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Que sait-on des relations entre pratiques de préservation de la biodiversité forestière et services écosystémiques ? État des

connaissances et implications pour la gestion

Yoan Paillet & Marion Gosselin

Cemagref, équipe Biodiversité, UR Ecosystèmes Forestiers, Domaine des Barres, 45290 Nogent-sur-Vernisson, France

Introduction

Face à l'érosion de biodiversité que connaissent l'ensemble des écosystèmes (Teyssèdre, 2004), le MEA (Millenium Ecosystem Assessment, 2005) a mis en évidence le rôle central de la biodiversité pour le bien-être humain, au travers de la notion de service écosystémique ("ecosystem service", bénéfice que les êtres humains retirent des écosystèmes, cf. Encadré 1). Le MEA identifie trois catégories de services :

1. les services "d'approvisionnement" ou de "prélèvement" sont les produits issus des écosystèmes : aliments, matériaux (dont le bois) et fibres, eau douce, air, combustibles ;

2. les services de "régulation" désignent la capacité à moduler dans un sens favorable à l'homme certains processus écologiques comme le climat, la qualité de l'air, l'occurrence et l'intensité des inondations ou des maladies ;

3. les services "culturels" sont les bénéfices immatériels d'ordre spirituels, esthétiques, récréatifs ou éducationnels, liés aux écosystèmes (cf. encadré 2).

En amont de ces trois catégories, les services "d'auto-entretien" comme le recyclage de nutriments ou la production primaire n'ont pas une utilité directe pour l'homme mais sont considérés comme des services (indirects) car ils conditionnent le bon fonctionnement des écosystèmes, donc la permanence des autres services. Si les services écosystémiques résultent d'une vision relativement utilitariste de l'écosystème, les processus qui les régissent ne dépendent pas de l'utilité retirée par l'Homme (Wallace, 2007). Ainsi, la distinction entre service et fonctionnement est assez claire et la réalisation des services dépend du bon fonctionnement de l'écosystème.

Quel est le rôle de la biodiversité dans ces services rendus par les écosystèmes ?

La contribution directe de la biodiversité aux services écosystémiques est de plusieurs ordres.

D'une part, la réalisation de ces services dépend du fonctionnement de l'écosystème. L'écosystème est alors vu comme un outil de production, qui regroupe l'ensemble des échanges de matière et d'énergie, et conditionne les processus de production primaire, de

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pédogénèse et de relations trophiques (minéralisation, prédation, parasitisme, symbiose). Ces échanges (ou processus) impliquent des organismes vivants, de natures et de fonctions variées (espèces, gènes, groupes fonctionnels) : ils impliquent donc une partie au moins de la biodiversité. Concrètement, cet article aborde le passage de ces éléments de biodiversité (structures ou processus biologiques) aux "fonctions" de l'écosystème (cf. Fig. 1).

D'autre part, de plus en plus de travaux s'interrogent sur le lien entre diversité (i.e. non seulement la présence d'organismes vivants, mais aussi leur diversité – richesse et abondance) et fonctionnement est, en partie au moins, corrélée au fonctionnement des écosystèmes (e.g. productivité, transferts de matière, d’énergie, stabilité, résistance à la sécheresse…). La plupart de ces travaux concernent les prairies, le plus souvent en conditions expérimentales (cf. Tilman, 2005). En forêt, les études faisant le lien entre biodiversité et fonctionnement de l'écosystème sont par contre relativement rares et les résultats souvent partiels. En effet, si les systèmes herbacés se prêtent bien à ce genre d'études (facilité de manipulation, contrôle des espèces, systèmes équiennes, durée de vie courte, résultats à chaque saison de végétation), les expérimentations en forêt sont plus lourdes à mener et doivent s'envisager sur le long terme (cf. BIOTREE experiment, Scherer- Lorenzen et al., 2007). Pourtant la compréhension du lien entre biodiversité et fonctionnement de l'écosystème est essentielle à une meilleure prise en compte de la biodiversité dans la gestion "durable" des ressources. Partant de ce constat, la synthèse de Scherer-Lorenzen et al. (2005), centrée sur les forêts tempérées et boréales, constitue un "état 0" des connaissances sur les relations entre diversité et fonctionnement de l'écosystème forestier. Les conclusions présentées ici s'appuient donc très largement sur cet ouvrage, ainsi que sur d'autres synthèses récemment publiées.

En pratique, et contrairement aux études expérimentales citées plus haut, le forestier ne manipule pas directement la biodiversité dans une optique de réflexion sur le fonctionnement de l'écosystème, mais il adapte ses pratiques sylvicoles pour prendre en compte la biodiversité. Nous avons donc choisi de présenter des résultats sous l'angle des relations entre des pratiques préconisées en faveur de la biodiversité (Gosselin et Paillet, sous presse) et le fonctionnement de l'écosystème forestier. Ces mesures sont de deux ordres :

- sylvicoles : diversification des traitements, mélange d'essences, régénération naturelle, préservation des sols. Ces mesures répondent à des actes de gestion courante et sont sous l'influence directe du sylviculteur ;

- conservatoires : conservation de bois mort et création d'îlots de vieux bois, préservation des milieux intra-forestiers et des zones humides. Ces mesures relèvent plus d'une volonté de préservation de la biodiversité par le propriétaire et ne dictent pas directement les décisions de gestion courante.

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Le rapport entre mesures sylvicoles, en particulier le mélange d'essences, et fonctionnement de l'écosystème (productivité, résistance aux ravageurs) est l'aspect le plus traité dans la bibliographie scientifique alors que le rapport entre mesures conservatoires et fonctionnement de l'écosystème n'est que partiellement abordé.

Cet état des connaissances bibliographiques intéresse directement les gestionnaires et les propriétaires forestiers qui sont de plus en plus confrontés à des exigences sociétales liées à la préservation de la biodiversité sans pour autant réussir à identifier les avantages sylvicoles à mettre en œuvre de telles mesures. D'autre part, des données précises sur le rapport entre fonctionnement de l'écosystème forestier et biodiversité sont les éléments manquants des évaluations économiques de pratiques en faveur de la biodiversité (Chevalier et al., 2009a, b). Cette synthèse a donc également pour but de définir des pistes de réflexion pour une meilleure évaluation économique de ces mesures dans les méthodes de type coûts-avantages.

Dans une première partie, cet article présente un historique des études des relations entre diversité des espèces et fonctionnement, en présentant leurs hypothèses et les questions soulevées par l'interprétation des résultats. Nous donnons ensuite des résultats d'études en milieu forestier, faisant le lien soit entre biodiversité et services écosystémiques, soit entre pratiques sylvicoles favorables à la biodiversité et services écosystémiques. Nous abordons ces services selon les catégories définies par le MEA, du point de vue du processus écologique qui conditionne leur réalisation. Nous réservons le terme "essence" aux arbres forestiers et utilisons le terme "espèce" pour désigner toute espèce de flore et de faune.

Relations entre biodiversité et fonctionnement des écosystèmes :