiliser le concept de « salariat bridé » proposé par Y. Moulier-Boutang (Moulier-Boutang 1998) peut se révéler très utile pour l'étude de telles situations. D'après cet auteur en effet, l'un des enjeux fondamentaux du système capitaliste consiste dans l’effort que fournit le patronat pour éviter la fuite des salariés, fuite définie par cet auteur comme la forme primordiale de résistance à l’exploitation capitaliste. Le contrat de travail salarié étant par nature asymétrique, le statut du travailleur immigré – avec

l’absence de citoyenneté – tend vers l'idéal type de « salariat bridé », dans lequel cette asymétrie est redoublée par l’impossibilité, formelle ou effective, de circuler sur le marché de la force de travail. Les politiques migratoires doivent alors faire l'objet d'une réflexion car elles constituent un élément clé pour la compréhension du système qui contribue à inférioriser le travailleur non-citoyen dans la sphère du rapport salarial, et à expliquer la tendance à une plus forte captivité de la main-d’œuvre immigrée.

La figure sociale de l'immigré, en tant qu'analyseur de société (Tripier 2004b), n'a donc pas perdu de sa pertinence pour l'étude des phénomènes liés au monde du travail. Cela nous amène à questionner tout particulièrement l'articulation de la question migratoire aussi bien par rapport à la sphère du travail qu'à celle du syndicalisme. Ce dernier doit être appréhendé par le prisme des tensions issues de la rencontre entre les travailleurs autochtones et les travailleurs immigrés (Bataille 1997), tensions qui sont révélatrices de l'état d’une fonction centrale du syndicalisme, à savoir la production de solidarités (Pigenet 2009). Dit autrement, le fait syndical est mis à l'épreuve par les travailleurs immigrés. Plus précisément, les organisations syndicales qui visent la création d'une solidarité et d'une égalité des droits à partir de la participation économique et sociale des immigrés (en vertu de leur statut de travailleurs), se trouvent confrontées à des attitudes qui demeurent fortement ancrées dans les mentalités : la priorité aux nationaux, aux « Français de souche » (Tripier 2004a). Pour cette raison, on retient que les pratiques syndicales et les interactions entre syndicalistes et travailleurs immigrés sont révélatrices des dynamiques qui traversent globalement la société du point de vue des représentations de l' « immigré ». Les attitudes concrètes des syndicalistes vis-à-vis des travailleurs immigrés, ainsi que leur discours sur « les immigrés » doivent alors être finement analysés car elles sont essentielles pour comprendre l'imbrication entre la composition de la main-d'œuvre et l'action syndicale.

I.1.1.2.2 Des travailleurs ethnicisés

Toutefois, la catégorie de travailleur immigré est insuffisante pour cerner l'ensemble des dynamiques complexes qui contribuent à engendrer des rapports de domination. L'immigration définit avant tout une condition juridique de non-citoyen – condition plus ou moins transitoire – qui ne parvient cependant pas à assouvir nos questionnements. Ainsi, au-delà des questions issues de la présence de travailleurs immigrés, on se doit de